Ancien sélectionneur de la RDC, de la Guinée et de la Mauritanie, le technicien français est l’invité de la rédaction de 2022mag. Il nous livre son pronostic pour les quarts de finale et évoque le premier tour de la CAN.
Patrice Neveu, que pensez-vous du choc entre le Burkina Faso et la Tunisie ?
Bonjour. Avant de vous livrer mon analyse, je veux dire en préambule que, à la différence des dernières phases finales de CAN, les huit derniers qualifiés peuvent tous ambitionner d’aller chercher la Coupe. Autrefois, deux ou trois équipes se détachaient. Pas cette année. C’est dû aux défections dans certains effectifs mais aussi au renouvellement des équipes, puisque certaines comme la Côte d’Ivoire, le Maroc ou le Cameroun sont en reconstruction. On ne remplace pas comme ça des joueurs importants dans le vestiaire, surtout si ce sont des leaders, des meneurs. Certaines équipes on l’a vu manquent d’âme et d’allant, un travail fait par les leaders.
Revenons donc à cette première affiche, Burkina – Tunisie…
Pour moi, ces deux équipes se ressemblent, techniquement et tactiquement. On s’attend à des quarts très serrés, et des matches fermés. On voit qu’elles reposent sur une bonne organisation et une solidité défensive. Ce match sera donc très serré. Du cinquante-cinquante.
Le Ghana défie de son côté la RDC…
Les Black Stars du Ghana sont favoris, même si la RDC est dans une belle continuité par rapport aux dernières années, avec sa 3e place à la CAN 2015 et sa victoire au CHAN 2016. Ibenge, son coach, a l’avantage de vivre au pays et de travailler aussi en club. C’est celui qui exploite le mieux les joueurs locaux. Il met une belle discipline, une vraie rigueur. Mais depuis le début, je vois le Ghana comme le grand favori de cette épreuve. C’est une équipe qui s’est préparée pour aller au bout. On ne les a pas reconnus face à l’Egypte (0-1), où ils n’ont pas affiché cette détermination. Mais le Ghana a des joueurs décisifs offensivement.
Les quarts offrent un derby d’Afrique du Nord entre le Maroc et l’Egypte…
Je vois le Maroc. Hervé Renard, compte tenu des nombreuses absences dans son groupe, a mis en place un système de jeu -le 3-5-2- qui permet à son équipe de jouer magnifiquement. Elle est solide derrière mais manque de puissance devant. Malgré tout, face aux Pharaons, ça peut passer. L’Egypte a elle aussi un jeu efficace, on l’a vue à l’aise lors de son dernier match 1-0 contre le Ghana. Là encore, on ne sent pas de gros écarts entre les deux équipes, qui aiment jouer au sol. Par rapport à son état d’esprit, j’estime que le Maroc peut pousser l’aventure jusque dans le dernier carré.
Le dernier quart est une grosse affiche, Sénégal-Cameroun. Comment l’imaginez-vous ?
On a vu une certaine embellie dans les prestations du Sénégal, qui le met en posture de grand favori dans ce tournoi. Attention à ce que ce statut ne les fasse pas déjouer. J’avais vécu ça avec la Guinée en 2006 où on avait gagné nos trois matches du premier tour, et même mené 1-0 en quart contre le Sénégal avant de nous effondrer. Un moment de flottement et cela peut vite basculer ! Le Sénégal reste au dessus des Lions indomptables. Je pense qu’il y aura des séances de tirs au but dans ces quarts !
Quels joueurs vous ont plu au premier tour ?
Je mettrai en avant le Marocain Boussoufa et son compatriote Alioui, Fathy et Ali Gabr (EGY), Piqueti (GBI), Nakoulma (BUF), Mané et Diallo (SEN), Atsu (GHA), Billiat (ZIM) et bien sûr le Congolais Kabananga.
Lesquels, a contrario, vous ont déçu ?
Belkhiter l’Agérien, Aubameyang, Aurier Serge, Max Alain Gradel et Wilfried Zaha les Ivoiriens, pour ne citer que les principaux.
Revenons à l’élimination surprise de l’Algérie dès le 1er tour. Quelle est votre analyse de la situation ?
C’est une équipe qui a perdu son âme. Toutes les équipes ont des individualités qui doivent se mettre au servir du collectif. Ca n’a pas été le cas. J’ai également senti un coach, Leekens, sans maîtrise de son groupe. Il y a eu des rendements insuffisants, c’est vrai. Mais aussi des décisions discutables.
Que manquait-il ?
Il n’y avait pas un style de jeu qui se dégageait comme du temps de Vahid Halilhodzic, un entraîneur de caractère. Les joueurs ont besoin d’avoir des lignes directrices, surtout en sélection. Là, il n’y avait rien. Mahrez, on ne l’a vu qu’épisodiquement, sur des coups de patte individuels. Ca remet à sa vraie place le choix et la personnalité du sélectionneur.
Dans quel sens ?
C’est un métier dur. Pour cette compétition, il faut être prêt et endurant, jusqu’au bout, par rapport aux joueurs, aux médias, au soutien des dirigeants. Et ce, toujours dans l’intérêt de l’équipe. Cette Algérie était trop gentille, elle ne se rebellait pas. Elle tournait à cinquante pour cent. Se pose aujourd’hui la question : que veulent les autorités pour continuer ? Il faut certainement un technicien qui sache manier les deux cultures, l’identité du pays et l’aspect footballistique. Ca a été compliqué avec Rajevac et ça n’a pas pris avec Leekens.
C’était intéressant du temps de Gourcuff…
Oui mais Christian est un entraîneur de club, avec des grands principes de jeu, quelqu’un qui aime travailler sur le long terme par rapport à la mise en place d’un système de jeu. Or, en sélection, le temps est compté, on n’a pas le droit à deux défaites de suite. On peut difficilement avoir un discours sur la longueur. Vahid a fait des meilleurs résultats. On le trouvait trop rigoureux mais il allait dans la bonne direction.
Pour terminer, envisagez-vous une victoire finale d’une nation du monde arabe, Tunisie, Maroc ou Egypte ?
Non, pas un instant. Même si elles possèdent chacune des qualités propres, et j’apprécie tout particulièrement les Lions de l’Atlas de mon ami Hervé Renard, je vois plutôt une nation comme le Ghana ou le Sénégal succéder à la Côte d’Ivoire. »
@Samir Farasha