Présente à la deuxième édition de la Coupe du monde (Italie 1934), l’Egypte aura dû patienter cinquante six ans avant de se qualifier de nouveau. Pour ce qui fut l’apothéose d’une fabuleuse génération de champions.
C’est l’histoire d’une longue série d’échecs et d’absences. Pays fondateur de la CAF en 1957, institution qu’elle abrite depuis soixante ans, l’Egypte a toujours eu un faible pour la Coupe du monde. La grande, la vraie, celle qui fascine le grand public et fait rêver les petites comme les grandes nations. Est-ce parce qu’une génération de pionniers, en 1934, permirent aux Pharaons d’y participer ? C’était un 27 mai à Naples, face à la Hongrie, et la formation dirigée par le Britannique James McRea s’inclina 4-2 (2-1 à la mi-temps). Le grand héros du jour fut Abdel Rahman Fawzi, double buteur (38e et 67e). Par la suite, ce ne fut qu’une suite ininterrompue de rendez-vous manqués entre Pharaons ambitieux, à l’image de leur Chef d’Etat, et la Coupe du monde. Ecartés par l’Italie pour le tournoi 1954 (1-2, 1-5), forfait lors des éliminatoires de 1958, absents pour ceux de 1962 et de 1970… Les premiers mondialistes du continent africain et du monde arabe ne reviennent qu’en 1972-73, mais ils sont giflés par la Tunisie (2-1, 0-2). De nouveau compétitifs à partir de 1975-76, ils atteignent le dernier tour des éliminatoires d’Argentine 1978, après avoir écartés sur leur chemin l’Ethiopie (3-0, 2-1), le Kenya (0-0, 1-0) et la Zambie (2-0, 0-0). Opposés à la Tunisie et au Nigeria dans la poule finale, les Egyptiens perdent lourdement à Lagos (4-0) et à Tunis (4-1) mais gagnent chez eux. Ce sont finalement les Aigles de Carthage qui les devancent, pour un point, et se qualifient pour 1978. Motivés, les hommes du Caire se font piéger au Maroc lors des éliminatoires de 1982 (1-0, 0-0) et de 1986 (0-0, 0-2). C’est pourtant cette même équipe qui sera sacrée championne d’Afrique le 21 mars 1986 au Caire après avoir disposé du Cameroun aux tirs au but. A cette époque, les clubs égyptiens trustent les titre sur la scène continentale, qu’il s’agisse du Ahly ou de son frère ennemi, le Zamalek. Presque un âge d’or, dont vont profiter les Pharaons.
Eliminés sans gloire lors de la CAN 1988 au Maroc (deux défaites contre le Cameroun 1-0 et le Nigeria 3-0), les désormais ex-champions d’Afrique reportent toutes leurs ambitions sur la Coupe du monde 1990. En Italie. Comme un symbole. L’envie est forte de renouer avec ce pays cinquante ans plus tard. Dès la phase de groupe, l’Egypte parvient à s’extirper d’une poule qui compte le Malawi, le Kenya et surtout le Liberia d’un jeune qui monte, George Weah. Les Pharaons terminent en tête avec deux longueurs d’avance sur cet adversaire qui les a battus à Monrovia (1-0). Le dernier tour éliminatoire, qui offrira les deux tickets qualificatifs, les oppose à l’Algérie, alors double participante au Mondial (1982, 1986). Tenus en échec en Algérie, les Pharaons s’imposent au Caire (1-0) le 17 novembree 1989. Une confrontation porteuse d’un drame personnel pour le légendaire Lakhdar Belloumi, injustement accusé d’avoir blessé un médecin égyptien à l’hôtel. Qualifiés dans la douleur, les Pharaons disposent avec la Coupe d’Afrique en Algérie, d’une ultime répétition de qualité. Pour, officiellement, des raisons de sécurité, l’Egypte délègue en mars 1990 une équipe B, emmenée par le gardien de but vétéran Thabet El-Batal. Elle sera balayée lors de ce premier tour par tous ces adversaires, et aurait bien mérité d’être sanctionnée par la CAF…
Au printemps 1990, les Pharaons fourbissent tranquillement leurs armes, même si une défaite (3-1) en amical contre la Roumanie a fait grincer des dents des millions de supporters. L’équipe, en préparatifs, a peu marqué et encaissé plus de buts que de coutume. La tâche qui leur est proposée en Italie est extrêmement compliquée. Ils ont hérité des Pays-Bas, champions d’Europe 1988, de l’Irlande et de l’Angleterre, qui exporta le football en Egypte. Mais Mahmoud El-Gohari, ancien attaquant vedette de la sélection devenu sélectionneur national, ne panique pas. Il dispose d’une véritable « Dream Team », certes vieillissante mais très expérimentée puisqu’elle joue régulièrement des adversaires issus d’autres continents que le sien.
Pour le tournoi final, El-Gohari a convoqué onze joueurs du Ahly, six du Zamalek et deux expatriés, le milieu offensif Magdi Tolba (PAOK Salonique, Grèce) et Magdi Abdelghani (Beira Mar, Portugal). Quand débute la compétition, le 12 juin à Palerme, le madré technicien aligne une formation pour le moins défensive. Dans le but, la légende Ahmed Shoubeir (29 ans, Ahly). En défense, l’élégant Hany Ramzy (21 ans, Ahly) à la fine technique. Dirigé par le capitaine vétéran Gamal Abdelhamid (32 ans, Zamalek), l’entrejeu fait place à des joueurs techniques et mobiles comme Ismaïl Youssef (Zamalek) ou encore Abdelghani. Le secteur offensif est confié à deux vrais buteurs, Hossam Hassan (23 ans, Ahly) dont le jumeau Ibrahim évolue au poste de latéral droit, et au Nubien Ahmed Al-Kas (24 ans, Olympic Alexandrie). Alerté par la victoire du Cameroun sur l’Egypte, Leo Beenhakker, le coach des Néerlandais, ne prend pas cette Egypte à la légère. Après un petit round d’observation, les Pharaons se mettent enfin à jouer. Mis en confiance par leur bon début de match, ils s’offrent même quelques occasions tout en restant prudents. Juste avant l’heure de jeu, Wim Kieft ouvre pourtant la marque sur un service de Van Basten (1-0). Gohari ne s’en laisse pas compter et fait entrer du sang neuf, avec Tolba et Abdelrahman. Dix minutes avant la fin, Hossam Hassan est descendu dans la surface de réparation. Spécialiste des coups de pied arrêtés, Magdi Abdelghani transforme le penalty sans trembler (1-1, 82e). L’Egypte se recroqueville et protège ce match nul jusqu’au bout.
Pour leur deuxième sortie, cinq jours plus tard, les Pharaons accueillent l’Irlande de Jacky Charlton à Palerme. Un match à sens unique dominé par les Irlandais (onze frappes contre quatre), et qui a permis à Shoubeir de démontrer qu’il faisait bien partie des tout meilleurs gardiens d’Afrique. Vêtus de rouge cette fois, les Pharaons ont souffert physiquement, Gohari ayant pratiquement reconduit le même onze que face aux Pays-Bas. Fringants et ambitieux contre les Bataves, les Egyptiens se montrent cette fois bétonneurs et ultra défensifs. Gohari lance Tahar Abou Zeid, la perle de la CAN 1986, à trente minutes de la fin mais le milieu du Ahly n’est plus que la pâle copie du joueur qu’il fut quatre ans plus tôt. Score final : 0-0. Après le match, Gohari dira que ses joueurs ne l’ont pas écouté et adopté une tactique défensive et une approche négative du match. Qu’importe, l’Egypte est toujours dans le coup et peut même rêver d’un exploit si elle surprend l’Angleterre lors du dernier match de poule.
21 juin, à Cagliari. Gohari a convoqué son onze type. L’objectif est simple : piéger l’Angleterre. Le scénario commence bien jusqu’à la fatidique 31e minute. Mark Wright, le stoppeur anglais, blesse gravement Hany Ramzy, la pierre angulaire du système défensif égyptien, sur un tacle dangereux et impuni. Etonnamment, Gohari maintient le joueur alors qu’il ne peut plus courir. Une demi-heure plus tard, il s’en mordra les doigts. Sur un long ballon aérien en profondeur, Wright plante de la tête, alors que Ramzy n’a pas pu sauter… (1-0, 59e). Menée au score, l’Egypte bute sur une défense hermétique qui n’hésite pas à matraquer les attaquants adverses, le cas échéants. Les Pharaons, moins en jambes et dos au mur, s’inclinent très logiquement. Fin de l’aventure mondialiste. Le bilan est globalement positif : deux nuls, une défaite, un but marqué, deux encaissés. A l’issue du match contre l’Angleterre, les Pharaons s’offrent un tour d’honneur. S’ils ont manqué de panache au moment opportun, ils ont révélé quelques jeunes talents (Al-Kas, Hossam Hassan, Hany Ramzy) qui ne vont pas tarder à intéresser le football européen…
Vingt-six ans plus tard, l’Egypte et ses Pharaons courent toujours après une hypothétique troisième qualification pour la Coupe du monde. L’Algérie, le Maroc et la Tunisie lui ont systématiquement damé le pion depuis deux décennies. En 2013, l’équipe fut humiliée 6-1 par le Ghana à Kumasi lors du dernier match de barrage, que la victoire 2-1 au retour ne racheta pas. Désormais entraînée par l’Argentin Hector Cuper, la jeune génération révélée lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012 lorgne sur Russie 2018. Mais la route est encore longue pour les talentueux duettistes Mohamed Salah et El-Nenni…
@Samir Farasha