Rarement dans l’histoire du football moderne, un joueur aura autant survolé la scène arabo-africaine que le génial Egyptien. Retour sur l’année en or de l’ogre cairote.
Vingt sept ans. Si ce n’est pas encore l’âge de la maturité, dans la carrière d’un joueur, cela commence sérieusement à y ressembler. Lorsque débute 2006, Mohamed Aboutreika fait déjà figure d’icône en Egypte. Quelques semaines plus tôt, fin 2005, le milieu offensif du Ahly du Caire a été l’un des grands bonhommes de la victoire finale de son club en Ligue des champions contre l’Etoile du Sahel (0-0, 3-0). Ahly est champion et l’Egypte, fière et arrogante, compte ses forces à quelques jours de l’ouverture de « sa » Coupe d’Afrique des Nations. Humiliée en 2004, lors de l’édition précédente, elle a mis sur pied une formation solide, efficace et diablement offensive. Hassan Shehata, le sélectionneur, a son idée : Aboutreika sera le maître à jouer des Pharaons, assisté par Ahmed Hassan. Buteur au premier tour contre la Libye (3-0) puis la Côte d’Ivoire (3-1), Abou Treika survole l’épreuve, et inscrira même le tir au but décisif contre les Eléphants, en finale, le 10 février. Le voilà propulsé au rang de vedette du football africain, reconnu par ses pairs évoluant en Europe. A peine le temps de digérer ce titre que déjà, son Ahly défie les FAR de Rabat en Supercoupe d’Afrique. Là encore, les Egyptiens s’imposent aux tirs au but. En l’espace de deux mois, ses prestations ont fait du natif de Gizeh un très sérieux postulant au titre de joueur africain de l’année.
L’éclair de Radès
C’est ensuite le retour aux affaires courantes avec le Ahly, doublement engagé dans la défense de son titre national et de sa couronne continentale. Sur le front local, le Ahly survole le championnat, emmené par un Aboutreika survolté : 14 points d’avance sur le Zamalek, son dauphin ! Jusqu’alors, il n’a jamais marqué plus de 11 buts dans une saison pro, comme avec Tersana, son club formateur, ou au Ahly lors de sa première saison (2003-2004). Quand se termine l’exercice 2006, il compte 18 buts à son actif ! Il aide à décrocher facilement la Coupe nationale (3-0) contre le Zamalek, éternel rival. Avant d’entrer dans le vif du sujet en Ligue des champions, une compétition où il s’est révélé en 2005. Alors qu’il a écrasé de son immense talent les six premiers mois de l’année – CAN, championnat, Coupe nationale, titre de meilleur buteur – Abou Treika continue sa razzia de trophées. Juillet le voit remporter la Supercoupe nationale contre ENPPI. Il est d’ailleurs l’auteur du seul but, à la… 92e minute. Un détail qui aura son importance, cinq mois plus tard.
Loin d’être épuisé ou même rassasié, il aide le Ahly du Portugais Manuel José à franchir chaque étape au plan africain, depuis la phase de poule jusqu’en finale. La formation, emmenée par l’Angolais Flavio et les expérimentés Wael Gomaa, Essam el Hadari et Emad Meteab, paraît alors irrésistible. Mais le CS Sfaxien ne l’entend pas de cette oreille et le club tunisien paraît décidé à mettre fin à l’hégémonie égyptienne. Les deux clubs sont issus de la même poule (1-0 pour le CSS à l’aller, 2-1 pour le Ahly au retour). A l’issue de la finale aller, au stade international du Caire, les choses paraissent bien engagées pour le CSS : 1-1 à l’extérieur. Le Ahly s’est fait piéger par cet adversaire solide défensivement. Certes, Abou Treika a ouvert la marque, mais le Ghanéen Joetex Frimpong lui a répondu. Ce but à l’extérieur vaut cher pour le Sfax, qui reçoit le Ahly à Radès. Un nul vierge lui offrirait la victoire, et c’est justement le plan mis en place par l’ancien sélectionneur des Aigles de Carthage, Mrad Mahjoub. Pendant 90 minutes, les Sfaxiens résistent aux assauts du Ahly, le plan a été méthodiquement respecté. Et puis, un éclair dans la nuit : à la 92e minute, c’est à dire dans le temps additionel, Aboutreika récupère un ballon à l’entrée de la surface et inscrit le but de la délivrance ! Il terminera d’ailleurs meilleur buteur de cette C1 avec huit buts, dont trois en quatre matches contre le CSS. Croyez-vous que cette nouvelle couronne va mettre un terme à l’appétit de l’ogre cairote ? En cette fabuleuse année 2006, Aboutreika semble porté par un vent irrésistible, à l’instar de ses coéquipiers en club et en sélection Wael Gomaa et El Hadari.
Buteur N°1 au Japon !
De retour de la finale de Radès, les Egyptiens s’envolent pour le Japon pour représenter l’Afrique en Coupe du monde des clubs, organisée par la FIFA. Dès le quart de finale, face aux modestes Néo-Zélandais d’Auckland City, Aboutreika donne un aperçu de son talent. Il inscrit le deuxième but, celui du break, sur un superbe coup franc (2-0). Sa vision du jeu et le rythme qu’il imprime à son équipe en font instantanément une révélation pour les observateurs internationaux. Trois jours plus tard, face aux Brésiliens de l’Internacional de Porto Alegre, la fatigue et un brin de malchance auront raison de l’invincible armada du Ahly. Défaite 2-1, avec les honneurs, et une frappe sur le poteau pour Aboutreika. L’histoire n’est cependant pas terminée. Ahly boucle son périple japonais face aux Mexicains de l’America Mexico. L’enjeu est considérable : une médaille de bronze dans le tournoi. Ahly, qui a rassemblé ce qui lui restait d’énergie, ouvre la marque par son magicien, d’un magistral coup franc. Après l’égalisation, il inscrit lui-même le but victorieux àà l’issue d’un une-deux avec son pote Flavio (79e). Pour la première fois de l’histoire, un club africain monte sur le podium. Aboutreika, quant à lui, termine meilleur buteur de cette coupe du monde des clubs avec trois réalisations.
La Confédération africaine le nomme pour le titre de meilleur joueur de l’année, en compagnie des expatriés Didier Drogba et Samuel Eto’o. Il finit deuxième mais décroche sans surprise le prix de meilleur joueur de la C1 africaine. En Egypte et bientôt partout dans le monde arabe, il est devenu une idole, un joueur révéré pour son calme et son jeu fin et précis. Manuel José, dans un hommage appuyé, dira de lui qu’il est le meilleur en Afrique. « Je n’imagine même pas mon équipe sans lui ».
Quand se termine 2006, Aboutreika est synonyme de victoire, partout en Afrique. D’autres années de triomphe suivront, jusqu’à sa retraite début 2014 : une autre CAN (2008), trois autres Champions League (2008, 2012, 2013), quatre Supercoupes d’Afrique (2007, 2009, 2013, 2014), six autres couronnes de champion, une autre coupe nationale et quatre supercoupes d’Egypte, sans oublier le titre de champion émirati conquis lors de son passage à Baniyas SC (2013). Un seul regret chez cet homme charismatique et aimé de tous : s’il a disputé les JO (2012), il n’a en revanche jamais eu le bonheur de prendre part à une phase finale de Coupe du monde. Avec 14 buts en éliminatoires de CM, il demeure à ce jour le meilleur buteur de son pays. Il a en revanche inspiré celui qui, aujourd’hui en Egypte, incarne la relève : son « élève » et ami Mohamed Salah, qu’il a côtoyé lors de ses trois dernières années en sélection. Salah, qui vénère son ami, s’est juré de ramener les Pharaons sur la scène mondiale, pour exaucer le vœu ancien d’Aboutreika. A l’impossible, nul n’est tenu…
@Samir Farasha