Cette année-là…
Après l’élimination des Aigles de Carthage dès le premier tour de leur CAN, en mars 1994, le public tunisien est consterné. C’est finalement l’Espérance de Tunis qui va le réconcilier avec le foot en remportant la C1 africaine contre Zamalek, quelques mois plus tard…
En ce 26 mars 1994, la Tunisie vient quasiment de dire adieu à « sa » CAN. Le jour même de l’ouverture de la 19e édition à Tunis, les Aigles de Carthage ont été balayés à El Menzah par d’autres Aigles, ceux du Mali (0-2). En cette édition qui ne rassemble que douze nations –quatre groupes de trois- une défaite est quasiment éliminatoire. Quatre jours plus tard, le Zaïre, pas encore redevenu RD Congo, tient le pays organisateur en échec (1-1). Fin du parcours. Consternation, abattement. Et puis arrive l’heure des critiques et du grand déballage, comme souvent en pareil cas. Youssef Zouaoui, qui a été démis après le match contre le Mali et remplacé par Faouzi Benzarti, en prend pour son grade. Ses choix de joueurs sont remis en question. On s’interroge sur le besoin de convoquer certains éléments comme les pros Raouf Bouzaiene (Laval) et Ali Boumnijel (gardien de Gueugnon, 0 match). C’est dans ce contexte que va débuter la « renaissance » du foot tunisien. La Fédération (FTF), au printemps 1994, va s’adjoindre les services de l’expérimenté Henri Kasperczak, en vue de la CAN 1996, des JO d’Atlanta 1996 mais surtout, de la Coupe du monde 1998 que la France va organiser. Kasperczak a réussi en l’espace de trois mois seulement à transformer la Côte d’Ivoire en une impeccable machine à jouer, troisième et invaincue à l’issue de la CAN 1994. Pour beaucoup, il apparaît comme l’homme du renouveau. Ce sera effectivement une très bonne pioche, mais n’allons pas trop vite en besogne.
Il fallait faire aussi bien que le Club Africain
Les clubs tunisiens, eux, ont pour tâche de laver l’affront de cette CAN. L’Espérance de Tunis en particulier. « Taraji » est un concentré de talents, et le club du Parc B dispose de moyens financiers et d’infrastructures à même de l’aider à remporter ce titre majeur qu’est la Coupe des clubs champions d’Afrique, ancêtre de l’actuelle Ligue des champions. Au printemps 1994, l’état-major de Taragi constate que le club n’a atteint qu’une fois une finale continentale (en 1987), la coupe des coupes, perdue aux dépens des Kenyans de Gor Mahia. Pour Slim Chiboub, gendre du président tunisien Ben Ali et proche du pouvoir, cela doit changer. Il faut aussi rejoindre le grand rival, le Club Africain, qui a déjà gagné cette compétition en 1991, lui !
Les Sang et or franchissent facilement le cap du 1er tour contre l’Etoile Filante de Ouagadougou (BUF) : 5-0 et 3-2. En huitième, l’équipe est à peine accrochée par le Stade Malien (1-0, 3-0). Les quarts, face aux Nigérians d’Iwuanyanwu Nationale d’Owerri (devenu depuis Heartland) sont du même tonneau : 3-0, 1-1. En définitive, le premier obstacle intervient au stade des demies avec le Mouloudia d’Oran, un ancien vainqueur de la C1 africaine, qui résiste bien (3-1, 2-2).
Pas suffisant cependant pour empêcher l’Espérance de se présenter en finale. Face à Chokri El Ouaer, le gardien de but international, le Zamalek du Caire, qui n’est rien de moins que le tenant du titre ! La finale aller est programmée au Caire le 4 décembre. Zamalek présente un duo de Ghanéens, Oscar Laud et Joe Okyere, ainsi qu’une brochette d’internationaux (El Sayed le gardien, Ashraf Youssef, Khaled el Ghandour, Ashraf Kassem entre autres). L’équipe est pilotée par un jeune technicien autrichien, Alfred Riedl. Pour la première fois depuis le début de la compétition, les Zamalkaouis restent muets, face à la solide défense espérantiste, emmenée par le quatuor Thabet-Ben Rekhissa-Bousnina-Nouira. 0-0 devant 90 000 spectateurs médusés. Ce résultat donne toutes les bonnes raisons d’espérer une victoire finale du côté de Bab Souika, le quartier qui a vu naître Taragi.
Une équipe invaincue depuis neuf matches
Quinze jours plus tard, à El Menzah. Le « tombeau » de la CAN 1994 pour la Tunisie peut-il devenir le « chaudron » qui va préparer une victoire historique ? L’Espérance, dont la première participation à la C1 africaine remonte à 1971, y croit totalement : l’équipe est invaincue depuis neuf rencontres sur le front africain, et par mesure de précaution, le club a fait en sorte que l’équipe se prépare dans le calme en brouillant les pistes. Première bonne nouvelle à l’entrée des équipes, les précieux Mohamed Sabry et El Ghandour ont été laissés sur le banc par le coach Riedl. Ce dernier commet une autre erreur tactique qui va coûter cher : huit joueurs à vocation défensive, alors qu’il lui faut marquer au moins un but ! L’arrière garde zamalkaoui dirigée par le vétéran Hesham Yaken ne donne pas énormément de garantie. Toute chose dont va profiter l’Espérance très rapidement. Dès son premier corner frappé par Ayadi Hamrouni, le jeune prodige tunisien Hedi Ben Rekhissa, alias « Balha » (22 ans), gigantesque défenseur axial ou milieu défensif (1m96) ouvre la marque de la tête (16e). Ben Neji, en début de seconde période, transforme un penalty après que Belhassen ait été fauché dans la surface de réparation. A 2-0, Taragi n’est pas encore définitivement à l’abri mais les choses se présentent bien. Sur un contre rapide mené avec Hamrouni, « Balha » inscrit juste après le but de la délivrance. Effat Nasser sauvera l’honneur des Cairotes (3-1).
Mais partout dans Tunis et en Tunisie, on fête ce succès historique. Balha, en l’espace d’un après-midi, est devenu l’idole des jeunes, et l’égal des grands joueurs d’Afrique. Dans les rangs tunisois, un attaquant zambien, Kenneth Malitoli, qui deviendra plus tard l’une des légendes du club. Ironie du destin, ce sacre porte la marque de Faouzi Benzarti, l’homme qui, le 27 mars de la même année, avait été appelé provisoirement à la tête de la Tunisie après le limogeage de Youssef Zouaoui. Le 17 décembre 1994, l’affront a été lavé, et Taragi est enfin parvenu à consoler tout ce que la Tunisie compte d’amoureux du football. C’est le début d’une exceptionnelle razzia des clubs tunisiens sur les compétitions de clubs africaines à laquelle l’Etoile du Sahel et le CS Sfaxien vont eux aussi se mêler. « Balha », le héros d’El Menzah, n’a malheureusement pas eu la consécration qu’il méritait. Considéré comme le meilleur joueur arabe de sa génération, le finaliste de la CAN 1996 (avec la Tunisie de Kasperczak) décédait le 4 janvier 1997 au stade Chedly Ben Zouiten de Tunis, face à Lyon, d’un arrêt cardiaque, à seulement 24 ans. Aujourd’hui encore, il est fêté et révéré comme il se doit par les « tifosi » espérantistes, qui n’ont pas oublié celui qui a incarné, en 1994, le renouveau juvénile et victorieux de Taragi.
@Samir Farasha