Nommé en novembre dernier sur le banc du club champion de Mauritanie, le sélectionneur des Comores mène de front ses deux missions. Il évoque pour 2022mag.com et sans langue de bois sa découverte du football mauritanien, ses objectifs et son ambition pour la saison à venir. Rencontre avec l’un des meilleurs techniciens du football africain.
« Amir Abdou bonjour et bienvenue sur 2022mag.com. Pourquoi avoir rejoint le FC Nouadhibou en Mauritanie ? Déjà, parce que le football mauritanien est en voie de développement. Le championnat commence à se structurer. Pour moi c’est un football qui est en train de prendre un essor sur le continent africain. En suivant les résultats du FCN, je trouvais le projet intéressant pour une première sur le banc d’un club africain.
Qu’est-ce qui vous a convaincu de signer ? C’est l’ambition que le président Boughourbal avait, la patience sur la construction d’un projet à long terme. Et aussi la livraison du nouveau stade, puisque les infrastructures ont été refaites. L’amour du club qu’a le président, pour lequel il a beaucoup d’objectifs et qu’il veut amener à franchir un palier sur le plan continental.
Vous êtes de nouveau « cumulard » en termes de postes puisqu’également sélectionneur (depuis 2013) et en passe de jouer une CAN avec les Comores… Concernant la sélection des Comores, c’est vrai qu’il ne nous manque qu’un point pour pouvoir participer à la prochaine CAN au Cameroun en janvier 2022. On a quand même deux confrontations importantes à préparer ce mois-ci : la réception du Togo et un déplacement périlleux en Egypte. Ca se passe bien, j’essaie de m’équilibrer entre sélection et club. J’avais déjà connu ce cumul auparavant mais à une moindre échelle avec un club en France. Ca ne me perturbe pas plus que ça. J’arrive à m’organiser, je suis ma planification.
Quelles sont les ambitions du club mais aussi les vôtres ? Les ambitions du club sont simples : grandir et conserver le titre de champion, prendre la coupe nationale. Bien participer sur le plan africain, sans oublier notre participation à la Coupe Arabe. Je partage totalement toutes ces ambitions, j’ai faim de Ligue des champions par exemple et de Coupe Arabe. J’ai envie d’écrire une page, une histoire avec le FCN, un club très structuré. J’ai été très surpris, dans le bon sens du terme, du professionnalisme du club où il règne une rigueur, une discipline, une franchise entre personnes qui y travaillent. Le staff est de qualité et on vient travailler dans la bonne humeur. Je ne regrette vraiment pas ce choix.
Vous semblez disposer de moyens et d’outils très importants au quotidien. Est-ce le cas ? On a les moyens en termes d’infrastructures notamment. La Mauritanie vient d’organiser avec succès la CAN U20. Il y a des choses à faire. Le président est ouvert aux discussions, il est là pour faire avancer notre football et faire progresser son club.
Le club de Nouadhibou joue et s’entraîne à Nouakchott. Pourquoi ? Depuis ma signature en novembre 2020, je n’ai pas encore mis les pieds à Nouadhibou, pour des raisons de travaux sur le stade. On navigue entre différents stades de la capitale Nouakchott en attendant que les choses évoluent et qu’on puisse rentrer chez nous. J’ai l’impression qu’on joue à l’extérieur tous les jours ! Les conditions sont correctes malgré tout. On s’adapte.
C’est quoi une journée type pour vous ? Entraînement très tôt le matin, puis récupération. Entrainement en fin d’après-midi. Le soir, on débriefe avec l’encadrement et on prépare la séance du lendemain. Dès que j’ai fini ce travail, je me mets sur les Comores, j’échange avec les joueurs et mon staff. Je regarde aussi des matches le soir sur mon temps libre. Les journées sont assez chargées, on démarre à 7h jusqu’à parfois 2h du matin. Les nuits sont courtes.
Vous avez fait venir du staff, et vous avez même recruté des comoriens dans l’effectif. C’était un point important à vos yeux ? Quand on constitue un staff, c’est important de travailler avec des gens qu’on connaît. Ils doivent être des « soldats », prêts à mon exigence de travail. Ils connaissent ma méthode, mon fonctionnement. J’insiste sur rigueur et discipline. C’est vrai aussi que j’ai fait signer deux internationaux comoriens, Ali Attoumane Faouz Faidine et Youssouf Broihim. Ils s’adaptent et je suis très content d’eux et de leur progression. Ils sont bien encrés au sein de cet effectif. J’ai aussi recruté un défenseur international togolais, Ama Tchoutchoui, qui nous a rejoints en décembre. (NDLR : le FCN a recruté fin février un attaquant togolais, Koffi Koudo).
Vous étiez en stage tout récemment en Turquie puisque la CAN U20 se jouait à Nouakchott et à Nouadhibou. Quelle étaient vos attentes spécifiques sur ce stage ? D’abord, je remercie mon président d’avoir validé ce stage. Beaucoup de stages n’étaient jamais sortis d’Afrique. C’était un stage d’affutage. On recherchait l’intensité, mais aussi un travail sur l’aspect défensif du bloc équipe. Localement, on a la possession à 70% parfois, je cherchais donc des adversaires qui pouvaient nous mettre en difficultés, capable de nous obliger à courir derrière le ballon pendant une mi-temps et plus. L’objectif a été atteint. Il y a une bonne cohésion, le message est bien passé à travers ces oppositions. Les joueurs ont acquis une nouvelle mentalité. On n’est pas ridicules face à ces clubs.
Quel est le niveau du championnat mauritanien. Y a-t-il un peu d’adversité ? Le championnat est hétérogène. Il y a trois-quatre équipes avec un niveau intéressant. Les autres bagarrent pour survivre. L’objectif c’est de ne pas tomber dans la facilité. Il n’y a jamais de match facile. A nous de continuer à travailler pour dominer le championnat, dans le respect des adversaires. Un championnat n’est jamais facile. Certains joueurs peuvent parfois tomber dans la facilité, ça nous est arrivé en début de saison.
Quelle est votre lecture de ce qui s’est passé à Accra où vous avez été éliminés sans jouer, sur la foi de tests PCR que vous avez contesté. Qu’est-ce que ça vous inspire sur le plan de la moralité ? C’est de l’histoire ancienne. Il y a eu de tout, de la naïveté aussi. Je commence à être habitué aux choses qui se passent parfois en Afrique, et qui ne sont pas claires. A nous de plus reproduire les mêmes bêtises, et avoir un coup d’avance. Je m’en doutais un peu puisque j’avais dit à mes dirigeants que je m’attendais à un traquenard au Ghana. Malheureusement ç’a s’est réalisé. Je ne trouve pas ça sport de leur part. J’aurais préféré que le Kotoko Kumasi nous batte sur le terrain, et non pas sur des tests PCR… Ca nous sert de leçon. Continuons à avancer, à nous construire et à grandir. Voilà. Même si on peut dire qu’il y a un peu de rancœur. A nous de nous préparer pour revenir en LDC la saison prochaine.
Quelles sont vos relations avec le sélectionneur Corentin Martins ? Très bonnes, puisqu’avant ma signature, il m’avait donné quelques clés par rapport au FCN. Il m’avait parlé du sérieux du club et du président. Je contribue aussi au travail de Corentin, sur les joueurs du FCN qu’il appellera, aux plans tactique, athlétique. Il aura gagné un peu de temps sur le travail qu’on aura fait en club, par rapport aux joueurs venant d’Europe. C’est aussi pouvoir aider la sélection mauritanienne.
Diriger un club africain faisait-il partie de la liste des choses que vous vouliez vivre en tant que technicien ? J’avais un souhait, voir le football africain de plus près. J’avais envie de mettre les mains dans le cambouis, et de vivre une expérience sur le continent. Je me régale au quotidien même si c’est dur. Beaucoup de joueurs n’ont pas cette culture tactique, ni de discipline à la base. Mais ça vient, les joueurs sont des bosseurs et je suis très content de ce qu’ils sont en train de réaliser.
Nouadhibou peut-il devenir à son tour un Teungueth FC (club sénégalais qualifié pour la phase de poules en LDC) prochainement sur la scène africaine ? Avec modestie, je pense que oui. Parce que le club a tout pour réussir. Le président et son comité veulent développer le club. On a ici une académie avec un projet défini. On va continuer à attirer des joueurs de qualité, le club et le staff sont ambitieux. On est un laboratoire pour ce football mauritanien. Dans les années à venir, le FCN pourra certainement titiller des clubs africains. Je vois des belles choses et de plus en plus ici.
Allez-vous aider les meiĺleurs éléments de votre groupe à partir en Europe, en dehors du fait de les faire progresser ? Bien sûr. C’est une politique du président. D’abord, se structurer. Développer la capacité des joueurs sur les plans tactique, athlétique et psychologique. Je suis là pour accompagner ces joueurs. La progression est énorme depuis notre arrivée, certains commencent à démontrer de belles choses. Certains partiront pour l’Europe. Ce sera un plus pour le pays.
Allez-vous participer à la Coupe Arabe cette saison ? On se prépare en Turquie aussi dans l’optique de cette compétition. Je crois qu’on risque d’y entrer en avril. La Coupe arabe est aussi un objectif pour nous ».
Propos recueillis par Samir Farasha