Pour boucler notre dossier sur les légendaires gardiens de but du football arabe, 2022mag a invité Ali Boumnijel, héros de la CAN 2004 avec la Tunisie, à se raconter. Première partie de cet entretien riche en anecdotes et sans langue de bois. Une exclusivité 2022.
« Ali bonjour ! Où et comment se passe votre confinement actuel ? Comment vous occupez-vous ? Bonjour ! Ca se passe comme pour tout le monde ! Je suis confiné en famille à Montbéliard. Pour sortir, faire des courses, faire un footing ou voir un médecin, on utilisait jusqu’à présent des dérogations. Ce sont des choses contraignantes, et on passe des moments difficiles avec la famille. J’ai une petite fille de trois ans et demi, ce n’est pas tous les jours faciles. Il faut inventer, créer, occuper les enfants. C’est une présence de tous les instants. Ma femme arrive à terme et va accoucher bientôt, on est un peu sous tension. Mais c’est un bel évènement qu’on essaie de préparer au mieux. On essaie de varier les activités, de se rapprocher de la famille, de partager plus de choses. L’inconvénient, c’est qu’il faut beaucoup prendre sur soi ! On a beaucoup de chance car on vit dans un environnement spacieux, avec jardin. On peut sortir, se promener. J’imagine les gens qui habitent en ville à quatre ou cinq dans de petits appartements. Donc on ne se plaint pas.
Comment fonctionnez-vous avec le staff de votre club (Sochaux, L2 FRA) et vos joueurs ? On est resté en contacts étroits, on a mis en place des challenges pour le maintien de la forme des joueurs. On a distribué des vélos d’appartement, on a un groupe sur whatsapp qui permet de les garder mobilisés. Ils doivent rendre compte sur le plan de l’alimentation, du poids, de l’hygiène. On suit leur état de forme physique et mental. On a d’ailleurs envoyé un questionnaire sur le confinement qui a permis des retours intéressants. Avec le staff, on fait des visio-conférences. Le championnat a été officiellement stoppé, donc avec Sochaux, on est maintenus en L2 et c’est une bonne chose. On se projette sur la saison prochaine, et un recrutement bien ciblé. On prépare la reprise, surement fin juin début juillet. On se rencontrera en ce début de semaine pour envisager le planning. L’idée étant de ramener les joueurs à un certain niveau de forme.
Revenons un instant sur vos débuts. Dans quelles circonstances êtes-vous devenu pro en 1988 au FC Gueugnon, alors en D2 ? Quelle fut votre carrière dans les Vosges avant la D2 ?
Je jouais dans un club amateur, le Thillot, en DHR dans les Vosges. J’ai pu faire un essai à Gueugnon, grâce à notre président qui avait un lien avec le FCG. J’étais alors étudiant à Grenoble, où je m’entraînais avec la 3e équipe. J’ai finalement opté pour Gueugnon, et ça s’est fait sur un essai. Le club m’a rappelé. J’ai fait une année en amateur parce que je préparais mon BTS à Grenoble. Ensuite, j’ai signé pro. Voilà mon parcours. Ce sont des bons souvenirs.
Votre carrière en sélection nationale a débuté en 1991 et s’est poursuivie jusqu’en 2007. Avec 3 participations à la Coupe du monde et surtout, une victoire à la CAN chez vous en Tunisie en 2004. Quel est votre meilleur / pire souvenirs chez les Aigles de Carthage ?
Je vais commencer par le pire. Ma première sélection en 1991, bizarrement à la suite de mon prêt à Nancy. J’avais reçu une convocation du sélectionneur et à mon arrivée, je ne me sentais pas à ma place, et les joueurs ne me le faisaient pas sentir chez moi non plus ! Il y a juste à l’époque Khaled Ben Sassi, de Perpignan, avec lequel j’avais plus d’affinités. Mais il y avait à l’époque un carcan énorme entre joueurs de l’Espérance et Clubistes (CA), c’était très compliqué. Il n’y avait pas une belle ambiance. Je l’ai mal vécu, je n’étais pas le bienvenu. J’ai continué à travailler et j’ai fini par revenir. Le meilleur moment, c’est ka finale de la CAN 2004, remporté chez nous en Tunisie. Ca a fait sortir tous les Tunisiens dans la rue. On a ressenti l’impact après, en rentrant. On a pris la dimension. Ca a marqué l’histoire du foot tunisien à tout jamais. Professionnellement, émotionnellement, c’était fantastique !
Quelle fut la nature de votre relation professionnelle avec El-Ouaer, dont vous avez été le principal concurrent en sélection nationale ? Etait-ce une concurrence saine ? Comment l’avez-vous vécue, à un poste où on effectue peu de remplacement (sauf blessure ou exclusion) ?
Ce n’était pas une relation top-top, dans la mesure où on m’a fait sentir que je n’étais pas le bienvenu quand je suis arrivé. C’était compliqué pour moi. Lui jouait à l’Espérance, un club présidé par le gendre du président de la république d’alors, et qui avait la mainmise sur le foot tunisien. Tous les joueurs de l’ES Tunis étaient des privilégiés, on sentait en sélection une différence entre eux et les autres. C’était très bizarre. Ca s’est confirmé avec le temps. A chaque fois que je revenais, c’était lui ou moi, tout simplement. Henry Kasperczak fut le seul sélectionneur qui ait vraiment opté pour me voir véritablement après la suspension d’El-Ouaer. Mais ça s’est vite retourné contre lui, le pauvre. On s’est qualifiés pour le Mondial 1998 en Egypte. Les Tunisiens ont découvert sur le tard Boumnijel. Ensuite, El-Ouaer est revenu en force pour la phase finale de la CDM 98. Après, il y a eu quatre ans d’absence entre 1998 et 2002. Ca n’a pas été vraiment une concurrence, d’autant qu’il maitrisait les médias, etc…. Bien sûr, je ne l’ai pas très bien vécu, c’est normal. C’était à sens unique. Mais on n’a rien lâché et continué à travailler. En 2002 j’étais à Bastia et on a disputé la finale de la Coupe de France. Lui ne pouvait pas faire la Coupe du monde en Asie, soit disant une blessure, donc ils sont venus me chercher dans les tribunes, à la fin du match, et m’ont embarqué ! J’ai pu disputer ma deuxième CDM au Japon, mais cette fois comme titulaire.
Quels entraîneurs ont marqué véritablement votre carrière, par leur influence, leur confiance ?
Il y en a beaucoup ! En amateurs, j’ai eu un coach a senti qu’il y avait un potentiel et m’a encouragé dans ce sens-là, c’est lui qui a impulsé cette prise de conscience. A Gueugnon, Alain Dessoly qui s’occupait du cetre de formation, m’a encouragé et soutenu en réserve au début. Il m’a fait confiance en D3 et ça m’a permis de m’étalonner. Jean-Yves Chay aussi m’a fait confiance. Marcel Husson à Nancy également, malheureusement je me suis blessé au poignet. Il m’a beaucoup marqué, il m’a fait bosser ! Roland Gransart, j’ai fait le maximum de matches et on est monté en D1 avec Gueugnon. Il m’a marqué par sa manière de voir le foot. J’ai fait la connaissance de Harry Redknapp en Angleterre (en 1997, Boumnijel fut tout proche de signer à West Ham, NDLR), Alain Giresse à Toulouse où j’avais fait un essai avant de signer à Bastia. Il aurait voulu me lancer au très haut niveau. Fred Antonetti à Bastia a lui aussi a marqué par sa manière d’entraîner. En sélection, je citerai Kasperczak et Roger Lemerre qui m’ont fait énormément confiance, pris des risques, et ça a payé. Surtout Lemerre, malgré la critique des médias, et ça s’est soldé par une victoire à la CAN 2004 et une qualification pour la CDM 2006. Il y a deux coaches que j’aimerais évoquer : Alain Perrin à Nancy et Bertrand Marchand au Club Africain dont je fus l’adjoint au CA. Tous ont eu une influence à un moment donné de ma vie.
Quels gardiens vous ont inspiré ? Connaissiez-vous Attouga plus jeune ?
J’ai une anecdote à ce sujet. Attouga m’a inspiré au début, je suis né en Tunisie et venu à sept ans en France. On est resté un mois près du stade El-Menzah avant de voyager. Je suis allé voir un match et c’est là que j’ai découvert Attouga. Ensuite, il y a eu surtout Ivan Curkovic à l’AS Saint-Etienne, sa manière d’être et de jouer. Dino Zoff aussi, Sepp Maier… En 2004, on s’est croisés dans un restaurant à Paris avec Curkovic et il était venu me féliciter. C’est un moment particulier quand votre idole vient vous saluer, ça fait quelque chose !
Quelles qualités (outre physiques et techniques) sont indispensables pour réussir une carrière ce poste de gardien ?
Au-delà du physique et du technique, le gardien est celui qui doit avoir le plus de mental. Ca nécessite beaucoup de caractère et une grosse capacité à se relever. Le poste est difficile, très exposé. Beaucoup de choses reposent sur ses épaules, on félicite plus les attaquants que les gardiens. Quand on prend un but casquette, ça se voit. Un attaquant qui loupe peut recommencer, pas le gardien. C’est un poste qui nécessite de l’exigence envers soi-même et envers les autres. Le gardien est souvent leader sur le terrain et dans le vestiaire. On le voit au plus haut niveau international. Oliver Kahn, le gardien allemand, était mentalement extraordinaire.
Revenons sur l’aventure de la CAN 2004, l’avènement d’une belle équipe et pour vous aussi. Seize ans plus tard, quel est le secret de ce parcours incroyable face à de grandes sélections africaines, Nigeria, Sénégal, Maroc, RDC…
Le secret ? Je ne sais pas si on peut parler de secret ! Le fait d’avoir eu une ossature de joueurs qui a évolué ensemble pendant longtemps. Il y avait Bouazizi, Badra, Trabelsi, Clayton, Jaziri. Pratiquement huit ou neuf joueurs qui formaient cette ossature pendant six ans. Il a fallu que ce groupe reste en place. Il a ensuite agrégé d’autres joueurs venant d’Europe. Ca a créé une bonne ambiance, un bon lien. Le coach a apporté cette ambition d’aller chercher un titre, qu’il a ancrée dès le premier entraînement. On a créé un groupe dans une ambiance toujours saine. Ne pas oublier non plus le président, feu Hammouda Ben Amar, qui a joué un rôle énorme en protégeant le groupe, le coach dans les moments difficiles. Il a toujours su nous écouter et nous protéger. Ce qui nous a permis d’aller chercher ces résultats contre de grands nations. Le 1er tour fut difficile aussi, avec une grosse pression populaire. Lemerre avait su nous protéger des médias également.
Quelle était la nature de votre relation avec Roger Lemerre, l’homme du sacre ?
Avant que Lemerre ne signe en Tunisie, il était allé nous voir jouer contre le Portugal. La sélection d’après, il avait pris l’équipe en main. Il m’a dit : vu ton âge (36 ans à l’époque), il faut penser à la reconversion, éventuellement travailler à mes côtés. A la fin de l’entraînement, il m’a dit de continuer au maximum ! Il m’a relancé véritablement et on a fait une vingtaine de matches sans défaite. La confiance a grandi entre nous dans ce groupe, dont j’étais l’un des leaders. Je suis resté très attaché à Lemerre par le biais des évènements. Et puis c’est un homme extraordinaire, on est d’ailleurs toujours en contact.
Avez-vous des regrets dans votre carrière, en sélection comme en club ?
On peut toujours en avoir, même si l’on ne peut plus revenir en arrière ! En sélection, même si cela s’était mal goupillé parce que ce n’était pas au mérite au début, malgré tout on a vécu des moments extraordinaires après. Je ne vais pas cracher dans la soupe. Mon plus grand regret si je peux en avoir un, j’ai manqué de partir en Angleterre à West Ham. Redknapp m’avait proposé un contrat et il y a eu ensuite un revirement de situation à cause des managers, etc. Vu le parcours que j’ai fait et d’où je viens, je peux m’estimer heureux. C’est très intéressant ce qui a été fait.
Quels sont les attaquants qui vous ont le plus « tourmenté » ?
Oh, il y a beaucoup d’attaquants ! Papin, Waddle, des joueurs de grande classe. Sony Anderson ensuite. Le top niveau. Une anecdote, tiens, avec le grand Brésilien Ronaldo, qui jouait à l’Inter. On dispute un amical avec Bastia contre l’Inter et on mène 1-0. Ronaldo est de retour de blessure, il entre à trente minutes de la fin. Un phénomène ! Le match a alors basculé. Il a marqué trois buts, on s’est incliné 4-1 ! Circulez, y a rien à voir. Simplement, des joueurs de grande classe, il y en a beaucoup, notamment en Afrique, avec les Drogba, Eto’o, Weah. J’ai aussi croisé la route d’un autre Ballon d’or, Chevtchenko en 2006, en affrontant l’Ukraine en CDM. »
Propos recueillis par @Samir Farasha
Vous retrouverez demain la suite et fin de ce long entretien que nous a accordé Ali Boumnijel.