Sélectionneur du Botswana depuis août 2019, l’ Algérien Adel Amrouche installé en Belgique depuis les années 1980 évoque en exclusivité pour 2022mag son quotidien en Afrique australe. Un pays où il travaille d’arrache-pied avec les Zèbres, le surnom de la sélection.
« Adel, bonjour ! Où avez-vous confiné depuis le début de la pandémie de Covid-19 ?
Bonjour 2022mag ! Ecoutez, j’ai été pris au piège en quelque sorte par le temps. J’ai mal négocié mon timing et je me suis retrouvé bloqué ici au Botswana, à Gaborone.
Pourquoi vous trouviez-vous à Gaborone ?
J’étais sur place dans le cadre des matches éliminatoires de CAN 2021. A ce moment-là, on n’était pas encore sûr du report des rencontres. Le jour où j’ai organisé mon retour sur la Belgique, le Botswana a fermé les aéroports. Le vol de la compagnie qatarie qui venait de Doha pour la Belgique, via Johannesburg, a été annulé. De fait, je me suis retrouvé bloqué ici. C’était pour moi une catastrophe car je m’imaginais mal rester ici seul à la maison. Mais le plus dur est passé.
Comment occupez-vous votre temps, en l’absence de matches à superviser ou à disputer ?
Mon occupation pendant la journée tourne autour de la recherche liée au football, de la méthodologie, de l’entraînement, de l’analyse statistique. D’autres étudiants me contactent. On a organisé des réunions « zoom » avec des enseignants. Je suis instructeur UEFA Pro et on est sollicité par des futurs grands entraîneurs. Alors on cause recherche, planning, méthode d’entrainement. On comble nos journées comme cela !
Vous ne comptez qu’un petit point en deux rencontres en éliminatoires de la CAN 2021 puisque vous avez fait nul contre le Zimbabwe et perdu 0-1 face à l’Algérie. Comment estimez-vous vos chances ?
On est dans le groupe des champions d’Afrique. C’est une poule solide, surtout avec une équipe du calibre de l’Algérie. Par contre, le nul dont vous parlez contre le Zimbabwe chez lui, avec son armada, ce n’est pas un petit point ! C’est un très bon point ! Les Khama Billiat et autres, ce sont des grands du football continental. D’habitude, on encaissait plusieurs buts, et là on les a contraints au nul. L’ambition avec les Zèbres, c’est d’aller le plus loin possible, de forcer notre destin. On essaie de bousculer les grands. Alors on reste optimistes et plein de détermination pour figurer lors de la prochaine CAN.
Votre sélection a été extrêmement critiquée en raison de son agressivité réelle ou supposée contre l’Algérie. Ne peut-on contester un tel adversaire qu’en jouant « dur » ?
On arrive à la question qui fâche ! Je suis étonné, je n’arrive pas à comprendre : critiqué par qui ? Par le coach de l’Algérie ? Par les petits bénis oui-oui ? Qu’on arrête ! Il faut revenir dans le contexte du match. On a été super hospitaliers vis-à-vis d’eux. On devait le jouer initialement à 600 kilomètres par une forte chaleur, 42 °C. Je connais mon peuple, un peuple émotionnel. Si cela n’avait pas été un Algérien en face, ce match serait rentré dans les oubliettes. Mais comme je suis un compatriote, il y a eu toute cette polémique. Si on avait gagné le match, je n’aurais pas pu rentrer en Algérie ! Imaginez que j’ai battu cette formation invincible, ç’aurait été un drame familial ! Malgré la victoire, les gens reparlent de ce match-là. Il ne faut pas développer un complexe de supériorité. Il y a eu une réponse irréfléchie du staff algérien. Avec le temps, ils vont comprendre que ce n’était pas vraiment l’enfer au Botswana. Ils le verront par la suite.
Expliquez-vous…
A part le gamin qui a pris deux cartons jaunes chez nous… Ici, c’est une mentalité anglophone, c’est un jeu direct. C’était seulement notre deuxième match, on ne peut pas tout changer en si peu de temps. Il ne fallait pas trop polémiquer et eux nous ont fait passer pour des méchants, des agressifs. J’aurais préféré qu’ils évoquent leurs insuffisances, leur manque de créativité. On a joué quinze minutes à dix. Comment ne sont-ils pas arrivés à marquer plus face à un adversaire aussi faible que nous ? Ils vont jouer des équipes qui vont cadenasser à l’avenir. Comment vont-ils faire ? Qu’ils règlent leurs problèmes tactiques. Je suis un peu déçu quand j’entends les commentaires de certains sur la façon dont on a joué…
Le Botswana n’est pas votre premier poste de sélectionneur puisque vous avez dirigé la Guinée Equatoriale, le Burundi, le Kenya et la Libye. Où situez-vous les Zèbres ?
Bonne question ! Le Botswana, je le situe à hauteur du Burundi et du Kenya. On construit une équipe et on commence à changer les mentalités des joueurs, leurs attitudes. On fait sortir nos joueurs à l’étranger pour qu’ils apprennent. Au Burundi, j’avais fait sortir 23 joueurs du pays. Au Kenya, pareil. Avec un travail de qualité, on peut mettre nos joueurs en vitrine et attirer des clubs. Je sais quels types de joueurs sont recherchés par les clubs européens.
Vous n’avez vécu aucune phase finale de CAN ou de CHAN. Est-ce une frustration, un regret, une déception ?
Frustration, non. Déception ou regret, non plus. Je reste positif. Je crois en mon destin. J’ai seulement une frustration par rapport à la CAF quand on m’a suspendu injustement. Et j’ai gagné mon procès contre eux. Mon passage au Kenya, je n’ai perdu aucun des 20 matches. Mais j’ai été descendu par l’institution africaine à l’époque. Je n’ai pas eu cette chance-là de vivre un tournoi parce que ce n’était peut-être pas le bon moment. Je patiente. L’essentiel est de continuer à bien faire mon travail, j’ai une bonne réputation sur le terrain en Afrique, et je reste fidèle à mes principes.
Quel est le niveau du championnat national, d’où provient la majorité de vos joueurs ?
Le niveau du championnat est tout juste moyen. Par rapport aux pays voisins, on n’est pas encore à un bon niveau. On est aussi là pour ça, et élever le niveau des coaches. Je n’ai pas beaucoup de joueurs en Afrique du Sud. J’en ai deux, dont un récemment transféré à Supersport Utd. La plupart sont des joueurs locaux, donc le boulot se fait au niveau de la compétition nationale. On est vraiment dans une phase de développement et on travaille étroitement avec les clubs.
Que préférez-vous dans le métier ? Coacher une sélection ou être dans le quotidien auprès d’un club ?
En Afrique, il y a des clubs à ne pas toucher… On sait que le football africain est gangréné par la corruption, qu’il y a des gens malsains autour. Un club, c’est une perte de temps… même s’il y en a une dizaine sur le continent où on peut bosser. Les autres ont leurs problèmes. Alors je préfère les sélections. J’aurais malgré tout aimé terminer mon histoire avec l’USM Alger. Il y avait aussi un projet avec la JS Kabylie. Ce sont deux clubs de cœur pour moi. Les gens qui me connaissent savent bien que je n’aime pas qu’on interfère dans mon travail, ce qui arrive souvent en club. A part au Daring Club Motema Pembe de Kinshasa (RDC) où j’ai fait trois ans, on a gagné deux championnats, une Supercoupe et une Coupe nationale. C’était merveilleux. C’est d’ailleurs l’un de mes meilleurs passages dans le foot africain. Récemment, des clubs sud-africains m’ont sollicité, mais j’avais donné ma parole au Botswana. Quand on est sélectionneur, on peut aussi se consacrer à la recherche, consacrer plus de temps à la famille, donner des cours. Le football reste une passion pour laquelle je vis. Comme l’a dit mon compatriote Saint-Augustin, je préfère « me perdre dans ma passion que perdre ma passion ».
Qu’en est-il de votre différend avec la fédération kenyanne ?
Par rapport au problème financier avec le Kenya, c’est réglé. Je ne voulais pas les bloquer pour la CAN ou pour une Coupe du monde 2022 au Qatar. Quand ils seront prêts à payer leur dette, OK. Je ne vais pas mettre une pression sur eux. La FIFA m’a donné raison dans cette affaire, donc je ne leur mets pas de pression. S’il n’y avait pas eu mes joueurs et le public, peut-être que les choses auraient été différentes. Ce sont des joueurs que j’ai aidés à exister dans le football. Bientôt, quand ils en auront les moyens, je serai dédommagé. Ce n’est pas la fin du monde, je bosse en ce moment.
Quel est votre programme des mois et semaines à venir ?
Pour les prochaines semaines, je pense à rentrer chez moi voir mes enfants et mes parents ! Mais il faut attendre ce qui aura été décidé avec la reprise du championnat. A partir de là, on sélectionnera les meilleurs joueurs pour voir comment ça a été après le confinement, leur degré de forme. Est-ce que certains vont émerger ? On attend, peut-être pour des matches amicaux dans la sous-région. L’avenir est un peu flou. On espère d’ici peu des directives du Ministère de la Santé. C’est délicat.
On l’a compris, vous avez envie de rentrer un peu en Belgique voir vos proches…
J’attends avec impatience de rentrer en Belgique. Pour le reste, quand commencera le championnat, ce sera plus facile de regrouper et rassembler les joueurs, programmer des mini-stages pour travailler la cohésion.
Le lockdown a t-il remis en question certaines choses pour vous ?
D’abord, le lockdown ne m’a pas touché. Je reste en toutes circonstances super positif au niveau de l’état d’esprit. Il n’y a rien qui me bloque de ce côté-là. Sur le plan sportif, je reste concentré sur notre objectif. Sur le plan contractuel, j’ai reçu pas mal de sollicitations. Quand on est honnête et travailleur, on est sollicités par d’autres nations et clubs, c’est la vie d’un entraîneur. Je ne me plains pas de ce côté-là. Mais je reste fidèle à mes principes. J’ai un contrat avec le Botswana que j’essaie de pousser le plus haut possible, pour essayer de décrocher une place parmi les grands. J’ai commencé à « nettoyer » la mentalité au sein de la sélection. Avant mon premier match, j’ai enlevé quatre joueurs qui consommaient de l’alcool. Puis 17 joueurs lors du suivant plus tout le staff autour. C’est une mission de nettoyage des mentalités et attitudes, on professionnalise. »
Propos recueillis par @Samir Farasha