Seconde partie de l’entretien que nous a consacré Ahmed Yahya le Président de la FFRIM, où il est question de la formation et du développement du football chez les jeunes, des clubs et de l’organisation de la CAN U20 en 2021.
« Président, comment utilisez-vous ce fond de soutien aux clubs ? Comment en bénéficier ?
On a créé ce fond de soutien mais on ne donne pas de l’argent aux clubs pour qu’ils le dépensent pour l’élite, c’est-à-dire pour financer leur équipe première. Il y a un cahier des charges précis sous la supervision de la Ligue et de la DTN avec comme exigence que les clubs aient des équipes engagées dans les petites catégories. On a commencé en leur demandant des U17, puis des U15. En trois ans, on les a obligés à avoir des U15, des U17 et des U20 afin de pouvoir bénéficier de cette subvention. Il y a un suivi, il faut des entraîneurs diplômés par la DTN. Ils doivent se recycler au sein de la FFRIM. IL faut une philosophie identique entre eux.
Comment les clubs ont-ils réagi ?
Au début, les clubs n’étaient pas très chauds, disaient qu’on était trop exigeants. Aujourd’hui, ils se sont rendu compte qu’il n’y a plus besoin d’aller recruter ailleurs, qu’ils peuvent faire monter leurs propres jeunes, qu’ils peuvent même transférer leurs joueurs ! Ils sont l’exemple de certains partis en Europe et ils commencent à croire à ce programme. Résultat, beaucoup de présidents de clubs suivent nos compétitions de jeunes avec passion. Chaque club de l’élite possède des équipes de jeunes, obligatoirement. Jeunesse d’Arafat et Ryad, des clubs de quartiers de Nouakchott qui travaillent bien chez les jeunes, ont été récompensés en intégrant les championnats des jeunes catégories. FC Nouadhibou, Tevragh Zeina, Concorde, font du bon boulot chez les jeunes. La FFRIM a joué le rôle de locomotive.
La Mauritanie a été récompensée de tous ces efforts avec l’obtention de l’organisation de la phase finale de la CAN U20 en 2021. Est-ce quelque chose que vous aviez en tête ?
C’est un dossier dont le brouillon a été élaboré en 2016 ! On savait qu’il nous manquait des choses. On savait qu’on ne serait pas bons pour 2017 pou 2019. Maintenant, qu’on a l’Académie FFRIM et nos championnats de jeunes, on pense qu’on aura une belle génération U20. L’Académie de Oumar Ndiaye était composée de U15 l’an dernier et participait au championnat U17 ave 14 équipes. L’Académie a terminé quatrième. Ce qui nous a motivés, c’est le sportif. C’est un avantage de jouer à domicile et si on finit dans le dernier carré, on s’ouvre les portes d’une Coupe du monde. Dans tout ce que l’on a fait, il y avait la volonté du Président de la République. Ce n’est pas dans ma nature de politiser le football. Mais en Afrique, sans le soutien de l’Etat, c’est difficile de réaliser de grandes choses. On a la chance d’avoir un Président qui a été convaincu par notre travail. Ma première rencontre avec le Chef de l’Etat, quand j’ai été élu, je lui ai apporté mon programme. Il m’a dit qu’il était déçu par le football mauritanien. On était les derniers des derniers. C’était inacceptable à ses yeux. Il m’a dit qu’il nous soutiendrait en fonction de notre volonté d’aller de l’avant. Il assiste aux matches de la sélection, A ou locaux, ou aux finales de Coupe. C’est aussi un Président qui a visité nos bureaux de la FFRIM et qui a pris toute une matinée pour discuter avec chacun des membres de la Fédération afin de comprendre la tâche des uns et des autres. C’est quelque chose de motivant. Sans le soutien de l’Etat, on n’allait pas participer. C’est une condition sine qua non vis-à-vis de la CAF de toute façon.
Qu’en est-il des sites ?
En principe, c’est Nouakchott et Nouadhibou. A Nouakchott, on a deux stades qui peuvent largement accueillir la CAN. Mais l’objectif est de faire participer la deuxième ville de Mauritanie. D’où Nouadhibou.
Revenons au début de l’année 2018, qui a commencé pour vous par une récompense attribuée par le Président de la CAF, à Accra. Ensuite, il y a les réunions FIFA à Nouakchott. La FFRIM, une fédération modèle ?
Je préfère dire qu’on est sur la bonne voie. On est loin d’être arrivés ! A travers le prix de « leader of the year », c’est une récompense à la FFRIM. Je ne fais rien tout seul. C’est l’occasion de remercier le ComEx et le Président Ahmad. C’est une distinction qui n’existait pas. Du coup, l’Histoire enregistre que je suis le premier lauréat. Ce fut l’une des meilleures sensations que j’ai eues grâce au football. Je suis loin d’être le meilleur président mais je donne beaucoup de temps à ce football au détriment de ma vie privée, de mes enfants, de mes affaires personnelles. Je ne vis pas du football ! Je suis un opérateur économique, je travaille dans un secteur qui nécessite aussi ma présence mais le foot prend 80% de ce temps. Etre récompensé par la famille du football africain, c’est se sentir sur la bonne voie.
Racontez-nous cette soirée d’Accra…
J’ai appris que j’allais être récompensé en entrant dans la salle ! Contrairement à ma place habituelle auprès des membres du ComEx de la CAF, on m’a placé avec les Mohamed Salah et autres ! Mais l’organisation m’a fait asseoir de l’autre côté. C’est là que j’ai compris. Si j’avais pu, j’aurais demandé qu’on me donne cinq ans avant de le recevoir, pour continuer à travailler et à me sacrifier. Quelque part, j’avais une crainte de me contenter de cela. Mais au sortir de la cérémonie, je me suis dit qu’il fallait l’oublier, ce prix. Le meilleur dirigeant, c’est celui qui va aller loin en Coupe du monde, ou autre. Encore une fois, je remercie la CAF mais je crois que d’autres le méritent. Je reste à ma place. Tant que je n’ai pas été à la CAN et que je n’ai pas pérennisé la Mauritanie parmi les grandes nations, j’en suis loin. Comme la FIFA nous cite souvent comme exemple, c’est réconfortant. Mais c’est une responsabilité, il faut continuer. Les autres ne dorment pas non plus. Si aujourd’hui, vous appréciez les installations de la FFRIM, c’est grâce à la FIFA qui nous aide tous de la même manière.
Le football mauritanien fait aujourd’hui la fierté du pays…
Les Mauritaniens immigrent au Sud en majorité, pas au Nord. On est très nombreux dans les pays d’Afrique. C’est nous les boutiquiers. Et ils étaient moqués parfois quand ils parlaient football. « Vous êtes des nuls, vous perdez 8-0, etc. » C’est fini, ça ! Aujourd’hui, quand je voyage et que je croise mes compatriotes, je vois leur fierté. C’est ça, la plus belle récompense, le meilleur prix. Un jour que j’étais au Gabon pour aller superviser une élection, on était à l’intérieur du pays. On s’arrête sur la route pour acheter à boire dans un village. Je m’attendais à tout sauf de trouver un compatriote. Dès qu’il m’a vu, il s’est exclamé : « Mais c’est toi ! Les gens se sont toujours moqués mais maintenant, on est une bonne équipe. On a battu le Gabon. Toi et tes joueurs vous m’avez envoyé un cadeau inestimable. »
Une Coupe du monde n’est peut-être pas si éloignée que ça, pour vos jeunes…
On travaille pour, c’est l’objectif. Mais on respecte aussi tous les autres qui travaillent et nous voient venir. La CAF va lancer des programmes de développement. Bientôt des pays comme Djibouti, Somalie, Erythrée vont eux aussi émerger sur la scène du foot et des jeunes. Nous aussi, on était comptés parmi eux auparavant.
Evoquons maintenant vos clubs, engagés et de retour en Coupes d’Afrique en 2018. Le progrès est manifeste là aussi…
Absolument, et j’en dirais autant de nos clubs en Coupes arabes (UAFA) avec l’ASAC Concorde qui a battu 3-1 Al-Faisal, le 3e du championnat saoudien. Ils ont juste sous-estimé les Libanais lors de leur premier match. On a un joueur sorti du FC Nouadhibou, Mama Niasse, qui a rejoint le football libanais où il est devenu l’un des meilleurs buteurs avec Salam Zgarta. On a eu aussi ce joli résultat de Nouadhibou qui a fait un nul sur le terrain du Raja Casablanca. Pour la saison à venir, on aura Nouadhibou en LDC africaine. La Coupe nationale se jouera la 20 octobre avec Nouadhibou et Nouakchott Kings, qui appartient à un jeune homme d’affaires, qui possède un club aux Etats-Unis, Cincinnati Kings (PDL USA), Yacoub Abdallahi Sidiya. Quel que soit le résultat, l’autre club est assuré de jouer la C2 africaine.
Que demandez-vous à vos présidents de clubs ?
Avec les présidents de clubs, on est en famille, on discute chaque jour. Je suis le premier responsable mais je les écoute. Ils savent qu’on est tous devenus exigeants, y compris vis-à-vis des clubs. Le président de Nouakchott Kings, je suis allé le voir pour le convaincre de racheter le club tel qu’il était avant son arrivée ! Il y a d’autres cas comme ça où j’ai essayé de faire venir des grands dirigeants. Je privilégie des gens qui ont des capacités managériales. La plupart de nos dirigeants sont des opérateurs économiques aujourd’hui ».
Propos suscités par @Fayçal Chehat et @Samir Farasha