Homme de l’ombre et peu médiatisé, le recruteur demeure pourtant un maillon fondamental dans la réussite d’un club. Niché dans le recoin d’une tribune ou adossé à la main courante du stade, il est l’oeil qui détecte la pépite ou le jeune joueur susceptible de devenir un jour footballeur professionnel. Superviseur pour le compte d’Auxerre des jeunes parisiens, de 2006 à 2014, Abdel Chouache fait partie de cette catégorie silencieuse. Depuis un an, le natif du 93, qui est aussi éducateur sportif à la mairie de Saint-Denis, fait partie de la cellule professionnelle. Pour mieux saisir ce métier et la politique de recrutement du club bourguignon, nous sommes allés à sa rencontre.
En quoi consiste votre rôle de recruteur pour l’AJ Auxerre (AJA) ?
Jean Marc Nobillo, Directeur du centre de formation, m’a chargé, sous la responsabilité du patron de la cellule recrutement, de trouver des jeunes à fort potentiel pour la post-formation (U19 Nationaux et Ligue de Paris). La politique du club est de rechercher des pépites dans un rayon de 300 km autour d’Auxerre. Le vivier parisien fait de cette région la priorité. Je travaille aussi avec trois autres recruteurs qui supervisent les matches des 13 -17 ans pour le centre de Formation. J’observe également les rencontres de Ligue 2, de National, de CFA et de CFA2 ainsi que les équipes adverses de l’équipe première.
Comment s’organise votre travail?
Je suis basé sur Paris, mais j’ai toutes les semaines le responsable du recrutement au téléphone. Je travaille environ 70 heures par mois, rapports compris, à raison de quatre matches par semaine. Je supervise pour la cellule professionnelle les joueurs qui sont susceptibles de nous intéresser. On me demande des comptes rendus d’analyse des rencontres et des joueurs déjà repérés par mes collègues de province. En début de saison, on est sur une analyse assez large de tous les joueurs. Puis au bout de six mois, on cible certains éléments sur les postes à renforcer. On raisonne par chapeau avec une liste de joueurs prioritaires. La décision de les recruter ou pas est prise de manière collégiale par le président, l’entraîneur, le directeur général et le responsable du recrutement.
Rencontrez-vous des difficultés dans ce métier?
Auxerre est toujours attractif, car le club reste une référence en matière de formation. Mais la concurrence de Paris, de Lyon, de Monaco, de Bordeaux ou de Rennes est réelle. Ces clubs ont davantage de moyens économiques et jouent en Ligue 1. Parfois nous sommes les premiers à inviter un joueur à nos détections ou à nos stages. Les familles font malheureusement un choix plus financier que sportif.
Y a t il une concurrence venant de l’étranger?
Elle existe. On a parlé à l’époque de sommes d’un million d’euros de clubs anglais pour attirer des gamins de 15,16 ou17 ans. Peu de familles franchissent le pas, car il y a les lois de la FIFA qui interdisent le transfert de mineurs. Certains clubs contournent cette règlementation en fournissant un travail aux familles. Est ce un choix judicieux de partir aussi jeune? Cela fait partie des arguments qu’on expose aux parents. On a nous mêmes perdu Ambrose, parti à 16 ans pour Manchester City. C’était un grand espoir qui était chez nous depuis l’âge de 9 ans. Ce natif de Sens nous a quittés malgré la proposition d’un contrat à l’AJA. C’est le lot de tous les clubs français. L’avenir dira s’il a fait le bon choix sportif.
Quels sont les types de joueurs et les qualités que vous recherchez chez eux?
A chaque début de saison, Monsieur Nobillo nous donne une feuille de route pour le centre de formation et la post-formation. Nous recherchons alors les talents en fonction des générations de joueurs : des latéraux, des défenseurs axiaux, des excentrés et des attaquants, qui sont plus durs à dénicher. La plupart des clubs français ont également du mal à trouver de bons latéraux. Il faut de la vitesse, de l’anticipation et de l’intelligence de jeu. A Auxerre, on apprécie les petits gabarits vifs et toniques. Ils doivent être capables d’apporter offensivement en fonction des systèmes de jeu. Mais la qualité première est d’être un bon et vrai défenseur. En ce qui concerne les jeunes, ce sont surtout des footballeurs à fort potentiel qu’on vise. Ils doivent éclore chez nous en U19 ou en CFA au bout d’un voire deux ans. Ils intègrent dès lors le groupe professionnel.
A quoi ressemble un bon recrutement ?
C’est d’avoir eu une longue expérience d’éducateur de jeunes pour bien identifier le potentiel d’un joueur. C’est s’appuyer sur un bon réseau. C’est surtout d’avoir l’œil pour repérer le joueur qui intégrera un centre de formation, grâce à ses qualités naturelles et son état d’esprit. Pour devenir professionnel, le mental fait la différence. Le talent ne suffit pas. Notre cellule recrutement parisienne a réussi à faire quelques bon coups chez les jeunes avec Ntep, Meité, Castelleto, Kilic ou en Bourgogne avec Berthier. A Auxerre, le centre de formation a couté un peu plus de 10 millions d’euros pour un budget annuel de fonctionnement de 3.5 millions. Les infrastructures sont de qualité. On est parmi les cinq meilleurs centres de formation de France. On a gagné la Coupe Gambardella (U19) en 2014. Parmi ces jeunes, quatre ont signé professionnel. Cette année notre équipe réserve monte en CFA.
Connaît-on le taux d’échec pour atteindre le niveau professionnel?
La Direction Technique Nationale a publié des statistiques en interne. Pour les jeunes qui partent tôt de chez eux et très loin du domicile, le taux d’échec est de 90 %. ll est important que les parents soient à proximité si l’enfant a des coups de blues. Les familles venant de Paris ne sont qu’à une heure et demie de route de notre centre. Elles peuvent ainsi rendre visite à leurs enfants le week-end. Et à chaque vacance, ils regagnent leur domicile. Cette coupure est bénéfique. Grâce à cette politique, la plupart des joueurs parisiens ont réussi chez nous. En dehors du sportif, il y a aussi l’aspect scolaire que nous soignons. Les groupes sont restreints. Plus de 90% des enfants décrochent le Bac chez nous. Cela fait partie du projet proposé aux familles.
Pourquoi les Maghrébins ne percent ils pas trop au plus haut niveau en France?
Il y a beaucoup de joueurs en National ou en Ligue 2 mais très peu en Ligue 1. Certains ont eu, ou pas, leurs chances dans certains clubs. Les exemples de Ryad Mahrez, Yacine Brahimi, Nabil Bentaleb, Mehdi Benatia…montrent aussi qu’il leur a fallu partir à l’étranger pour avoir cette reconnaissance. Sur la région parisienne, les Maghrébins étaient plus nombreux en club dans les années 80-90. Aujourd’hui, ils s’orientent peut être plus vers les sports de combat. Statistiquement, c’est notable. Peut être que les parents font d’autres choix. Est ce que pour eux c’est une fin en soi de devenir footballeur professionnel?
Faut- il réformer la formation et les mentalités en France?
Le football français est assez athlétique. Cependant en France, on commence à moderniser les contenus pédagogiques lors des sessions de formation des entraîneurs. On s’inspire davantage du modèle espagnol. Il y a moins d’analytique mais plus de séances basées sur le jeu, la technique et l’intelligence du joueur. A l’AJA, on regarde avant tout le poste concerné et le talent du joueur. S’il s’agit d’un défenseur axial, on va être attentif à l’aspect physique, l’intelligence de jeu, l’anticipation, la capacité à gagner les duels. Au milieu de terrain, on préférera les joueurs techniques dotés d’une bonne vista. Sur les cotés, ce sera des footballeurs rapides et dribbleurs.
L’AJA a tissé des liens avec les pays du Golfe. Quels sont-ils?
C’est le souhait de l’actionnaire, Mr Limido, et du président du club que de s’ouvrir à l’international et à de nouveaux partenaires. Ils cherchent à exporter l’expertise auxerroise. En juillet 2013, le Saoudien Sami Al Jaber est venu, pendant un an, faire sa formation d’entraineur chez les professionnels. Il s’occupait en parallèle de l’entrainement des jeunes attaquants. Il y a eu le rapprochement avec le centre Aspire du Qatar. On a reçu en 2014, pendant un mois, par petits groupes de 4 à 5, des jeunes qataris de 15 à 17 ans. Dans le cadre de ces échanges, j’ai accompagné les U15 (en 2014) au Tournoi Al Kass organisé par Aspire. Y figuraient de grosses écuries comme Barcelone, le Milan AC, le Real de Madrid, Fluminense….
Comment jugez vous le niveau d’Aspire?
C’est un énorme complexe qui dispose de gros moyens. C’est démesuré ! Le dôme et les terrains sont exceptionnels. A l’instar de l’Insep, ils ont un centre de recherche sur la performance. Ils ont des staffs conséquents avec pas mal d’Espagnols et de Brésiliens. Il y aussi beaucoup d’Egyptiens et de Maghrébins qui s’occupent surtout des écoles de foot. J’ai regardé les séances d’entraînement des jeunes. Il y a beaucoup de travail à la vidéo. Les séances des gardiens de but et des joueurs sont filmées. L’analyse se fait en compagnie des jeunes.
Le Moyen Orient s’ouvre sérieusement au foot depuis 15 ans. Comment voyez-vous les besoins de ces pays? Pour avoir eu l’occasion d’en discuter sur place, leur souci se situe au niveau du vivier des joueurs. Il leur manque la matière première. Elle est trop restreinte. Mais d’ici 2022, si l’on prend l’exemple du Qatar, ils ont le temps de sortir des joueurs et d’en naturaliser certains comme pour le handball. Par ailleurs, beaucoup d’anciennes gloires du foot européen rejoignent ces championnats. Ils ont compris qu’il fallait que leurs joueurs côtoient des éléments de qualité pour progresser.
Propos recueillis par Nasser Mabrouk