« Fernando Da Cruz, bonjour. Dans quelles circonstances avez-vous rejoint l’AS FAR la saison dernière ?
Avant d’arriver aux FAR, j’ai eu un parcours d’une vingtaine d’années au LOSC, ponctué de deux mises à disposition de l’Excelsior Mouscron (BEL). La première fois quand le club avait été racheté sous l’ère Seydoux. C’était alors une filiale de Lille. Ensuite à sa revente je suis reparti au LOSC. Puis je suis revenu quand Gérard Lopez l’a repris, alors que Mouscron devait être son club satellite.
Quand ça s’est terminé, en décembre 2020, le LOSC a été revendu à son tour. Olivier Létang est arrivé. En avril 2021, et d’un commun accord, on a convenu de se séparer puisque nous étions en désaccord diamétralement au niveau de la formation. A ce moment-là, j’avais eu quelques propositions mais j’avais besoin de souffler. A Lille on a beaucoup travaillé avec Luis Campos et Galtier. J’avais même décidé de ne rien faire sur la saison 21 – 22.
Juste avant de partir en vacances, j’ai été contacté pour rejoindre les FAR. J’ai pris le temps de la réflexion, afin de pouvoir aussi me renseigner sur le club. Après, ce sont des choses qui ne se commandent pas, j’ai eu un très bon feeling. Et contrairement à ce qui était prévu, à savoir une année sabbatique, j’ai signé aux FAR. Le virus du foot a été le plus fort !
Ce contrat initial, signé en tant que directeur technique, portait sur quelle durée ?
Au départ, on partait sur quatre ans au niveau de la DT et du centre de formation. Après, il y a l’opportunité cet été, et à la suite du départ du coach, de me donner la responsabilité de l’équipe première.
Connaissiez-vous un peu l’histoire prestigieuse des FAR ?
Pour être tout à fait honnête, je connaissais son histoire de loin. Je savais que c’était un club qui était pionnier, avant même les clubs de Casa. J’étais déjà venu ici au Maroc lorsque je travaillais pour le LOSC, pour des missions de recrutement. Je n’ignorais pas la rivalité entre les clubs de Casa, Wydad et Raja, et ceux de Rabat. Mais je n’avais pas une connaissance approfondie du club.
Comment s’est déroulée cette première saison ? Avez-vous été amené également à travailler auprès de l’équipe féminine, qui était engagée en Ligue des championnes ?
Très bien. Au-delà même de ce que j’espérais. A mon arrivée, j’ai eu la chance que la direction me suive quand j’ai exposé mon projet. J’avais vraiment carte blanche d’un point de vue sportif et sur la mise en place d’une politique commune à tout le centre. Il y a eu une phase où il a fallu mettre en place un département d’analyse vidéo. La formation à l’AS FAR, c’est quatre équipes : U15, U17, U19 et Espoirs.
J’ai pu avoir quatre analystes, un par catégorie à temps plein. Tous les entraînements et matchs étaient filmés, ce qui permettait ensuite de travailler sur les corrections et le modèle de jeu via la vidéo. Ensuite, j’ai décliné une méthodologie d’entraînement et un modèle de jeu unique aux quatre équipes. C’est à dire qu’elles s’entraînent de la même façon et jouent avec le même modèle de jeu.
Pour pouvoir travailler de cette manière, on a fait tous les mardis matins pendant un an quatre heures de réunion. J’ai mis en place une formation interne liée au modèle de jeu et à la méthodologie pour que tous s’en imprègnent.
J’ai rencontré des coachs très ouverts et qui avaient envie d’apprendre. On a su allier la progression des joueurs et les résultats. Les espoirs ont raté la montée de peu ; les U19 ont perdu en demie du championnat national ; les U17 ont été sacrés champions du Maroc et les U15 ont aussi été demi-finalistes du championnat. Ce qui est important, c’est la progression constatée et le fait qu’on ait pu surclasser des joueurs parce qu’on sentait cette progression chez certains.
Ensuite, il y avait les féminines qui disputaient la première Ligue des championnes d’Afrique en novembre 2021. On partait un peu dans l’inconnu. On a fini troisièmes au Caire. J’étais sur place pour assister le coach (Haïdamou, NDLR). Les regrets, c’est sur notre demie où en première période, on doit mener avec deux ou trois buts d’avance.
Je pense que dans le jeu, si on n’était pas la meilleure équipe, on était l’une des meilleures de la compétition. Ce modèle de jeu dont je parlais, on l’a aussi décliné chez les féminines. C’est donc un bilan très positif sur cette première saison.
A l’issue du dernier championnat où les FAR ont terminé troisièmes derrière le Wydad et le Raja, l’entraîneur Sven Vandenbroeck est parti. Votre nomination s’est-elle faite naturellement ?
C’était un peu particulier. La décision de Sven s’est faite brutalement. On avait travaillé avec la commission de recrutement depuis le mois de mars. Le Président m’avait nommé responsable de cette commission. Le recrutement ciblé l’avait été pour Sven.
Quand il est parti, le club a reçu beaucoup de CV. Mais on n’avait pas encore bouclé le recrutement et je continuais à m’en occuper. C’est un peu plus que j’ai eu la proposition du club de prendre la suite. Je pense que c’était dans l’idée des dirigeants mais qu’ils n’ont pas voulu bruler d’étapes car le recrutement n’était pas bouclé.
Quelque part, c’est tout de même un avantage d’être déjà à l’intérieur du club… Est-ce que vous pouvez évoquer ici votre philosophie de jeu ?
Je veux mettre en place ce qu’on a fait avec le centre de formation. Aujourd’hui, des U15 aux pros, tout le monde s’entraîne de la même façon et tout le monde a le même modèle de jeu. Il est très simple : je n’aime pas parler de système de jeu.
On le voit bien, il y a une déformation des lignes en fonction de l’endroit où on se trouve, on voit de défenses à 4 ou à 3. Les systèmes ne veulent plus rien dire. En revanche, on se doit d’avoir un système de référence sur le plan défensif qui est le 4-4-2.
L’idée la plus importante, c’est la flexibilité dans le jeu et une vraie verticalité. Je suis un adepte du jeu offensif. Après, c’est comment développer ce jeu. Comment le construire, et comment le finaliser. Pour moi, il y a des dynamiques de jeu : la construction, la création et la finition. On travaille constamment sur ces trois dynamiques de jeu de manière à avoir un jeu vertical, offensif et intensif.
Quelle mission vous a fixé la direction cette saison, sur le plan national et continental ?
C’est très simple : quand on a une équipe qui finit troisième deux saisons de suite, l’idée est de faire encore mieux et de jouer le titre national. Au bout de 6 matchs, il n’y a pas vraiment d’équipes qui se dégagent en Botola. Je pense que pour avoir vu le championnat la saison dernière et celui de cette année, j’ai le sentiment qu’il s’est plus resserré.
Que le niveau de cette saison est plus fort que la précédente. Le Wydad a fini champion avec 70 ou 68 points. Tel qu’on est partis là, le titre se jouera avec moins de points, ce qui confirmera que le niveau s’est resserré.
Ensuite, on est engagés dans trois compétitions : Coupe du Trône, championnat et la Coupe de la Confédération africaine. Bien entendu, il faut aller chercher un titre. Les ambitions sont élevées mais un club comme l’AS FAR se doit d’être ambitieux.
Cette saison, vous avez déjà fait « monter » dans le groupe pro des jeunes que vous avez dirigés au centre. Je pense à un en particulier, Bouchqali, qui a marqué d’ailleurs en Coupe d’Afrique…
Contre Mohammedia, j’ai fait débuter l’avant-centre Igamane, qui a livré un excellent match. Igamane et Bouchqali ne sont pas les seuls dans le groupe pro : on a aussi Essaouabi qu’on avait prêté en D2 la saison passée.
On a aussi El-Khalaoui ainsi que Moufid issus de la formation. Aujourd’hui, on a cinq à six joueurs dans le groupe passés par la formation. Ca démontre que les FAR misent sur ce secteur. Quand on y est, il faut y rester. Mais c’est aussi l’un des objectifs du club. Tout en restant ambitieux.
C’est pas un cadeau qu’on leur fait. Si je n’avais pas le sentiment qu’ils en ont le niveau pour jouer, ils n’y seraient pas. C’est la récompense de leur travail et de leurs qualités. On n’est pas là pour faire plaisir aux gens. L’AS FAR a des exigences. La porte restera ouverte pour les jeunes qui ont les qualités pour évoluer en équipe première.
On va s’éloigner quelques instants de la Botola pour parler de la Coupe de la Confédération africaine où l’AS FAR a franchi deux tours contre Remo Stars (NGA) puis l’Ashanti Gold de Siguiri (GUI). Au fait, comment s’est passée cette découverte de la scène africaine, sur le plan personnel ?
On s’est fait peur sur le 1er tour. On a rencontré une bonne équipe de Remo Stars, en devenir. C’est un jeune club en développement. Vu les infrastructures, je pense que c’est un club qui va compter au Nigeria. CHez nous, on a fait match nul mais on devait l’emporter. Là-bas, on a gagné dans un contexte difficile en étant solides.
Pour moi, c’était une découverte. En fait, c’est l’environnement et le contexte qui l’étaient. Après un match reste un match avec son stress et ses enjeux. Sur les deux premiers tours, c’était le plus difficile.
Ensuite au 2e tour, on a retenu la leçon du tour précédent où l’on n’avait pas su être efficaces. On a inscrit quatre buts, on a fait ce qu’il fallait. Mais depuis le début de saison, on a un gros problème d’efficacité. On aurait pu se mettre encore plus à l’abri. On avait fait un pas et demi vers la qualification.
Là-bas, le contexte était plus compliqué en raison de l’état du terrain à Conakry, catastrophique. Au Nigeria, on avait évolué sur un synthétique de qualité. Au final, on a fait ce qu’il fallait. Et on va aborder ce troisième tour (cadrage) contre le Djoliba avec ambition.
Justement, que savez-vous de votre adversaire malien, le Djoliba, que vous affrontez ce week-end et le suivant ? A la clé, il y a le ticket pour la phase de groupes de la compétition…
On va chercher les matchs de Djoliba sur des plateformes. Ensuite, on fait un gros travail d’analyse vidéo sur l’adversaire. C’est exactement le même processus qu’on utilise en Botola. On a créé ce département à la formation que j’ai renforcé au niveau du stade professionnel.
On séquence tous nos adversaires. Mon travail, c’est d’imaginer les scenarii de match de manière à ce que les joueurs soient préparés à toute éventualité sur toutes les dynamiques de jeu de l’adversaire.
L’idée n’est pas de s’adapter de l’adversaire. Mais de savoir comment défendre et attaquer sur eux. L’identité et la personnalité de notre équipe importent le plus pour moi.
En cas de qualification, il y a une phase de poules qui arrivera à partir de février 2023. Le souci, c’est que vous risquez de vous confronter à un calendrier embouteillé, comme l’a vécu le Wydad la saison passée…
Tout a été anticipé d’un point de vue effectif. La seule donne qu’on ne maîtrise pas, ce sont les blessures ou la gravité des blessures. On est déjà dans le scenario décrit. On comptait deux matchs de retard en fait. Le vendredi, on a joué notre retour contre AshantiGold, le mardi on rattrapait contre Safi et trois jours plus tard à Mohammedia pour purger le dernier match.
Trois matchs en une semaine ! On est préparés à ce type de calendrier. On a quasiment doublé les postes ce qui nous permet d’effectuer un turnover si besoin est pour faire souffler ceux qui en ont besoin.
Pouvez-vous nous détailler votre encadrement technique ?
Il y a Hicham Hadjimi mon adjoint terrain, on construit les séances ensemble et on planifie la semaine. Adil Serraj est le deuxième adjoint, qui faisait partie du staff de Sven. Il est en charge de l’analyse de l’adversaire, de sa présentation.
Il est dans la relation et l’accompagnement avec les joueurs. Après, j’ai Hassan Benazzouz comme préparateur physique. Il y a Khalid Skril qui s’occupe des gardiens. Ayman Makroud est l’analyste vidéo monté de la formation, et un autre analyste, Abdou.
Quel regard portez-vous sur cette Botola Pro Inwi 1 considérée comme le plus instable dans le football arabe, sur le plan des bancs ?
On a tous cette pression, ça reste un métier très exposé, de par les objectifs du club définis par la direction. Les supporters aussi. Ce sont des métiers très précaires. Aujourd’hui, il n’y a que les résultats qui font qu’on gère ça.
Quand on choisit ce métier-là, on sait que cela peut s’arrêter à tout moment. Voilà. Pour moi, cette pression n’est pas négative et fait partie du métier. Le plus dur à mes yeux, c’est la charge mentale externe. On est dans un monde réseaux sociaux et là, on entend tout, on voit tout et n’importe quoi… Il faut juste avoir cette capacité à supporter cette pression.
Est-ce que vous avez déjà en tête la date du premier derby r’bati contre le Fath US ? Qu’est-ce que cela représente au club ?
Je ne me suis pas encore projeté sur ce derby. On rejoue jeudi au Hassania Agadir avant de nous déplacer au Djoliba dimanche. Le match le plus important, c’est celui qui suit. Je ne connais pas la date du derby. En revanche, c’est un derby et ça compte.
Comme on dit en France, un derby ça ne se joue pas, ça se gagne. L’idée ce sera de le gagner mais le Fath est une belle équipe avec un bon entraîneur. Ce sera difficile mais on fera tout pour l’emporter.
Avant-dernière question : c’est une grosse machinerie les FAR lorsqu’il s’agit de se déplacer ? Tout est réglé comme du papier à musique ?
C’est un club très structuré. Je l’ai vu sur les deux déplacements en Afrique qu’on a effectués. Je pense que c’est l’un des meilleurs en termes de structures. Un club très professionnel. J’ai la chance d’avoir une direction qui fait tout pour placer l’équipe première dans les meilleures conditions de travail.
On a de supers conditions logistiques, même lorsqu’on reste sur Rabat. Je sais que le WAC, en LDC, a passé six heures à l’aéroport pour des problèmes de visas récemment. Nous, on n’a pas ces problèmes-là, tout est réglé. On a aussi des moyens de récupération pour l’équipe première que la direction nous met à dispo.
Cela nous permet de gagner du temps sur ce plan-là. Je pense qu’il y a peu de clubs au Maroc à posséder ce type d’organisation. Quand je parlais du modèle de jeu de la formation jusqu’aux pros, on est aussi le seul club du pays à travailler de cette manière-là.
A vous écouter, on vous sent très épanoui professionnellement ? Est-ce le cas ?
Je ne m’attendais pas à quitter la France, ce n’était pas le projet. Je suis un peu parti dans l’inconnu quand même. J’ai tenté, je suis parti à l’aveugle. Mais je ne regrette pas. Quoi qu’il puisse se passer après. C’est un très bon club, une très belle ville. C’est pas toujours facile mais je suis très content d’avoir fait ce choix ».
Propos recueillis par @Frank Simon