Pour Amara Merouani, 38 ans, tout a commencé par une énorme contrariété. Le natif de Ain El Kercha, pas loin de Constantine, rêvait d’une belle carrière de footballeur, mais une blessure terrible fit exploser en vol sa légitime ambition. Nous sommes en 2002 . A 24 ans, tout était terminé. Mais à 24 ans, il eut l’envie de tout recommencer. Comme il n’a pas pu être un joueur de haut niveau,il allait devenir entraîneur. En passant ses diplômes et en commençant tout en bas de l’échelle. Poussins, minimes,cadets, juniors. Une trajectoire qui passa par Endoume, dans le Sud de la France, jusqu’à la Saudia League en 2015. Toujours comme adjoint. Au côtés de techniciens tels Denis Lavagne, Patrick Aussems, Alain Geiger ou Toufik Rouabah, il a beaucoup appris et beaucoup donné. Le temps de voler de ses propres ailes est sans doute venu pour cet admirateur de l’extraordinaire volonté de José Mourinho et du football champagne proposé par Pep Guardiola et l’école barcelonaise. Il nous l’a assuré dans cet entretien exclusif.
Vous avez eu comme premier entraîneur, Abdelhamid Kermali à l’US Chaouia: pas mal pour commencer une carrière de joueur. Quel souvenir vous-a-t-il laissé ?
Un excellent souvenir. Un souvenir ému. Allah ya rahmou ( ndlr, Kermali est décédé le 13 décembre 2013 ) ! Je l’ai connu alors que j’étais junior à l’US Chaouia. Un jour, il a demandé à l’entraîneur de ma catégorie de lui recommander un joueur pour un simple match d’application. J’ai été choisi. Le Cheikh m’ a fait jouer et a semblé être satisfait de ma performance. Mais c’était presque la fin de saison. Il ne restait que quelques matches à disputer. Avec lui, j’avais connu en quelque sorte (grand rire) mon quart d’heure de gloire. C’était un technicien et un homme très respecté.
Ensuite vous êtes passé par le NAHD, et le CSC…
Je ne suis pas resté longtemps à Hussein Dey. j’ y ai évolué notamment avec l’équipe espoir et un peu avec les seniors. C’est à Constantine que j’ai vraiment commencé à me faire une petite place. Il y avait de très bons joueurs expérimentés, dont Houhou et Boudemagh n’étaient pas les moins importants. J’étais le plus jeune, mais j’ai beaucoup appris à leur côté.
Et puis, il y a eu cette blessure qui change le parcours sportif mais aussi votre parcours de vie ? Racontez-nous.
Ce n’est évidemment pas un bon souvenir. Le plus terrible c’est que l’accident est arrivé à l’occasion d’un simple match de préparation contre le MC Alger. Mon genou a craqué suite à une action des plus anodines.La blessure la plus méchante que le footballeur redoute: la rupture des ligaments croisés. On me disait que j’en avais pour deux ou trois mois d’arrêt. J’ai traîné cela bien plus longtemps. Et j’ai fini par venir me faire opérer à Marseille par le professeur Francheschi. Le même chirurgien qui avait opéré Robert Pires, entre autres grandes stars du football français et international. Il m’a fallu ensuite une année de rééducation.En vain. J’ai fini par comprendre que je ne pouvais plus espérer faire une carrière de footballeur de haut niveau. Mon rêve s’était évanoui.
Vous vous êtes dit : » je n’ai pas pu avoir une vraie carrière de joueur, je vais être entraîneur ? » Cela s’est passé comme ça ?
Exactement. Mais pour y arriver, il me fallait aller au bout de mes études. Mes parents étaient à cheval sur la question et j’avais intérêt à ne pas les décevoir. J’ai fait une licence à l’Institut des Sports de Constantine avant de rejoindre Alger pour y suivre un magistère à Dely Ibrahim.
Vous n’avez pas eu peur de commencer à la base: travailler avec les tous petits, puis passer vos diplômes l’un après l’autre?
C’est à mon retour en France que tout s’est enchaîné.Installé à Aubagne, j’ai évolué comme joueur dans des clubs de CFA2 et de division d’honneur tout en m’occupant des plus jeunes, poussins et minimes.Mais c’est en rejoignant le club d’ Endoume dans la région de Marseille que ma carrière d’entraîneur a pris un vrai départ. Je me suis occupé des U15 et U17 avant de rejoindre le staff technique de l’équipe première.Je ne pouvais pas oublier que ce club avait vu passer des entraîneurs comme Roland Courbis et José Anigo. En même temps, j’ai passé et obtenu les diplômes UEFA A et B.
L’essentiel de votre expérience est celle d’un adjoint dans quelques clubs d’Arabie Saoudite. Pourquoi ce pays?
Tout est parti d’une recommandation. le préparateur physique Boudjemaa Mohammedi, un ancien collaborateur du sélectionneur Rabah Saâdane, avait donné mon nom au Suisse Alain Geiger qui cherchait un adjoint pour prendre en main l’équipe d’Al Ittifak. Ce fut une expérience enrichissante puisque nous avons réussi à qualifier le club en demi-finale de l’AFC Cup en 2012. Mais suite à un malentendu avec les dirigeants, cela s’est terminée par une séparation à l’amiable. Puis, en 2013, j’ai participé avec l’entraîneur algérien Toufik Rouabah, au sauvetage de la relégation du club d’ Al Taawoun avant de faire une saison complète avec une cinquième place comme récompense. La meilleure performance de l’histoire du club. Enfin, la troisième tentative, à Najran, avec Denis Lavagne, en 2015, fut moins aboutie et de courte durée. Je garde cependant un formidable souvenir de l’aventure saoudienne. J’ai beaucoup appris en tant qu’entraîneur, mais également en tant qu’homme.
Le football saoudien est technique, mais il doit progresser tactiquement
Quel est le niveau réel de la Saudia League? Si vous devez la comparer aux ligues maghrébines puis au niveau européen ?
Il est vraiment difficile de faire une comparaison. Les trois ou quatre clubs qui se battent régulièrement pour le titre, Al Nasr , Al Ittihad, Al Ahli et Al Hilal ont généralement de belles équipes parce que leurs moyens financiers son quasiment illimités. Leurs performances dans la Champions League le prouvent. Notamment lorsqu’elles disputent des finales contre des clubs japonais, sud-coréens ou Australiens; Grâce à de tels matches, ces clubs ont pris de la bouteille. Maintenant, il est vrai aussi que le reste est plutôt modeste. Tous les clubs saoudiens ne disposent pas des mêmes moyens qu’Al Hilal ou Al Ahli.
Quelles sont les caractéristiques du football et du footballeur saoudien ?
Le footballeur saoudien est technique et rapide, mais il souffre indéniablement sur le plan physique. Et surtout, il manque d’une vraie culture tactique. Cette faiblesse s’explique par l’absence de la formation à tous les niveaux. La détection des talents se fait souvent de manière empirique. Un jeune peut passer du football de rue au football de haute compétition. il suffit parfois que ce joueur ait réussi à convaincre durant une courte période d’essai.
Comme aux Emirats arabes unis et au Qatar, il y a une grande demande de joueurs étrangers…
Les clubs ont le droit d’engager au maximum quatre étrangers. La règle est claire en Arabie Saoudite. On recrute toujours un étranger par ligne: un défenseur axial, un milieu défensif, un milieu offensif et un finisseur. Ils veulent avoir une colonne vertébrale expérimentée. Mais ils ne recrutent jamais de gardien de but. Ce poste strictement réservé aux joueurs locaux.
Cependant la passion populaire semble plus réelle que dans les pays du Golfe arabe ?
Absolument.Les derbies entre clubs de Riyad ou de Jeddah se déroulent devant des stades combles.Les matches de Champions League ou de la Coupe du Golfe attirent également les foules.
Vous êtes toujours partant pour une expérience dans cette région du monde arabe ?
Bien sûr. J’irai là où mon savoir-faire et mon expérience est sollicitée.Malgré quelques ratés- ce qui est normal dans une carrière de technicien- je garde un excellent souvenir de mon expérience saoudienne et soudanaise ( ndlr, il a été l’adjoint de Patrick Aussems à Al-Hilal) .J’y ai beaucoup appris et noué de belles relations.
Ce qui ne gâte rien, vous avez quelques atouts dans votre manche: vous maîtrisez la langue arabe et vous pouvez réaliser le travail vidéo aujourd’hui indispensable et incontournable dans le football de haut niveau…
C’est vrai. En plus du français, je maîtrise l’anglais et l’arabe. Maîtriser la langue arabe et les valeurs sociales et culturelles du monde musulman aide énormément. Cela facilite l’adaptation et l’efficacité au travail.L’analyse vidéo fait aussi partie de mon bagage.
La réussite de Kheireddine Madoui mérite le respect
Et l’Algérie dans tout ça ? Il y a de plus en plus de coaches européens en Ligue 1 et Ligue 2. C’est plus difficile de se faire une petite place lorsqu’on est Algérien ?
Je ne crois pas.Pas plus qu’ailleurs Je trouve que l’on est parfois injuste avec les entraîneurs algériens. Kheireddine Madoui ne prouve-t-il par ses résultats à la tête de l’Entente de Sétif l’étendue de ses capacités. Pour moi, il est le meilleur coach algérien actuellement. Et puis, regardez combien les techniciens algériens sont demandés à l’étranger. Je peux vous assurer qu’ils sont très appréciés dans les pays du Golfe. Ils sont également présents au Maroc, en Tunisie…
Vous ne faites pas partie de ceux qui sont contre la présence en nombre d’entraîneurs étrangers ?
Mais pourquoi être contre? Il faut juste que les clubs fassent le bon choix. C’est une richesse pour le football algérien. Ils apportent souvent leur expérience et ce qui manque à notre football: la rigueur, la culture tactique dont on parlait tout à l’heure. Des hommes comme Hubert Velud, Alain Geiger, Bernard Slmondi sont un plus. Il ne faut pas opposer entraîneurs algériens et entraîneurs étrangers. A mon avis, ils se complètent.
Récemment, Moussa Saib, qui a entraîné la JSK, le MO Bejaia, l’ASO Chlef etc. nous a avoué que cela devenait dur et qu’il avait perdu l’envie d’être sur le banc dans son pays…
Je ne peux pas me permettre d’avoir un avis sur ce qu’à dit Moussa Saib. C’était un immense joueur que j’admirais alors que j’étais un jeune footballeur. Il a également fait une belle carrière d’entraîneur. Et s’il vous a livré son sentiment sur la condition de l’entraîneur en Algérie, c’est qu’il doit avoir ses raisons.
Vous avez été l’adjoint de plusieurs entraîneurs confirmés, l’heure est-elle venue de voler de vos propres ailes ?
( D’une voix ferme et assurée ). Très bientôt! Je vous le répète, la réussite d’un jeune entraîneur comme Madoui à Sétif est un encouragement. Nous avons à un an près le même âge. Et puis, comme moi, il a vu sa carrière de joueur brisée par une blessure. Il a été l’adjoint de Simondi, Velud et Geiger…
Avez-vous des propositions pour ce mercato ?
J’ai deux contacts. L’un en Algérie et l’autre à l’étranger. Désolé, je ne peux pas vous en dire plus. Mais (rieur), promis, vous serez les premiers informés le moment venu.
Sur votre compte Google + on peut lire: « Ce que nous faisons ne définit pas ce que nous sommes , ce qui nous définit c’est notre capacité a nous relever quand on est tombé. Vous vous retrouvez dans cette citation ?
Vous n’imaginez pas à quel point ! C’est ma philosophie de vie depuis que ma carrière de joueur a été stoppée par la blessure. Je sais que je ne dois pas baisser la tête et ne pas rester à terre quand je tombe.Je dois me relever et tirer les leçons de ce qui m’a fait chuter. C’est la condition de la réussite. je crois au travail, à l’effort, à la puissance de la volonté. Quand on veut, on peut et on y arrive presque toujours.
En tant que technicien, vous consacrez sans doute beaucoup de temps à suivre ce qui se fait dans le monde du football : quels sont les entraîneurs ou les écoles qui vous plaisent voire vous influencent ? Si je vous cite quelques noms : Mourinho, Wenger, Guardiola, Ancelotti….
Mourinho, justement, c’est l’exemple parfait de la puissance de la volonté. Voilà quelqu’un qui n’a pas été un grand joueur , qui a commencé comme soigneur et comme traducteur auprès de Bobby Robson à Barcelone et qui est devenu sans doute l’entraîneur le plus emblématique du football moderne. J’admire le Portugais pour ce parcours hors-norme qui laisse de l’espoir à tous ce qui ont une ambition dans la vie. Mais l’entraîneur que je suis est un inconditionnel de l’école barcelonaise, « guardiolaise » plus précisément. Je suis pour le football champagne, pour la maîtrise du jeu et de l’adversaire
Le poste que l’on a occupé comme joueur conditionne-t-il ce que l’on devient plus tard comme entraîneur ?
Oui, je le pense. J’ai été défenseur axial. Une position sur le terrain qui offre un horizon dégagé, une vision globale du jeu.On voit loin et donc ont peut plus sérieusement comprendre le jeu de son équipe et celle de l’adversaire.
Propos recueillis par Fayçal CHEHAT