Elle a l’enthousiasme et l’énergie de la jeunesse triomphante. Une activité débordante et des projets plein la tête. Ainsi que le courage et la volonté qui vont avec.En vérité, la Libanaise de 26 ans, Assile Toufaily, c’est la tête et les jambes. Ancienne jouuse de talent, international dans son pays, elle a, hélas, vu, très tôt, sa carrière interrompue brutalement par une rupture d’un ligament croisé.
Une période douloureuse qui priva l’inventive et prometteuse attaquante de pratiquer sa passion au très haut niveau. Ayant pris lucidement acte que les portes de l’accomplissement sur le terrain s’étaient refermées devant elle, Assile ne tarda pas à suivre une autre route en prenant soin de rester tout de même dans l’univers du sport et du football en particulier
Qu’à cela ne tienne ! Brillante étudiante, elle s’attelle aujourd’hui à réussir son doctorat en sociologie du sport à l’Université 1 de Lyon. Dans l’entretien qui suit, la native du pays du cèdre n’élude aucun sujet. Tout y passe : son passé de joueuse, son analyse de l’évolution du football féminin , balbutiant dans son pays, en pleine ascension en France, en Europe et en Amérique. Assile évoque aussi les joueurs et joueuses qui l’on fait rêver et ceux et celles qu’elle admire. Paroles d’une jeune femme pour qui le football est un savant mélange de raison et de passion. F.C
Bonjour Assile ! Fait peu courant dans les sociétés du sud de la Méditerranée, votre envie de jouer au football n’a pas été contrariée par vos parents (le père notamment) vous dites même que vous avez été encouragée …Chanceuse ?
Oui, franchement je pense que j’étais bien chanceuse ! mes parents étaient, et le sont toujours, mes plus grands supporters. Ils ont toujours cru en moi. Je me souviens bien de mes premiers pas dans le monde du football institutionnalisé. J’avais 12-13 ans et j’ai étais convoquée pour la première fois en équipe nationale (catégorie u17) pour participer à un festival amical organisé en Jordanie par la Fédération de football Norvégienne. On avait deux entretiens hebdomadaires à Beyrouth et moi je vivais dans le sud du pays. Mes parents m’accompagnaient aux entraînements et ne rataient aucun. J’aimerai également bien préciser qu’ils ne s’intéressaient pas aux commentaires négatifs des proches de la famille visant mon orientation sportive. Ils croyaient en moi et savaient que c’était ma passion.
Vous aviez raison d’insister puisque vous avez pu atteindre le haut niveau au point de porter le maillot national… sacré parcours !
Oui, j’ai toujours fait en sorte de ne rien lâcher ! Même si j’avoue que faire partie des élites au Liban n’est pas tant compliqué que ça. On n’était pas nombreuses et du coup, il suffisait d’avoir le talent et le faire valoir. J’ai été sélectionnée pour participer à plusieurs compétitions mais ma préférée restera la première convocation. C’était en 2013, j’avais 17 ans et j’étais convoquée en équipe A. J’ai débuté contre le Koweït. C’était la plus belle des sensations quand l’anthem à commencer à jouer.
La cassure : ligament croisé, Covid et compagnie…
Durant les dernières années de ma carrière, je n’étais pas souvent sélectionnée. Je n’avais plus le foot comme ma priorité. J’étais focalisée sur mes études et mon parcours professionnel. En plus, ayant remarqué les inégalités que subissent les footballeuses chez nous, je ne réussissais à me taire. Je me plaindrai toujours et j’attaquais la fédération bien souvent. J’étais bien consciente des conséquences possibles de mes actions mais là, je ne les regrette pas.
Jusqu’à cette rupture d’un ligament croisé qui vous a contraint à ranger vos crampons. Ce fut, on l’imagine, dur à vivre. Après tout, vous n’aviez que 23 ans et un avenir prometteur…
La rupture des ligaments croisés est sans doute le cauchemar de tout footballeur et de toute footballeuse. Tout mon entourage savait à quel point je haïssais cette blessure. C’était ma phobie.
Après avoir débuté ma 1ère saison avec l’équipe féminine du « SAFA FC », le club libanais historique, de la plus belle des manières, et lors d’un match contre BFA sur l’un des pires terrains synthétiques du pays, je me blesse.
Deux mois plus tard, en janvier 2020, je me suis faite opérée par Dr. Alfred Khoury, le meilleur spécialiste de la chirurgie du sport du pays. Je suis restée réveillée durant l’opération.
Ma période de réadaptation a coïncidé avec la pandémie de Covid ce qui a rendu mon retour sur les terrains beaucoup plus dur, compliqué et lent.
Treize mois plus tard, je joue le premier match « post ACL ». Mais, après des complications, j’ai décidé de mettre fin à ma carrière et à me concentrer sur la prochaine étape : le doctorat et le déménagement en France.
« Je n’ai pas regretté pas ma décision d’arrêter… »
Cela a dû être une grosse frustration de quitter la compétition alors qu’il vous restait tant à faire ?
Honnêtement, avec le recul, je ne regrette pas ma décision. A l’époque, et juste après la prise de décision, j’avais des « mixed feelings » : d’un côté, je savais que c’était le bon moment, mais de l’autre je ne voulais pas y croire. Un jour, je me suis réveillée avec cette envie de mettre fin à ma carrière. Je trouvais que nos sacrifices en tant que footballeuses libanaises n’étaient pas appréciés. J’ai décidé de profiter des derniers mois avant mon déménagement en France pour passer des moments avec la famille. Le contexte a facilité ma prise de décision.
En 2022, quel état des lieux pouvez-vous dresser de la pratique du football voire du sport en général au Liban ?
Nous vivons une des périodes les plus compliquées de l’histoire du pays. La crise économique s’est ajoutée à la pandémie et a perturbé le fonctionnement du système sportif.
Malgré des résultats particuliers très intéressants comme la qualification de l’équipe nationale masculine de basket à la prochaine coupe du monde, et le succès de l’équipe nationale féminine jeune de football (u18) au niveau régional, nous ne pouvons pas considérer le monde sportif comme une réussite au Liban. La corruption persiste toujours, les infrastructures ne permettent pas aux clubs et aux sportifs et sportives de faire valoir leurs talents, et le manque de professionnalisme les empêche de penser à se construire une réelle carrière sportive de haut niveau.
Quelles sont aujourd’hui les joueuses libanaises les plus prometteuses en mesure – par exemple – de gagner leur place dans les meilleures ligues européennes voire canadienne ou américaine ?
Je pense à Lili Iskandar, Lama Abdin, Cynthia Salha, Christy Maalouf, Cécile Iskandar, et nombre d’autres joueuses talentueuses. Mais, pour être honnête, je ne pense pas que le plus haut niveau, et surtout européen, leur est accessible. Le talent est partout au Liban. Si tu te balades dans les rues populaires, tu penseras que tu es à Rio de Janeiro. Y a que du talent. Malheureusement, le talent ne suffit pas. Le travail – surtout sur les qualités physiques – est indispensable. Atteindre le plus haut niveau nécessite un investissement prolongé et intensif, et cela manque au système footballistique libanais. Nous ne pouvons qu’admirer le développement ces dernières années, et les efforts effectués par tous : les instances dirigeantes, les clubs, les joueuses, etc. mais il reste du chemin à parcourir.
« Le Liban me manque, mais je dois tracer ma route »
Cela fait un an que vous vivez en France. Nostalgique ? Qu’est-ce qu’il vous manque le plus de votre pays natal ?
J’ai déménagé ici seule, sans ma famille. Eux, ils sont toujours là-bas : mes parents, ma sœur et mon frère. Des fois ça devient très dur. Je me sens, d’un coup, affaiblie, surtout lors des occasions spéciales tel que les anniversaires, les jours de fête, etc. mais je suis bien consciente qu’ici en France, je me crée un meilleur avenir.
Le pays me manque des fois aussi. Le Liban est un pays très particulier. Son peuple est très accueillant, et sa cuisine est une des meilleures. J’aimais mon mode de vie là-bas, j’aimais Beyrouth et ses rues, j’aimais sortir avec mes amies après les entraînements et les matches, j’aimais faire la connaissance des gens que je rencontrais dans la rue et être victime de la question libanaise la plus récurrente : « ente men wen ? » qui se traduit à : « tu es d’où ? ».
Revenons au football, votre passion. À l’évidence, en ce qui concerne le football masculin, vous êtes une inconditionnelle de Karim Benzema. Qu’est-ce qui explique cette passion pour l’attaquant du Real Madrid ?
Karim a été formé et a effectué ses premiers pas en pro à l’Olympique Lyonnais, et là, depuis plusieurs années, il écrit l’histoire avec le plus grand club du monde : le Real de Madrid. Mes deux clubs de cœur. Ça commence plutôt bien. Mais, c’est principalement son intelligence et son talent qui m’ont captivé.
Je suis une personne qui adore le style de jeu simple, loin de toute complexité. Karim représente bien cela. Il est un génie du football, il fait ce qu’il doit faire, sans exagération. Il peut jouer en 9, sa position initiale, mais il peut également jouer sur les côtés pour ouvrir les espaces pour d’autres joueurs (on se souvient bien de son rôle lorsque Cristiano Ronaldoétait au Real). Son entraîneur pourra également compter sur lui pour s’approcher du milieu et faire « monter la balle ». A mon avis, c’est un joueur complet et ses stats ces dernières années le montrent.
Benzema, son idole, « est un génie du football »
Comment avez-vous vécu son retour chez les Bleus après cinq ans de bannissement ?
C’était bien mérité ! après avoir été mis à l’écart pour plusieurs années – pour des raisons pas tout à fait légitime – il a fait son retour de la plus belles des manières. Cette Coupe du Monde sera particulière pour lui : il jouera en tant que Ballon d’Or et essayera d’aider la sélection à « garder la coupe à la maison ».
Vous vouez aussi une grande admiration pour Zidane même si vous étiez juste une enfant quand il a mis fin à sa carrière. Encore un attaquant et un créateur.
Oui ! comme je vous ai dit, j’ai un œil pour les joueurs meneurs de jeu et créateurs. Cette admiration pour Zidane était influencée par le fait que j’ai de la famille qui vit en France.
En 2006, mes cousins libano-français visitaient le Liban. On a regardé la coupe du monde ensemble. Folle de l’équipe nationale Brésilienne de l’époque, et notamment de Ronaldo Fénoméno, j’ai constaté à quel point le peuple français adorait Zizou, surtout grâce à ses deux buts de la tête en 1998.
Le quart de finale entre la France et le Brésil m’avait choqué. Zidane a dominé le match seul. On entend beaucoup de gens dire qu’il a été le vrai brésilien sur le terrain ce jour-là, mais ils n’ont pas tort. Sa performance était d’une autre planète. Depuis ce jour-là, j’ai appris à l’aimer encore plus qu’avant (il jouait avec le Real, donc je l’aimais déjà !)
A ne pas négliger son rôle comme entraîneur aussi. Je n’ai jamais vu un coach avec un tel pouvoir au sein du vestiaire, mais c’est logique : imaginez que votre idole devienne votre coach ! J’attends avec impatience le jour où il sera nommé entraîneur des Bleus !
Et chez les femmes quelles sont les joueuses actuelles qui vous impressionnent le plus et pourquoi ?
Ces dernières années, avec la diffusion de plus de championnats sur les chaines TV mais également sur YouTube, etc. j’ai pu suivre de plus près le football féminin, car j’avoue qu’avant, je ne pouvais que regarder les grandes compétitions internationales – Coupe du monde, Coupe d’Europe, etc. – je n’avais pas accès aux championnats européens au Liban. Heureusement, maintenant j’arrive à suivre la D1 Arkema en France, la Primera Division en Espagne, la Women’s Super League en Angleterre, et la Women’s Champions League.
Son cinq majeur dans la galaxie féminine
Plusieurs joueuses m’inspirent, mais pour pouvoir vous répondre, je choisirai une équipe à 5 composée de :
- Wendie Renard. Son parcours mérite d’être mis en valeur. La légende de l’OL !
- Selma Bacha. Ma future Ballon d’Or.
- Keira Walsh. Tactiquement, elle est exceptionnelle.
- Alexia Putellas. Comment ne pas admirer son talent ?
- Ada Hegerberg. Elle m’inspire sur mais surtout en dehors du terrain !
Laquelle mériterait selon vous le titre de meilleure joueuse de tous les temps ?
La brésilienne Marta Vieira da Silva. Pas besoin de justifier. Un talent hors norme. En termes de technique et de maitrise du ballon, elle est la meilleure de l’histoire. S’il existait un Ballon d’Or féminin avant 2018 (je ne comprends toujours pas pourquoi France Football a tardé à mettre cette récompense en place), elle l’aurait remporté plusieurs fois.
Que vous inspirent les derniers acquis des footballeuses dans la pratique de leur métier : avancées dans le domaine de la maternité et de la sécurité sociale (en Europe), de l’égalité des primes avec les hommes (Etats-Unis) et d’une meilleure visibilité dans les médias…
Il était temps ! le football féminin continue d’évoluer partout dans le monde. Bien sûr, des pays, tels que les Etats-Unis, l’Angleterre, sont plus avancés que d’autres mais le plan de féminisation de la FIFA contribue au développement de la pratique sur le globe.
Côté visibilité médiatique, le football féminin mérite plus d’attention. Des projets de féminisation du football doivent être mis en place par les différentes chaînes sportives. L’exemple de la diffusion du championnat Anglais « Women’s Super League » mérite toute attention : les matches sont diffusés gratuitement afin d’augmenter le nombre de spectateurs.
Si en Europe et en Amérique – et pour quelques pays asiatiques dont le Japon, la Chine et la Corée du Sud – le football féminin est clairement installé dans le paysage sportif et gagne du terrain sur le plan économique, dans le reste du monde les progrès sont infimes et les conditions de la pratique très précaires. Le fossé est entrain de creuser.
Oui, bien évidemment. Je ne peux ici que penser à l’importance de la religion et de la société dans le creusement de ce fossé. Prenons les sociétés des pays musulmans par exemple, le football reste peu accessible pour la majorité des filles : le sport est considéré très masculin, viril, inapproprié, etc. La fille doit avant tout penser à son avenir d’épouse et de maman. Au Liban, les filles voient, ces dernières années, augmenter leur possibilité de pratiquer le football. Mais dans les régions plus conservatrices et « très religieuses », les parents, et surtout le père, empêchent encore leur fille de jouer.
« Je m’intéresse à la socialisation des footballeuses »
Les footballeuses de cette zone, seront-elles, à l’image de ce que connaissant leurs homologues masculins, condamnées à s’exiler pour vivre leur rêve ?
Bien évidemment. Le rêve de toute footballeuse est sans doute de jouer en Europe ou aux Etats-Unis, où les carrières professionnelles ou même semi-professionnelles sont possibles. La footballeuse pourra ainsi rêver de « faire du foot son métier », se consacrer à sa profession tout en garantissant ses droits fondamentaux.
Côté Libanais, et depuis la crise économique, une partie importante des footballeuses ont quitté le pays et se sont installées dans d’autres contrées où le football féminin est plus développé. Leur choix dépend majoritairement des deux projets sportif et académique. Je pense à Haneen Tamim, Farah el-Tayar, Mira Hoteit, et Racha Yaghi, entre autres.
Vous êtes à l’université Lyon 1 pour suivre un doctorat dans le domaine de la sociologie du sport. Pouvez-vous nous résumer l’objet de votre recherche ?
J’effectue actuellement une thèse de doctorat sur les jeunes footballeuses au Liban et en France au sein du Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport « LViS » de l’Université de Lyon 1.
Je m’intéresse à leur socialisation sportive et à la construction de leur carrière de footballeuse de haut niveau. Je suis en deuxième année : celle-ci est consacrée à l’étude des deux espaces français et libanais.
Pourquoi Lyon ? Parce que c’est la ville qui abrite la plus grande équipe professionnelle féminine d’Europe, sinon du monde ?
C’est ça ! très facile et logique ! Lyon est à mon avis la ville « ambassadrice » du football féminin international. Le Président Jean-Michel Aulas a été le premier à croire à cette féminisation du football, et son pari a été gagnant ! Les 8 Women’s Champions League viennent récompenser le travail du club.
Je suppose que c’est un grand bonheur de pouvoir suivre de très près la vie d’une équipe féminine d’un tel niveau… Vous avez, nous croyons savoir, l’envie d’y effectuer une immersion afin de comprendre le fonctionnement d’une telle machine…
J’ai commencé l’immersion mais avec l’équipe réserve composée des joueuses âgées de 16 à 19 et qui envisagent d’intégrer l’ équipe pro.
Je me considère très honorée d’avoir cette opportunité surtout que le milieu footballistique est considéré comme fermé et peu accessible. J’espère que mon travail permettra de mieux comprendre comment une carrière de footballeuse de haut niveau se construit, et d’appréhender l’impact des différents agents sociaux sur cette carrière.
Je tiens ici à remercier l’Olympique Lyonnais et surtout Laurie Dacquigny, la directrice du centre de formation féminin du club, pour leur confiance.
Une fois votre doctorat obtenu, vers quelle activité professionnelle vous vous orienterez et quel projet vous rendrait vraiment heureuse ?
Pour le long terme, et après l’obtention de mon doctorat, j’aimerais consacrer mon projet professionnel au développement de la pratique. J’espère pouvoir intégrer une institution sportive (organisation, fédération, club, etc.) afin de contribuer à l’amélioration des conditions de pratique des filles et femmes, tant en France, qu’au Liban et partout dans le monde. Pour le court terme, je travaille sur deux projets professionnels que j’espère verront le jour prochainement.
@ Propos recueillis par Fayçal CHEHAT
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À noter que Assile Toufaily a commencé la réalisation d’un podcast consacré au football féminin :
LES PRÉFÉRENCES D’ASSILE
Votre livre: “For one more day” de Mitch Albom
Votre film: “The Blind Side” avec Sandra Bullock!
Votre série : j’hésite trop là mais je dirai « The Blacklist »
Votre chanson : « Hotel California » du groupe Eagles !
Votre ville : Beyrouth. Elle restera à jamais mon point faible.
Votre peintre : pas de préférences.
Votre acteur : Morgan Freeman
Votre actrice : Jennifer Aniston
Votre parfum : Burberry Sport
Votre sport : Foot et Tennis !
Votre talent caché : je dors beaucoup !
Votre voyage inoubliable : Norvège en 2010