2022mag consacre depuis deux semaines une série aux grands techniciens arabes d’hier et d’aujourd’hui. Après Hassan Shehata, Rachid Mekhloufi, M’rad Mahjoub, Lhoussine Ammouta, Rabah Saâdane, Mahmoud El-Gohary, Faouzi Benzarti et Nasser Larguet, arrêtons-nous aujourd’hui sur la légende Abdelhamid Kermali, l’homme de la conquête de la CAN 1990 par l’Algérie.
Il ne se passe pas un jour sans que l’Algérie et les Algériens ne remercient Djamel Belmadi, l’homme grâce auquel les Fennecs ont reconquis le titre africain en juillet 2019 au Caire. Mais avant Belmadi, bien avant, un géant du football algérien fut le premier à lever le trophée de la CAF dans le ciel étoilé du stade du 5-juillet. Il s’appelait Abdelhamid Kermali. Et avant de devenir un technicien respecté, il avait d’abord été un sacré bon joueur. A l’USM Sétif puis à l’USM Alger, avant de partir en France pour y débuter une belle carrière professionnelle sous plusieurs maillots (Mulhouse, AS Cannes, Olympique Lyonnais). Mais en 1958, Kermali répond à l’appel de la nation et intègre la glorieuse équipe du FLN, qui va s’illustrer des années durant sur tous les continents, portant les idéaux et valeurs d’une nation en construction.
Après l’indépendance, Kermali évolue dans le championnat algérien, à l’USM Sétif bien sûr puis à l’Entente. Devenu entraîneur joueur, il remporte d’ailleurs la Coupe d’Algérie 1967 aux dépens de Skikda (1-0). Les récits de l’époque évoquent la révolution tactique prônée par Kermali, et le jeu posé et construit de l’ESS. De même, il est celui qui, le premier, a introduit, selon les témoignages, le 4-3-3 dans le football national. Le football technique qu’il développe lui vaut évidemment de multiples sollicitations. Tout au long de cette carrière de technicien qui l’a mené aux quatre coins du pays, il coachera USM Annaba, le CSC, l’USC, le HBCL, le CABBA, l’USMS, l’ESS, le MC Alger et l’ES Mostaganem.
Mais Kermali a aussi su exporter sa méthode et sa philosophie de jeu hors du territoire algérien comme à l’Ittihad Tripoli (Libye), le Ras El-Kheima (Emirats) ou encore à l’Avenir Sportif de la Marsa (Tunisie, 1996-98), le fief de son ami Rachid Mekhloufi. La preuve d’une belle reconnaissance de son travail et d’une personnalité appréciée. Un club cependant a été marqué par le coach Kermali : le Mouloudia d’Alger (MCA). Trois passages sur le banc algérois (1983-84, 1988-90, 1998-99) sont là pour confirmer un attachement au « Cheikh » et à ce jeu qu’il aimait proposer.
Mais son chef d’œuvre sera accompli avec l’équipe nationale. A l’automne 1989, Kermali devient le 23e sélectionneur algérien, succédant à Kamel Lemoui, qui n’est pas parvenu à qualifier les Fennecs pour le Mondiale 1990 en Italie. L’Egypte, lors du dernier tour éliminatoire, a eu raison des ambitions de l’Algérie, qui rêvait d’une passe de trois après 1982 et 1986. Lemoui parti, la FAF décide d’appeler au chevet de la sélection Kermali. Le challenge qui l’attend est énorme puisque l’Algérie accueille la CAN en mars 1990. On n’attend rien d’autre qu’un sacre continental. Ce qui serait une première puisque l’Algérie n’a jamais fait mieux qu’une finale, perdue à Lagos en 1980 face au Nigeria…
Pour ce tournoi, Kermali prépare minutieusement son équipe, avec une série de matches amicaux, notamment en France où elle prend part au Challenge de l’Amitié du Red Star. Face au Mali (5-0), on découvre des talents (Djanhit, Rahim, Bouiche). Le moment venu, Kermali fera appel à dix-huit joueurs du championnat national et quatre expatriés : Madjer (Porto), Menad (Nîmes), Amani (Antwerp) et Chérif Oudjani (Sochaux), digne fils de son coéquipier en sélection du FLN, Ahmed.
Collectivement, l’Algérie de Kermali impressionne. Elle démolit le Nigeria (5-1), la Côte d’ivoire (3-0) et l’Egypte B (2-0). Derrière, le libero Fodil Megharia est à la baguette. Devant, captain Madjer rayonne. Le Sénégal résistera bien en demie (2-1) tout autant que le Nigeria en finale (1-0). Mais, porté par le stade du 5-juillet en ébullition et guidé par un Kermali sûr de ses choix, l’Algérie domine de nouveau les Green Eagles (but de Chérif Oudjani). Cette équipe entre donc dans l’Histoire avec son sélectionneur, déjà associé aux belles heures de l’équipe du FLN.
Avec lui sur le banc, l’Algérie décroche encore la Coupe afro-asiatique 1991 contre l’Iran (1-2, 1-0). Qualifiée d’office pour la CAN 1992, l’Algérie kermalienne s’est un peu endormie sur ses lauriers. La situation politique interne n’aide pas non plus sur le plan moral, puisque l’Algérie est entrée dans la décennie noire marquée par le terrorisme. Au Sénégal, Kermali fait appel à de nombreux champions 1990, à l’instar d’Osmani, Megharia, Chérif el-Ouazzani, Madjer, Meftah, Saïb, Menad, Rahim.
Mais, basés à Ziguinchor en Casamanche, les repus de 1990 sont écrasés par la Côte d’Ivoire (3-0) qui en profite pour prendre sa revanche sur 1990. Les Algériens semblent dépassés. La qualité médiocre de la surface de jeu, la chaleur mais surtout un mental défaillant plongent cette équipe dans un profond embarras. Pour espérer se qualifier dans ce groupe de trois qui comprend aussi le Congo, l’Algérie doit battre cet adversaire largement, sachant que le Congo a fait nul contre les Ivoiriens. De fait, seule la victoire peut permettre à Kermali de rêver toujours du titre… Quatre jours après le Waterloo contre les Eléphants, l’Algérie sera piégée par le Congo (1-1), Nacer Bouiche répondant à Pierre Tchibota Zaou. Fin de l’histoire. Fin de règne pour l’Algérie et donc, pour Kermali qui rentre dans le rang. Il est relevé de ses fonctions après la CAN et remplacé par le duo Meziane Ighil-Abderrahmane Medhaoui. Son dernier passage sur un banc, à l’ES Sétif, remonte à la saison 2003-2004.
Kermali est décédé il y a sept ans, le 13 avril 2013, à l’âge de 81 ans. Il restera longtemps et pour des millions d’Algériens nostalgiques celui qui, le premier, a offert la CAN à un pays fou de football. Et un serviteur de l’équipe nationale, d’abord comme joueur puis comme sélectionneur, à l’instar d’un Rachid Mekhloufi, parmi quelques autres.
@Samir Farasha