Pour ouvrir la rubrique VIP du magazine, il fallait donner la parole à un joueur de talent. Nous avons fait le choix de Sofiane Feghouli. Le brillant attaquant du Valence FC est également une pièce maîtresse au sein d’une équipe d’Algérie rayonnante. Il a accepté de nous recevoir à Valence en faisant preuve d’une grande disponibilité et surtout, d’une gentillesse si rare dans l’univers formaté du football de très haut niveau.
FEGHOULI, LA LIGUE 1, LA LIGUA ET VALENCE
« Nous visons une place dans le top 3 de la Liga »
Formé dans la région parisienne, vous avez fait vos premiers pas comme professionnel à Grenoble. Des débuts perturbés par des blessures. Est-ce un mauvais souvenir ?
Oui, j’ai commencé à jouer au football en région parisienne, au Red Star, le club de ma ville de Saint-Ouen, où j’ai grandi. Je suis passé ensuite rapidement par le Paris FC avant de me retrouver à Grenoble où j’ai été professionnel pendant deux ans. J’en garde un bon souvenir, même si j’ai été blessé pendant longtemps, la deuxième saison.Malgré cela, je garde un souvenir positif de Grenoble. Car, c’est là-bas que j’ai fait mes premiers pas comme professionnel et connu l’ascension en Ligue 1. J’ai également joué dans un beau stade qu’est le Stade des Alpes. J’ai pris beaucoup de plaisir là-bas, même si malheureusement ça s’est mal fini. Mais je ne reste pas sur ça, puisque j’ai encore de l’estime pour de nombreuses personnes à Grenoble.
Pourtant la même année vous étiez dans le viseur de gros clubs européens en Espagne et en Angleterre. Cet intérêt vous a-t-il aidé à vous accrocher ?
A Grenoble, j’arrivais au terme de mon contrat. J’étais donc dans une situation avantageuse, d’autant plus que le club ne souhaitait pas se mettre à une table pour entamer la négociation d’une prolongation. J’ai déroulé et je suis allé au bout de mon contrat. Je savais que des clubs me suivaient déjà lorsque j’étais en deuxième division. Valence est l’un des clubs qui ne m’a pas lâché quand j’étais blessé et a montré tout le temps son intérêt. Cela a été un facteur très important dans mon choix, notamment lorsque j’ai voulu discuter sur le long terme avec la cellule de recrutement du club espagnol. Le déclic a eu lieu lorsque j’ai été invité à assister au match Valence – Real Madrid, ici à Mestalla. C’était une super soirée pour moi. Après avoir visité le stade et vu le déroulement du match, mon choix était fait.
Avez-vous l’impression que la Ligue 1 a été incapable de déceler votre énorme potentiel et vous a laissé filer en Espagne comme ce fut le cas d’un Griezmann ? Est-ce un mal français ?
Je crois qu’en France on a du mal à prendre les décisions. On parle beaucoup, mais on agit peu. On voit beaucoup de jeunes qui explosent à l’étranger et cela fait du mal à notre Ligue. Le championnat de France pourrait être d’un meilleur niveau, mais il y a tellement de bons joueurs qui ne sont que de passage. Ce qui explique que si la Ligue 1 fait partie des championnats majeurs, elle ne fait pas partie des tous meilleurs.
Ce ne fut pas facile d’emblée pour vous à Valence. Vous avez dû faire un crochet par Almeria avant de revenir et regagner une place. Etait-ce un passage obligé ?
Absolument ! Il y avait de très grands joueurs quand je suis arrivé ici et donc beaucoup de concurrence. J’ai joué très peu les six premier mois avec cinq matches comme titulaire et cinq entrées en jeu. Comme il y avait l’intérêt de plusieurs clubs, j’ai pris la décision de partir en prêt pour m’adapter à la Liga et connaître davantage le championnat avant de revenir plus fort à Valence. J’ai demandé à mon entraîneur d’être sincère avec moi. Il m’a dit que c’était dans son intérêt de me garder en cas d’un pépin avec un joueur, mais que c’était dans le mien que d’aller jouer dans une autre formation de la Liga pour bénéficier de plus de temps de jeu et ne pas faire une nouvelle saison blanche par rapport à mon genou. C’est comme ça que j’ai décidé d’opter pour le club d d’Almeria.
Depuis, vous êtes devenu un cadre influent d’une équipe qui fait partie du top 5 de la Liga, l’un des deux meilleurs championnats européens. Dans votre situation, peut-on avoir envie d’aller voir ailleurs?
Pour moi, l’important c’était d’avoir une vision sur le long terme et d’être sur des bases solides. Il fallait que j’engrange des matches sur plusieurs saisons. J’en suis aujourd’hui à mon 150ème match sous les couleurs de Valence. Je ne suis plus le Sofiane Feghouli qui était arrivé entre guillemets “sur la pointe des pieds”. Aujourd’hui, j’ai du vécu et beaucoup d’expérience dans l’un des meilleurs championnats et qui correspond à mon profil. Ça c’est vraiment important dans un choix de carrière. Je joue tous les ans – sauf cette saison- la Coupe d’Europe. J’ai déjà fait deux demies finales européennes. En vérité, je suis très heureux. Je me vois à Valence et nulle part ailleurs. D’autant que mon contrat court jusqu’en juin 2016…
Les joueurs n’aiment pas qu’on leur pose ce genre de question, mais on s’y risque tout de même : d’autres grands clubs vous tournent-ils autour actuellement ?
(Sofiane se dérobe en rigolant). Non, je laisse ça à mon conseiller. C’est lui qui gère. Moi, je me consacre à ce qui se passe sur le terrain avec Valence. Et c’est très bien ainsi.
Quel est l’objectif avoué des Naranjas cette saison ? Une place en Ligue des Champions, voire lutter carrément pour le titre ?
Le club a eu beaucoup de soucis financiers ces derniers temps et s’est trouvé obligé de vendre ses meilleurs éléments chaque saison. Cette année encore, on en a laissé partir quelques-uns même s’ils ont été remplacés par des joueurs de bonne qualité. Pour le moment, la situation est très positive pour nous. Mais il est trop tôt, après seulement douze journées, pour parler du titre ou d’autre chose. Surtout que devant le Real Madrid et le Barça sont des monstres. Mais notre objectif est de revenir en Ligue des Champions. Si possible en prenant la troisième place directement qualificative. C’est là qu’est la place du club.
« Je veux dépasser les cent sélections »
Vous étiez de la campagne de la CAN 2013 en Afrique du Sud. En phase finale, les résultats furent plutôt décevants. Qu’en avez-vous retiré personnellement ?
Lors de la CAN 2013 on nous a fait endosser le statut de favori alors que l’on n’avait pas disputé l’édition précédente et que l’Algérie sortait d’une passe très difficile après 2010. Une période au cours de laquelle nous avions eu beaucoup de problèmes avec une sélection qui avait presque touché le fond. En ce qui concerne l’édition 2013, le fait de ne pas passer le premier tour a été décevant. Si nous avons déployé un jeu superbe nous avons également manqué d’efficacité. A la décharge de l’équipe, c’était la première Coupe d’Afrique des nations pour la plupart d’entre nous. Disons que c’était une période de transition.
A l’époque, Vahid Halilhodzic a demandé du temps et annoncé que son équipe finirait très vite par récolter les fruits de cette expérience. Partagiez-vous son sentiment ?
Oui. On savait que nous avions des éléments de qualité, à fort potentiel et puis d’autres bon joueurs ont rejoint la sélection. L’Afrique du Sud était une étape importante. Tout le monde sait que les grandes équipes ont commencé par passer des moments très difficiles avant de gagner des titres. C’est souvent ça qui les rend fortes. Bien sûr, nous étions déçus, vue la ferveur de nos supporters qui veulent toujours plus et tout gagner. Néanmoins, cette expérience nous a servi par la suite.
Avec l’arrivée de Gourcuff, l’équipe a conservé la dynamique du résultat avec un jeu plus affirmé, plus collectif en clair plus brillant. La philosophie de l’ancien patron de Lorient s’impose-t-elle ?
Il faut dire que ce que Monsieur Halilhodzic nous demandait et ce que demande aujourd’hui Monsieur Gourcuff en matière de préparation est totalement différent. Après le Mondial où l’équipe nationale a été magnifique, le groupe s’est vite remis au travail avec humilité et a assimilé la méthode du nouveau sélectionneur qui proposait un nouveau dispositif et d’autres consignes. Le résultat est que nous nous sommes qualifiés pour la CAN 2015 au bout de quatre journées. Et je pense que ce n’est pas fini. L’équipe va encore s’améliorer et peaufiner un jeu basé sur la possession de balle. Beaucoup plus agréable à voir.
Vu de l’extérieur, le groupe laisse une impression d’harmonie et de joie de vivre. Le changement de patron n’a semble-t-il pas cassé une dynamique. Vous confirmez ?
Oui. Vahid est resté trois saisons et je pense honnêtement que c’était la fin d’un cycle. Pour lui et pour nous. Nous avons accompli quelque chose de merveilleux au Mondial. Après, il ne faut pas se mentir, nous avions tous besoin de vivre quelque chose de nouveau. Malgré sa jeunesse, le groupe était arrivé à maturité. Pour le moment cela se passe très bien avec le coach Gourcuff et je pense que le groupe est à féliciter pour cette transition parfaite symbolisée par les cinq victoires en six matches de qualification à la CAN 2015.
Revenons à cette impression d’harmonie…
Vous savez, j’ai toujours dit que les résultats aident beaucoup dans le football. Quand tu gagnes, c’est sûr que tout le monde est heureux. Maintenant il faut accepter que dans chaque groupe, des joueurs peuvent être mécontents de ne pas jouer plus. Mais tous les membres de l’équipe ont su mettre leurs états d’âme de côté et mis leur personnalité au service du collectif. Cela s’est vu au Mondial l’entraîneur de l’époque a effectué de nombreux changements et l’équipe a toujours répon du de la même façon. Elle a conservé son esprit guerrier et une grande solidarité. J’espère que cela va continuer ainsi. De toute façon, nous n’avons pas le choix. Nous n’avons pas de star exceptionnelle comme Messi pour nous faire gagner un match à lui tout seul. Mais nous avons des joueurs capables de faire mal à l’adversaire à tout moment. Dans la solidarité et l’esprit collectif.
C’est sans doute aussi le mérite de Christian Gourcuff de ne pas avoir cherché à faire table rase du passé, comme cela arrive souvent, non ?
Certainement. Je pense que le sélectionneur savait que les meilleurs joueurs étaient déjà en équipe nationale. Lui et son staff ont très bien analysé la situation et décelé les côtés positifs. Le changement s’est fait en douceur grâce à un groupe qui s’est mis au diapason.
La qualité technique, l’adresse, la rapidité sont clairement les atouts de la sélection algérienne actuelle. Elle semble pourtant souffrir un peu plus face à des adversaires à l’impact physique important. Vous avez particulièrement peiné face au Burkina Faso et surtout face au Mali ces deux dernières années…
Si l’on prend l’exemple des matches contre le Burkina en 2013, nous avions disputé la rencontre aller dans des conditions difficiles avec un arbitrage à la limite… Nous aurions pu marquer beaucoup plus de buts (victoire du Burkina Faso 3-2). Au retour, à Blida, c’était un match couperet pour la qualifica tion au Mondial. Il est toujours compliqué de bien jouer et de gagner ce genre de rencontre. Là aussi, il nous a fallu tenir compte du contexte. Au pays, l’ambiance était incroyable depuis plusieurs jours. Beaucoup de supporters ont dormi devant le stade. La pression était énorme. On ne pouvait pas se rater.
Et face au Mali ?
Je ne suis pas d’accord. A l’aller, nous avions survolé le match. Nous étions bien au dessus, même si le Mali dispose de bons joueurs. Et si on ne gagne que 1-0, nous avions frappé trois fois le montant. Lors du match retour (0-2), peut-être qu’inconsciemment certains parmi nous étaient démobilisés parce que nous avions la qualification en poche. Et puis, il y a eu des changements dans l’équipe avec des joueurs qui n’ont pas évolué à leur poste habituel. On n’a pas trouvé tout de suite la cohésion.
A 24 ans, vous comptabilisez déjà 30 sélections (7 buts inscrits). A ce rythme-là, vous allez titiller dans quelques années les performances des icônes Madjer et Belloumi. Joli défi…
(Ferme) Moi, je veux dépasser les cent sélections au service de mon pays. J’ai toujours répondu présent en jouant aux quatre coins de l’Afrique. Je suis à la disposition du sélectionneur. Tant que je peux apporter un plus et que l’on a besoin de moi, je répondrai présent. »
Vous êtes devenu une pièce essentielle de Valence, Brahimi l’est à Porto, Ghoulam à Naples, Slimani au Sporting de Lisbonne. Les Fennecs changent vraiment de dimension…
C’est vrai que dans l’histoire, l’Algérie n’a jamais eu en même temps autant de joueurs évoluant dans des clubs de très haut niveau et dans des championnats majeurs. C’est très bénéfique pour la sélection. Cela dit, il faudra regarder tout cela sur le long terme. »
La suite de cette interview en quatre parties :
Fennecs : Feghouli a pris les clés
Technique : Feghouli a tout d’un grand
Feghouli : Les Fennecs ont gagné le respect du monde
@fchehat et Samir Farasha, à Valence