Trois mois avant un Mundial espagnol qui verra débuter l’Algérie, la Coupe d’Afrique des Nations s’est invitée en Libye. Un tournoi peu prolifique en buts qui vit l’équipe nationale libyenne atteindre la finale à la surprise générale. Souvenez-vous…
En ce début de mois de mars 1982, l’élite africaine, qui n’est alors composée que de huit participants, s’est donnée rendez-vous au Nord du continent. Plus précisément à Benghazi et Tripoli, en Jamahiriya, l’ancien nom de la Libye du temps du Colonel Mouammar Kadhafi. C’est la première fois depuis huit ans et l’édition 1974 en Egypte que le cirque ambulant de la CAN se pose en Afrique du Nord. C’est surtout la toute première fois que la Libye reçoit une compétition internationale de renom sur son sol.Nul ne connaît alors la valeur, réelle ou supposée, de sa sélection qui se retrouve dans le groupe 1, à Tripoli, avec le Ghana, la Tunisie et surtout le Cameroun, qui doit disputer sa première Coupe du monde trois mois plus tard. Petit avantage indéniable, la Libye va évoluer sur des terrains synthétiques qu’elle connaît parfaitement, à l’instar de l’Algérie qui dispose elle aussi de tels revêtements, et qui vont cruellement gêner des adversaires subsahariens habitués aux gazons naturels.
La bande à Bela Gölti accroche de grands Black Stars
A la surprise générale, les Libyens réalisent un match courageux et solide face aux Black Stars du Ghana en ouverture de cette XIIIe CAN (2-2). L’équipe est dirigée par un technicien du bloc de l’Est, le Hongrois Bela Göltl. Celle du Ghana par CK Gyamfi, légende vivante en tant que joueur devenu un grand entraîneur, aujourd’hui disparu. Ce qui surprend avec cette Libye, c’est son mental et sa capacité à réagir aux coups d’accélérateur d’un Ghana très joueur. Issawi lui donne l’avantage à la 76e minute (2-1) après qu’elle ait été menée 1-0. Mais elle se fait rejoindre à la 89e.
Deux jours après cette encourageante sortie face au champion 1978 qui est privé de ses expatriés Karim Abdul Razak « Rouquin » -Ballon d’or africain 1978- et Adolf Armah, restés aux Emirats, la Libye reçoit la Tunisie, qui a arraché un nul au Cameroun lors de la 1re journée. Sans autre idée que celle de préparer l’avenir, la sélection tunisienne pilotée par le Polonais Kulesza, et qui compte quand même Tarek Dhiab et Khaled Ben Yahia, baisse pavillon (2-0) devant sa voisine libyenne, qui pratique un « hourra football » débridé comme l’écrira le regretté journaliste tunisien Faouzi Mahjoub dans son ouvrage référence, « Trente ans de Coupe d’Afrique des Nations ».Pour valider son ticket pour le dernier carré, la Libye doit encore sortir le grand jeu pour son troisième match de poule contre les Lions indomptables. Au cours de la rencontre, deux hommes se mettent en valeur : Kouafi, le gardien de but et Issawi, l’avant-centre libyen, vingt deux ans à l’époque, et l’un des tout meilleurs joueurs de l’histoire du foot libyen (90 capes, 40 buts). Le Cameroun est accroché (0-0), mais se qualifie pour les demies en compagnie du pays hôte.
De son côté, l’Algérie mondialiste boucle son groupe avec aisance : deux victoires et un nul, juste devant de surprenants Zambiens. C’est eux qui vont donner la réplique à la Libye en demie, tandis que l’Algérie sera opposée au Ghana où brille un petit jeune prometteur, Abedi Ayew, dit Pelé.En demie, dans son fief de Tripoli, la Libye continue son bonhomme de chemin et écarte la Zambie (2-1) grâce à un nouveau but de son arrière latéral gauche Beshari, qui en inscrira trois au total dans cette CAN. De son côté, l’Algérie a succombé au Ghana (3-2) après prolongation. La déception est immense chez les Fennecs, dont la CAN était l’ultime répétition dans une compétition, avant une série de matches amicaux. Les Black Stars, eux, savourent. C’est qu’ils n’auraient jamais dû participer à cette CAN, pour des raisons politiques puisque le régime ghanéen était jusqu’alors en froid avec Kadhafi. Mais le coup d’état militaire du 31 décembre 1981 a finalement permis à l’équipe de se préparer puis de disputer le tournoi. Et les voilà en passe de gagner une quatrième CAN, après 1963, 1965 et 1978.
Faouzi Issawi désigné meilleur joueur du tournoi
Dans l’hebdomadaire France Football, le journaliste Gérard Dreyfus révèle comment la Libye, en partant de rien, a monté une sélection nationale qui tenait la route : « La Libye, depuis trois ans, s’est mise en réserve de la république du football. Prônant le sport de masse, elle s’est désintéressée de l’élite. Il a fallu qu’elle organise l’épreuve pour qu’elle bâtisse à la hâte une équipe nationale »… Parvenus en finale quinze jours après s’être affrontés au 1er tour (2-2), Ghanéens et Libyens se sont retrouvés à Tripoli pour une revanche promise aux Black Stars, montés en puissance.
Courageux et enthousiastes, les Libyens ont subi les vagues adverses. A ce petit jeu, George Alhassan, l’avant-centre des Black Stars, ouvrait la marque en première période. Il fallut attendre le dernier quart d’heure pour que le fameux Beshari donne une lueur d’espoir aux 47 000 spectateurs. Finalement, le Ghana s’imposait 7 à 6 aux tirs au but. Pour la Libye, le joli rêve sportif était passé. La CAN, qui nécessita une année de préparation et coûta près d’un million et de mi de dollars au pays fut considérée en Libye comme un succès populaire : 300 000 spectateurs pour seize matches. Trois joueurs issus de la Jamahiriya furent retenus dans le onze type du tournoi : Kouafi le gardien, Beshari le latéral gauche, et Faouzi Issawi, l’avant-centre, également désigné Meilleur joueur de cette édition.
Par la suite, le football libyen retombe dans une certaine atonie. La sélection nationale va vivoter pendant un quart de siècle. Elle ne refait surface qu’en 2005, quand elle se qualifie pour sa deuxième participation à la CAN 2006 en Egypte. Six ans plus tard, elle sera de retour lors de l’édition Gabon- Guinée Equatoriale. Son fait de gloire, c’est encore une compétition africaine qui va lui offrir, alors que le pays est déchiré par une guerre civile sans nom. La sélection prend part en janvier 2014 au CHAN, la coupe d’Afrique des Nations destinée aux joueurs locaux. Sous la conduite du chevronné technicien espagnol Javier Clemente, l’équipe trace sa route jusqu’à la finale de l’épreuve. Opposée au Ghana, comme sa devancière de 1982, elle obtient le nul dans le temps réglementaire. Mais cette fois, c’est elle qui s’impose, aux tirs au but ! Les anciens de 1982, Kouafi, Beshari et Issawi, sont vengés d’une certaine façon. Ce titre récompense une jeunesse libyenne pétrie de qualités, au moment où son pays s’entre-déchire…
@Samir Farasha