De passage à Paris il y a quelques jours, le Président de la FFRIM, Ahmed Yahya, également membre du ComEx de la Confédération africaine, a accepté l’invitation de 2022mag à échanger sur le football mauritanien. Voici la première partie de cet entretien, où il est notamment question de la CAN 2019.
« Président Yahya, bonjour ! Commençons par l’actualité de votre équipe nationale, qui semble bien partie pour disputer la CAN 2019. Cette première participation, vous y croyez ?
En tout cas, c’est quelque chose pour lequel on œuvre depuis très longtemps, afin d’être dans cette position qui nous donne beaucoup d’espoir. Il faut être très prudent et attendre. On connait tous le football, tout est possible. Il faut être prêts, bien se préparer et obtenir le maximum de points sur les trois matches à venir. Celui du mois de mars ne sera pas facile, on le sait. Ca doit se faire dans les détails, les conditions de voyage, de regroupement. Les joueurs y croient, ils veulent réussir cet exploit qui est d’abord leur objectif. On est là pour les placer dans les meilleures conditions. C’est leur exploit collectif qui nous permettra d’y être.
Quelle est la feuille de route pour l’Angola ?
Les garçons se sont regroupés d’abord à Casablanca pour faire le minimum de voyages. L’encadrement les attendait à Casa. On y est resté deux jours avant de rejoindre Luanda. Après le match, un vol spécial nous ramènera à Nouakchott. Sur ce plan là, on est prêts. Le manager des équipes nationales était sur place très tôt pour vérifier l’hébergement. On a l’opportunité pour la première fois de se qualifier, donc on fait le maximum pour n’avoir aucun regret. On ne laisse rien au hasard même si on est toujours une fédération modeste y compris au niveau des moyens. Quitte à casser la tirelire, il faut tout faire pour les mettre dans les meilleures dispositions. C’est l’honneur de tout un peuple.
Qu’est-ce qui fait que l’on peut croire et espérer cette qualification historique pour votre football ? D’où vient le déclic ?
Il n’y a pas eu de déclic. Les Mauritaniens commencent à y croire car depuis quelques années, la FFRIM a jeté les fondations, les bases. On a travaillé au niveau de la formation, de l’organisation des compétitions locales, etc.
Diallo Guidileye a retrouvé récemment un club, c’est une bonne nouvelle pour lui et le sélectionneur…
Vous savez, tous nos joueurs sont importants. Plus ils évoluent au haut niveau et plus ils sont compétitifs. On a peu de joueurs à ce niveau. Diallo n’a pas réussi son passage en Turquie mais je suis sûr qu’il va rebondir, vu ses qualités. J’espère qu’il aura la forme nécessaire pour aider ses coéquipiers. On a beaucoup de jeunes aussi en train de grandir en Europe et au Maghreb. Mais la sélection, c’est d’abord un collectif. La dernière fois, contre le Burkina Faso, les locaux ont montré qu’ils pouvaient assurer aussi. Il y a une envie de tous d’obtenir cette qualification.
Ca a été vraiment une grande fête, après votre succès sur les Etalons burkinabè (2-0)…
En fait, on connaît tous le Burkina Faso même s’il était diminué offensivement. Mais les onze présents, ce n’était pas n’importe qui ! Nous, avant le match, on aurait signé des deux mains pour un nul ! Alors faire un match pareil ! C’était une victoire méritée, pas cher payée d’ailleurs. C’était le premier match dans le stade rénové Cheikha Boïdya. On ne pouvait pas faire mieux. On a fêté c’est vrai, mais avec un peu de retenue. Je ne vous cache pas que l’Angola, ça m’inquiète. C’est un football différent, rapide. C’est un peu le football d’Afrique du Sud. Donc, il faut être prêts à affronter toutes les situations. Les gens qui nous voient qualifiés, méfiance… C’est très difficile. Je sais que le Burkina Faso y sera.
Participer à la CAN 2019 sera une étape capitale dans le développement du football mauritanien, qui a participé à deux CHAN…
Vous savez, mon souhait de toujours, ce n’est pas seulement de voir mon pays arriver à la CAN. Mais qu’elle devienne une équipe pérenne au plus haut niveau. Mais cela passe par une politique, une stratégie. C’est cela qu’on met en place depuis six ans. On vient de très, très loin. Quand je suis arrivé à la fédération, notre football était l’un des derniers au classement FIFA. La fédé n’avait pas de moyens. On était suspendu dans toutes les compétitions, on n’avait pas d’entraineur, j’ai fait signer le Français Patrice Neveu. Ni de DTN, ni de vision. L’administration de la fédé était inexistante. Il a fallu mettre des choses en place et faire de la fédération une institution respectée. Trouver des sponsors, utiliser les médias, avoir une politique marketing, de communication, les arbitres, la formation, etc. Le championnat, qui était prévu à quatorze, avait commencé avec seulement neuf clubs ! C’était le chaos total. Il a fallu convaincre les gens, aider les clubs, donner une subvention aux clubs. A chaque mois qu’on avait une aide, un sponsor, on le mettait dans un fonds destiné aux clubs avec des critères : les performances au niveau des championnats des jeunes, le suivi des petites catégories. Au début, les gens nous contestaient ! C’était une mentalité très difficile à changer. On nous attaquait dans les médias, sur les réseaux sociaux. Il a fallu supporter tout ça. Avant, je devais me défendre personnellement. Aujourd’hui, je ne le fais quasiment plus parce que le travail se voit et parle de lui-même. A l’époque, il fallait s’expliquer. Mais nous sommes aussi bien soutenus par les autorités. Si l’on met les bases sans résultats, c’est un frein. Les résultats nous aident, vis-à-vis des sponsors, des partenaires. Il n’y a pas meilleur produit que la sélection A. Donc, qualifions-nous pour la CAN ! Ca nous aidera à changer notre image aussi. Ensuite, avoir une nouvelle génération compétitive va nous aider à aller plus loin.
2018 a commencé par votre participation au CHAN marocain. Terminé dès le premier tour. Quel regard portez-vous sur cette compétition ?
Je préfère positiver. On a été parmi les seize au niveau local. C’était notre deuxième participation -après celle de 2014 réussie par Patrice Neveu- après avoir écarté le Mali et le Liberia. On a réalisé cet exploit en battant les Aigles à Bamako ! Ensuite, on s’est préparé comme il faut. On ne peut pas faire mieux, entre les stages et les matches. On est tombé sur le meilleur de ce CHAN, le Maroc qui a commencé par un 4-0 contre nous et terminé en finale contre le Nigeria sur le même score, rappelons-le. Le Soudan, on l’a dominé mais on a pris un but par manque d’expérience. Avant la CHAN, on a perdu des joueurs comme le stoppeur Bakary Ndiaye qui a signé à la RS Berkane (MAR) juste avant le tournoi. On ne va pas empêcher un joueur de passer pro. Bakary est revenu chez les A, et a excellé contre le Burkina Faso. On a aucun regret par rapport au CHAN. On a critiqué notre sélectionneur, mais nous sommes convaincus qu’on est sur la bonne voie. A nous de travailler pour nous rapprocher du Maroc. On n’a pas suivi les critiques, ou agi comme certains dirigeants africains en critiquant et en écartant le coach et des joueurs, juste pour se protéger. On a dit au coach de continuer à travailler et à se concentrer sur les A. Aujourd’hui, les résultats nous donnent raison. Si l’on perd, c’est la responsabilité de tous, moi compris, pas seulement le coach ou les joueurs.
Corentin Martins est arrivé en 2014, après le passage remarqué de son compatriote Patrice neveu (2012-14). « Coco » est l’homme de la situation, aujourd’hui ?
Je me souviens quand je suis venu à Paris en 2014 pour recruter un nouveau sélectionneur, après le départ de Patrice Neveu. On avait reçu environ 80 dossiers à traiter ! En fait, c’est dû au bouche-à-oreille. On a commencé à intéresser les gens. Parmi ceux que j’ai reçus, Corentin était celui qui a le moins parlé. J’ai senti quelque chose passer entre nous. Il fallait choisir le coach et l’homme car on va travailler ensemble, vivre le pire et le meilleur. Corentin, je lui ai demandé ce qu’il ferait par rapport au football à l’intérieur du pays. Il m’a répondu que c’était le rôle du DTN et qu’il était prêt à collaborer avec lui. Il n’a pas dit qu’il irait partout. Sa réponse honnête m’a convaincu. Je ne voulais pas de conflit entre le sélectionneur et le DTN, entre lui et les coaches des jeunes. Aujourd’hui, il valorise le travaille de Baye Ba, le coach des jeunes, il m’explique qu’il préfère appeler des jeunes locaux chez les A pour qu’ils apprennent en côtoyant le haut niveau. Je suis très content du choix de la FFRIM à son égard. On a fait quatre ans dans de bonnes conditions, ce n’est pas quelqu’un qui se plaint. Ca a passé très vite, sans bruit depuis 2014. On est à quelques mois de la fin de son contrat et on est intéressé par son renouvellement. Mais il préfère ne pas discuter de renouvellement avant les matches d’octobre et novembre. A six mois de la fin, on lui a dit qu’on voulait une continuité. Il faut cette stabilité dans le football africain.
La jeunesse c’est l’avenir, en particulier en Mauritanie où les U20 ont été tout proches de jouer la prochaine CAN 2019. Il y a du potentiel chez vous…
Cela me tient particulièrement à cœur. Je préfère aller voir des jeunes jouer le week-end que les seniors ! On a des championnats nationaux de jeunes. Quand on a commencé il y a six ans, on a décidé qu’il fallait que ça aille au-delà de l’Académie de la FFRIM qu’on a créée. Du coup, il fallait généraliser ce travail à travers nos clubs. On a essayé de convaincre l’Etat, la FIFA, nos sponsors, en créant ce fonds de solidarité pour aider nos clubs, en fonction d’un cahier des charges très précis… »
Fin de la première partie
Propos suscités par @Fayçal CHehat et @Samir Farasha