31 janvier 2010, à Luanda : vainqueurs 1-0 du Ghana, les Pharaons égyptiens décrochent leur troisième CAN de rang. Juin 2016 : après six années d’absence de la reine des compétitions africaines, les rois déchus valident leur ticket pour le tournoi 2017 au Gabon. Entre ces deux dates, une plongée aux abîmes vertigineuse.
C’est l’histoire d’un come-back. Un retour au premier plan comme seul le football, le Sport plus généralement, est capable d’en offrir. Lorsque le « Mâalem » Hassan Shehata et ses protégés ont levé le trophée de la Confédération africaine dans le ciel étoilé de Luanda (Angola), ils n’imaginaient certainement pas qu’ils faisaient leurs adieux à la Coupe d’Afrique des Nations pour sept ans. Victorieuse en 2006 au Caire, en 2008 à Accra et donc en 2010, l’Egypte était parvenue à la fin d’un cycle mais ne le savait pas encore. Usée, fatiguée, la génération des Ahmed Hassan, Wael Gomaa ou encore Essam El-Hadary, qui fut de tous les triomphes égyptiens pendant plus d’une décennie, en club comme en sélection, était arrivée au bout du rouleau. Bien sûr, certains pointaient le bout de leur nez, comme Geddo, le buteur de la finale 2010, ou encore le latéral droit El-Mohammadi. Le pays se prenait à rêver d’une qualification, peut-être, pour le Mondial 2014 au Brésil, 24 ans après sa dernière participation. L’Afrique était d’un seul coup devenue trop petite pour les ambitions mondialistes d’une nation de football qui fut la première sur son continent à prendre part à une Coupe du monde (1934). En 2011, l’Egypte entérinait le départ de Shehata, après l’échec de la qualification à la CAN 2012 co-organisée par le Gabon et la Guinée Equatoriale. Ne pas défendre le titre continental, alors même que Le Caire abrite le siège de la CAF depuis sa création et que l’Egypte a remportée la CAN à sept reprises, restait définitivement en travers de la gorge de dirigeants très ambitieux.
La chute du régime du président Hosni Moubarak en février 2011, entraîna toute une série d’évènements politiques et sociaux qui contribuèrent à fragiliser le football national. Au cœur de la révolution égyptienne de 2011, les Ultras du Ahly et du Zamalek s’étaient rapprochés pour faire basculer le régime. Et puis survint le terrible drame de Port-Saïd, le 2 février 2012, en marge d’un match entre le club local El-Masri et le Ahly du Caire (émeutes ayant provoqué la mort de 72 supporters du Ahly et des centaines de blessés). Une plaie qui ne s’est toujours pas refermée et qui conduisit les autorités à arrêter le championnat ou, quand il reprit, à faire jouer les matches à huis clos. Plusieurs cadres du Ahly et de la sélection annoncèrent leur retrait du foot, en particulier l’icône égyptienne et arabe Mohamed Abou Treika, considéré comme le plus grand joueur contemporain du monde arabe. Dans ce contexte plus que délétère, un Américain, Bob Bradley, prit le pari de ramener l’Egypte à son niveau de 2010. Nommé en remplacement de Shehata, l’ancien sélectionneur des Etats-Unis s’installa au Caire avec son épouse et vécut tous les évènements avec son staff et ses joueurs. Malgré les difficultés ambiantes et une compétition gelée, il entreprit de rajeunir la sélection et de restaurer confiance et ambition dans ses rangs. Pour parer l’absence de compétition – hormis pour les clubs engagés en Coupes d’Afrique – Bradley décréta des stages à l’étranger – au Soudan, dans les pays du Golfe – et programma de nombreux matches amicaux. Il puisa dans le vivier riche du football local et notamment chez les U23 de Hani Ramzy, qualifiés pour le tournoi olympique de Londres programmé quelques mois plus tard. C’est ainsi qu’émergea la nouvelle vague, emmenée par Mohamed Salah et Mohamed El-Nenni. Un buteur et un milieu de terrain qui allaient devenir les symboles de ce renouveau.
Ultras; de la chute du régime au drame de Port Said
L’Egypte, malheureusement, se faisait écarter de la course à la CAN 2013 en Afrique du Sud par la Centrafrique. En revanche, elle réalisait un sans-faute lors de la première phase des éliminatoires de la CM 2014 : six victoires sur six, en jouant devant de maigres publics autorisés par le gouvernement militaire. Bradley, le Pharaon américain, était parvenu à convaincre Abou Treika de sortir de sa retraite. Ce dernier couvait, avec le regard d’un père, le jeune et talentueux Salah, son compère aux avant-postes. Engagée en barrage face à l’expérimenté Ghana, mondialiste 2006 et 2010 (quart finaliste), l’Egypte était à 180 minutes d’exaucer la promesse de Bradley. Mais il fallait d’abord aller jouer à Kumasi. Bradley rassemblait son groupe, toujours le même, fatigué par les déplacements en Ligue des champions, et promettait la qualification. Hélas. Kumasi et son terrain détrempé s’avérèrent un véritable Waterloo pour le football égyptien. 6-1 à l’arrivée pour Asamoah Gyan et les Black Stars. Stupeur et consternation en Egypte. Bradley, en grand professionnel, refusa de quitter son poste avant la fin de son contrat malgré les appels à la démission. Et sous sa direction, les Pharaons remportèrent 2-1 le match retour au Caire. Insuffisant bien entendu pour passer. L’affront n’avait pas été lavé, mais Bradley, artisan de bien des changements au sein de l’équipe, quittait le pays avec tristesse, lui qui était tant attaché à son groupe. Mais il avait semé de bonnes graines. Shawki Gharib, l’ancien adjoint historique de Shehata, lui succéda en 2014. Mais sous sa direction, les Pharaons ratèrent encore la qualification pour la CAN, celle de 2015, écartés par la Tunisie. Pour la troisième phase finale de rang, l’Egypte devait se contenter de regarder le tournoi à la télévision. Cette fois, les autorités décidèrent d’aller recruter un technicien chevronné. Du chapeau sortit, en mars 2015, l’Argentin Hector Cuper, un sexagénaire alerte bien décidé à réussir là où Bradley et Gharib avaient échoué. En l’espace d’un an et quatre mois, l’Egypte n’a perdu que deux matches : 1-0 face au Tchad (novembre 2015) et en amical contre la Jordanie (1-0) en janvier 2016. Engagés dans un groupe plus compliqué qu’il n’y paraissait (Tchad, Tanzanie, Nigeria), les Pharaons ont validé leur qualification pour la CAN 2017 le 4 juin à Dar-es-Salaam après la victoire sur la Tanzanie (2-0). La boucle était enfin bouclée.
Au plan des clubs, et malgré un contexte national compliqué sur le plan politico-social, la compétition a repris de plus belle. Zamalek et Ahly, sacré champion 2016 il y a quelques semaines, se livrent un mano a mano comme par le passé. Mais ils ne sont plus seuls : Smouha d’Alexandrie et Wadi Degla, sans oublier El-Masri ou Ismaïli, se mêlent à la lutte pour le titre. Les entraîneurs étrangers sont de retour : Martin Jol (HOL) au Ahly, Patrice Carteron (FRA) à Wadi Degla. Les clubs égyptiens jouent leur participation en coupes d’Afrique : le Ahly a remporté la C2 africaine 2014 et joue les poules de C1 cette année encore, tout comme le Zamalek. Certains noms émergent comme la petite perle ahlaoui Ramadan Sobhi, 18 ans, récemment transféré à Stoke City en Angleterre. L’Egypte a, après une demi-douzaine d’années très compliquées, a fini par retrouver sa fierté et ses ambitions. La génération olympique de 2012 lui apporte joie et satisfactions : Mohamed Salah, après Bâle et Chelsea, a atterri en Serie A italienne où il est devenu incontournable. D’abord à la Fiorentina, et puis à la Roma la saison passée au point d’être le meilleur africain d’Italie avec une quinzaine de buts. El-Nenni pour sa part a été la seule recrue hivernale d’Arsenal, et il est en passe de gagner ses galons de titulaire aux yeux d’Arsène Wenger. D’autres les imitent comme le buteur Ahmed Mahgoub « Koka » (Braga) ou le latéral Omar Gaber (ex-Zamalek, FC Bâle). Les clubs majeurs continuent d’attirer de très bons étrangers et leur servent de tremplin. C’est le cas du Gabonais Malick Evouna, venu du WAC Casablanca au Ahly, et parti rejoindre récemment le championnat chinois. Le football égyptien joue de nouveau sa participation. Et malgré quelques couacs – le Ahly est mal embarqué en LDC avec deux défaites et un nul – il peut aspirer à de nouvelles conquêtes, dès janvier 2017 au Gabon, à commencer par une place sur le podium. C’est en tout cas le pari formulé dès aujourd’hui par 2022mag.
@Samir Farasha