Chirurgien orthopédiste et traumatologue algérien à la réputation internationale, Yacine Zerguini a bien voulu répondre aux questions de 2022mag concernant la place de la médecine sportive et le rôle de plus en plus important qu’elle a dans la sécurité de la pratique du sport de haut niveau.
Membre de la comité médical de la FIFA et vice-président de celui de la Confédération africaine de football (CAF) , notre invité VIP suit de très près, depuis des lustres, les plus importantes compétitions internationales: Coupes du monde, Jeux olympiques, Coupes d’Afrique des nations et notamment la dernière édition du CHAN organisée au Maroc dont il juge d’ailleurs le bilan médical excellent. Morceaux choisis.
Bonjour Docteur Yacine Zerguini, vous êtes au chevet du football international notamment africain et arabe depuis des lustres. Quels sont les domaines qui ont connu le plus de changement en matière de sécurité sanitaire par exemple?
Je suis effectivement un passionné de football et c’est très naturellement que de part ma profession, je me sois intéressé très tôt à la pathologie traumatique du football ; puis à tout ce qui a trait à ce que l’on appelle aujourd’hui la « Médecine du Football » par analogie à la Médecine du Sport. Notre premier rôle est naturellement de protéger les acteurs du jeu et beaucoup de domaines ont évolué dans le bon sens :
• Meilleure connaissance de la fréquence et des types de blessures avec des possibilités accrues en matière de prévention et de traitement
• Meilleures connaissances et meilleure approche en ce qui concerne les traumatismes crâniens et les commotions cérébrales avec l’avènement du protocole SCAT 5
• Evaluation des risques cardiaques pour une meilleure prévention des morts subites sur les terrains
• Meilleure approche de la pratique en milieu extrême : Température, Altitude, Pollution
• Solutions apportées aux problèmes d’ordre éthique : Détermination de l’âge et du sexe
• Lutte plus efficace contre la pratique du dopage
Avec Aspetar au Qatar, aujourd’hui le monde arabe abrite l’un des plus grands centres de médecine du sport dans le monde, comment appréciez-vous cet événement
Aspetar est en effet l’un des plus grands centres de médecine du sport dans le monde. Sinon le plus grand… L’on ne peut qu’en être fiers. Je le suis d’autant plus que j’y collabore avec bonheur depuis des années. En particulier au sein du groupe de recherche sur l’impact du Jeûne du mois sacré. Une publication du Journal of Sport Sciences, en fait un supplément de cette prestigieuse revue, a fait l’effet d’une édition commune entre Aspetar et le Centre FIFA d’Alger que j’ai le bonheur de diriger.
Peut-on imaginer un jour un projet similaire au Maghreb par exemple ou bien la région a-t-elle besoin d’une institution plus modeste ?
Evidemment. Les ressources matérielles et surtout humaines au Maghreb devraient nous le permettre. Aspetar en tant que pionnier, à ce niveau d’excellence, restera un phare de toutes manières.
Hormis le Qatar, et peut-être l’Afrique du Sud, quels sont les pays qui vous paraissent en avance ou en progrès en Afrique et dans le monde arabe ?
Vous venez de citer les deux grands. Reste que le potentiel des pays du Maghreb et de l’Egypte est immense. N’oublions pas les pays d’Afrique de l’Ouest anglophones et francophones comme le Ghana, le Nigeria et le Sénégal, dont les Universités sont très actives.
En la matière, le fossé s’est-il creusé, entre les grand clubs occidentaux (Europe, Amérique), et le reste du monde ?
Naturellement, en la matière, il n’y a pas photo, comme on dit. Les départements médicaux des clubs africains et arabes, quand ils existent, sont les parents pauvres. Nous travaillons pour que cela change. A l’encontre de toute logique, et de leurs propres intérêts et ceux de leur club, la majorité des dirigeants payent des fortunes pour acquérir et conserver des joueurs, mais n’investissent que très peu pour en prendre soin, éviter qu’ils ne se blessent ou améliorer leur performances.
De nos jours, dans les championnats majeurs et dans les grands clubs, il n’est pas rare de voir des joueurs disputer entre 50 et 60 matches par saison. Cette tendance est-elle inquiétante ou peu dangereuse pour les joueurs concernés.
C’est toujours inquiétant lorsque l’on arrive à ces niveaux extrêmes de charge de travail pour les joueurs, en particulier les plus talentueux. Mais tout reste relatif. Ce sont des athlètes de haut niveau, donc très forts physiquement, à l’origine. Lorsqu’ils évoluent dans un cadre organisé, ils sont aussi dans des conditions optimum de préparation et de récupération. Ils sont aussi pour la plupart très disciplinés et mènent une vie d’ascète.Il faut cependant connaître des limites. Le Pr Ekstrand de l’UEFA, qui mène une extraordinaire étude sur les blessures avec les grands clubs européens depuis plus de 15 saisons, vient de montrer qu’il y a eu plus de blessures lors de l’absence de break hivernal. C’est dire…
En plus de disputer beaucoup de matches, ces derniers se jouent à très haute grande intensité: Le football de années 2010 n’ayant presque rien à voir avec celui des années 80… Est-ce un facteur aggravant ?
Pas vraiment si tout est cohérent : Talent, travail, discipline
On connait les séquelles en fin de carrière, parfois dramatiques, de la pratique de haut niveau dans certaines disciplines : rugby, football américain, hockey sur glace… Qu’en est-il du football ?
Je ne crois pas qu’il y ait de si gros drames dans la pratique du football, de manière inquiétante. Les problèmes articulaires dégénératifs sont un souci en post carrière et de nombreux joueurs bénéficient de remplacements articulaires de hanche et de genou. Avec des résultats de plus en plus satisfaisants, mais tout de même au prix d’une intervention chirurgicale.
Si vous devez retenir un bon et un mauvais souvenir de vos innombrables expériences et événements internationaux ?
Un mauvais souvenir : La réception de l’équipe du Togo à Cabinda lors de la CAN 2010 en Angola. Pour moi un véritable drame… Un bon, parmi beaucoup d’autres : Avoir eu le privilège d’inviter mon père, membre du CIO, à dîner, au Club FIFA à l’hôtel Bristol, lors de la Coup du Monde France 98.
Le médecin du sport n’est pas le seul acteur à intervenir dans la prévention de la santé d’un athlète de haut niveau. Est-ce qu’il y a de vraies connections par exemple entre lui et les préparateurs physiques, de plus en plus présents au sein des clubs et auprès des joueurs parfois à titre privé ?
Naturellement ! Tout ceci a radicalement changé. Il s’agit beaucoup plus d’un travail d’équipe où chaque spécialiste joue son rôle et trouve sa place. Le médecin de l’équipe devient un coordinateur qui regroupe toutes les informations. Aidé en cela par des outils numériques de plus en plus présents. Les technologies de l’information sont le nouveau venu dans le domaine.
La question vaut aussi pour les nutritionnistes ? Ou bien chacun travaille-t-il de son côté ?
Absolument.
Les recherches spécialisées permettent-elle de savoir aujourd’hui quels sont les 3 ou 5 blessures les plus graves et les plus fréquentes chez un footballeur ?
Tout à fait. De nombreuses études, dont celles menées par la FIFA lors des compétitions des différentes Coupes du Monde (tous âges confondus) depuis plus de 20 ans, et surtout celle menée par le Pr Ekstrand de l’UEFA depuis plus de 15 ans, nous permettent maintenant d’avoir des idées de plus en plus précises et intéressantes.
Est-ce que vous pouvez nous résumer les décisions les plus importantes prises par la CAF lors du dernier symposium en matière de médecine du sport ?
Le dernier Symposium de Juillet 2017, initié par le Président Ahmad nous a permis de présenter le nouveau programme de la CAF en matière de Médecine du Football. Il s’agit de protéger les acteurs du jeu.
• Examen Préventif CAF-PCCA afin de préserver des arrêts cardiaques et morts subites sur les terrains africains
• Organisation des secours sur tous les terrains de jeu
• Etude des blessures, pour mieux les prévenir et les traiter
• Solutionner les problèmes d’ordre éthique par la détermination des âges et du genre
Sur ce plan-là quel a été le bilan médical du CHAN qui vient de se dérouler au Maroc ?
Sur le Plan médical, le bilan du CHAN est tout à fait exceptionnel, voire historique. Nous avions fait de cet événement, un pilote pour nos futurs tournoi en mettant la barre très haute. Ce fut un succès
L’organisation médicale du CHAN 2018 est maintenant notre standard pour toutes les compétitions de la CAF
Propos recueillis par Ana Catarina et Fayçal Chehat
NB : Le Docteur Yacine Zerguini nous fera l’honneur d’animer dans un proche avenir une rubrique régulière totalement dédiée à la médecine du sport. Nous donnerons en temps voulu de plus amples détails à nos followers.