Nommé il y a quelques semaines à la tête du Stade d’Abidjan, le premier club à avoir remporté la Coupe d’Afrique des clubs champions en 1966, le technicien franco-algérien Djilali Bahloul a accepté d’évoquer, en exclusivité pour 2022mag, son début de carrière africaine. Rencontre avec un jeune entraîneur et citoyen du monde bien décidé à accomplir une longue et passionnante carrière. Et qui n’est pas sans rappeler un certain ZZ…
Djilali, pourriez-vous vous présenter ?
Je me prénomme Bahloul Djilali, né le 9 janvier 1982 dans la ville de Relizane en Algérie. Mais j’ai grandi à Marseille depuis l’âge de huit ans. Je possède la licence A UEFA et suis actuellement entraîneur du Stade d’Abidjan, pensionnaire de D1 en Côte d’Ivoire, depuis un mois.
Quelle a été votre trajectoire avant d’envisager une carrière à l’étranger ?
En France, j’ai débuté jeune, à 26 ans ! J’ai commencé par des clubs de district puis l’AS Gardanne, en Ligue. Par la suite, j’ai pris la direction du club de Morteaux, dans le Doubs avant de partir en Suisse, le Deportivo La Chaux de Fonds. L’ancien club historique de cette ville, qui évolua en D1, est tombé depuis en D3. Et puis l’an passé, j’étais sur le banc de la Linguère de Saint-Louis, en D1 sénégalaise.
Comment vous êtes-vous retrouvé sur un banc ivoirien ? Aviez-vous postulé ?
J’avais en main pas mal de propositions, en Guinée, au Rwanda, au Soudan, en Libye, en Jordanie et en Algérie aussi. Je ne m’attendais pas vraiment à venir travailler en Côte d’Ivoire et puis ça s’est fait. J’ai été attiré par le prestige de ce club.
Comment cela s’est-il passé lors de votre première expérience hors d’Europe ?
A la base, j’ai toujours été attiré par le football africain, et je voulais vraiment le découvrir. J’ai toujours été proche des Marseillais. Plus jeune, j’ai été international cadets pour l’Algérie et j’avais effectué un déplacement avec la sélection au Burkina Faso et au Mali. J’étais attaquant. Je me suis dit il y a une ferveur ici qu’on ne peut pas expliquer. Le football est une religion en Afrique. Quand j’ai obtenu mon diplôme (la licence A), c’était clair dans ma tête : découvrir le football africain, avec tout ce potentiel en joueurs. A mon arrivée à Saint-Louis, je me suis surpris moi-même. Au bout de trois semaines, je m’y sentais chez moi ! J’ai vécu en Suisse par moins vingt degrés, et là je me suis adapté aux 35 degrés ! J’ai pris l’équipe l’été dernier au moment où on était dernier. Je me suis dit : je ne pourrais pas faire pire. A l’arrivée, huit mois plus tard, on a fini troisième à trois longueurs du champion. On a réalisé une remontée exceptionnelle et j’ai été nommé parmi les trois meilleurs entraîneurs du championnat. C’était une fierté pour moi. J’ai vraiment trouvé ce que j’étais venu chercher. Et je n’ai pas voulu entendre parler d’un retour en Europe. Je voulais rester dans ce club-là mais il y avait malheureusement quelques problèmes en interne. Alors j’ai préféré partir.
Regrettez-vous de ne pas avoir remporté le titre ?
A cinq journées de la fin, on a eu deux déplacements compliqués à Dakar et on les a perdus. Si on en avait gagné un, je pense qu’on l’aurait fait. On a battu le champion chez lui 4-1. C’était vraiment intéressant, d’autant qu’on a terminé avec la meilleure attaque et le meilleur buteur, Pape Ibou Ba, qui a signé au Liban depuis.
Quelle est votre philosophie, votre conception du jeu ?
Je n’aime pas trop me définir ! Disons que j’aime la rigueur et la discipline, à commencer aux entraînements. Il y a certaines choses que je n’accepte pas. La ponctualité est essentielle. Je suis joueur. Sur le banc, je ne reste pas passif, j’interviens. Il faut de la présence, en bien ou en mal. Je suis Marseillais, j’ai du tempérament ! Pour mon premier match au Sénégal, j’avais reçu un carton pour excès de tempérament. J’ai appris depuis à prendre sur moi-même ! J’aime donner le pouvoir aux joueurs. Je leur répète souvent de prendre du plaisir sur le terrain car ils font le plus beau métier du monde. Quand ça marche, tout le monde est récompensé.
Vous avez débarqué au Stade au moment où le club n’est pas au mieux au classement : onzième sur quatorze, avec seulement neuf points et une différence de buts négative (-4). Encore une mission de sauvetage : cela vous plait-il ?
Oui et non. Si tout va bien, que puis-je apporter ? D’un autre côté, je n’ai pas froid aux yeux. Je n’ai pas peur des défis.
Vous ne souhaitez quand même pas n’être cantonné qu’à ça ?
Non bien sûr. Aujourd’hui, par la force des choses, je n’ai peut-être pas trop le choix. Mais sinon, je suis ambitieux. J’accepte ce défi parce que c’est le Stade, un club qui a un nom et une histoire. J’aurais refusé un autre club. Après je ne viens pas pour travailler jusqu’à cet été et repartir de suite. J’aimerais m’investir sur un cycle de deux à trois années. Tant mieux si c’est le cas. Je me prépare à tout type d’échéances, courte ou longue.
Peu d’entraîneurs algériens se tournent vers le football sub-sahélien. On se souvient entre autres de Rachid Cheradi ici à l’Africa, ou encore Oualikène Amokrane avec le Burkina Faso. Vous êtes peu nombreux. Il y a beaucoup à faire ici ?
C’est le pays des Drogba, des Touré, des Kalou. Après, par rapport aux coaches algériens peu nombreux dans cette région, je ne sais pas dire pourquoi. Le football européen représente le rêve absolu. Mais rappelez-vous la ferveur lors de la CAN au Gabon, qui s’est récemment achevée… Je suis formé à l’école française. L’Algérie c’est ma mère, mais la France m’a tout donné. Je suis plus dans la lignée des coaches français qui aiment l’Afrique. Comme on dit, si on a choisi ce métier, c’est pour travailler, quel que soit l’endroit.
Vous avez évoqué plus tôt des pistes personnelles en Afrique du nord et même en Jordanie. Ce sont des horizons qui vous intéressent ?
Je sais que je serai obligé de passer par le championnat algérien à un moment donné. C’est un championnat que je connais très bien, j’ai des amis qui y travaillent. Je connais Alain Michel, Jean-Guy Wallemme dont j’ai failli devenir l’adjoint. Pas plus tard qu’il y a trois jours, on m’a relancé. En Algérie, la presse sportive a déjà parlé de moi. Certains s’interrogent sur le fait que je n’exerce pas actuellement en Algérie, c’est vous dire ! J’apprends d’abord à marcher avant de savoir courir. C’est un métier dur, pénible. Et c’est pire encore lorsqu’on est un coach algérien dans le championnat national ! Les clubs changent jusqu’à cinq fois d’entraîneur par saison. Je commence tout juste ma carrière.
Que vous inspire cette situation ?
Aujourd’hui, les clubs maghrébins continuent de dominer la scène africaine. Mais le font-ils comme il y a vingt ans ? Non, à cause de cette instabilité, qu’on retrouve en Tunisie et au Maroc. Je ne veux pas entrer dans cette spirale-là et passer d’un club à l’autre. Quand on pense que les clubs algériens ont de gros moyens et offrent des salaires mirobolants à leurs joueurs, et qu’on vire jusqu’à cinq coaches par an, on va où ? Récemment, la JS Kabylie est revenue du Liberia en Coupe d’Afrique où elle a encaissé un 3-0 sec. Pour moi ce n’est pas une surprise. Mais une logique. On ne fait pas les choses comme il faut. Parce qu’on a les moyens, on pense que cela va suffire. Le coach est parti depuis. Dans le football, il y a un suivi. Il y a un malaise dans le football maghrébin. Le meilleur exemple c’est le Belge Hugo Broos, qui est passé par la JSK et un club algérois, il est resté quatre mois. On l’a jeté comme un malpropre. Il est arrivé au Cameroun et il a gagné la CAN. Je sais que j’irai à un moment donné en Algérie. Mais je prends mon temps.
Avez-vous eu le temps de suivre la dernière CAN au Gabon, marquée par le grand retour de l’Egypte et l’échec de l’Algérie…
L’Algérie a perdu quelque chose depuis le départ de Gourcuff. Quand il est parti, c’était à cause des médias algériens qui l’ont allumé. Certains anciens ne l’ont pas épargné, y compris sur des aspects de sa vie qui n’ont rien à voir avec le football, pour lui mettre la pression. A son départ, le pays a eu deux entraîneurs en sélection…La charte des coaches ne me permet pas de parler d’eux. On les a pris pour quoi ? Une équipe a besoin de meneur, et un sélectionneur doit être aussi un meneur. Leekens a -t-il eu les bonnes paroles pour le groupe ? Quand on voit le niveau de certains joueurs… Le problème du latéral droit n’a toujours pas été réglé.
On a eu le sentiment que les Algériens étaient peu motivés par la CAN, par rapport à une Coupe du monde…
Mais ce n’est pas le seul problème de l’Algérie, beaucoup de nations africaines y sont confrontées. Quand on voit le niveau d’Aubameyang, Ghoulam, Aurier, des joueurs camerounais qui ont refusé de venir… Cette CAN au Gabon, on l’a vu, a connu des soucis de terrains, une fois encore. Les joueurs dont on parle évoluent dans des grands clubs de grands championnats. Je fais partie de ceux qui considèrent que la CAN ne devrait plus se disputer en janvier. Toutes les grandes compétitions se jouent en juin-juillet. Sauf la CAN.
L’Algérie a quand même déçu…
Pour moi, même s’ils ont raté leur CAN, cela reste la meilleure équipe en Afrique. Quand on a Ghoulam, Brahimi, Taïder et Mahrez… Sans parler des autres. Il y a un potentiel énorme. D’autres arrivent, comme Saadi. Hanni d’Anderlecht méritait plus de temps de jeu. Pas d’inquiétude à avoir avec cette équipe, elle va rebondir. Elle est jeune. La Coupe du monde 2018, ce sera difficile. Mais ils vont encore engranger pour l’avenir.
Vous imaginez-vous amener un de vos clubs africains en Algérie dans six mois, un an ?
Oui, je le ferai ! Ce sera vraiment une émotion.
Pour conclure, quelles sont vos objectifs avec le Stade cette saison ? Vous affrontez bientôt l’ASEC…
Ce sera un grand moment, une équipe avec une histoire et de grands joueurs. Je ne me prends pas la tête plus que ça. J’ai dit aux joueurs : on a un adversaire et c’est nous-mêmes. On essaie de mettre des bases. On peut glisser, ce n’est pas grave, on se relèvera. Ensemble. Et on avancera de nouveau. L’objectif, je ne suis pas fou : ce n’est pas de jouer les premiers rôles, vue notre situation. C’est le maintien. On a deux coupes à jouer, allons le plus loin possible. Gagner un trophée serait merveilleux pour le club. On ne jouera pas une finale chaque année. Il faut travailler, rester calme. On risque de dégraisser l’effectif : on compte 32 joueurs. On a un groupe de qualité déjà. »
@Frank Simon, à Abidjan