L’Euro 2016 a refermé ses portes il y a quelques semaines mais nombreux sont les apprentis footballeurs qui se sont rêvés un instant en Ronaldo, Griezmann ou Pogba. Mais avant de caresser l’espoir d’une trajectoire aussi brillante et rémunératrice, les jeunes pousses des rectangles verts doivent savoir que le chemin de la formation est semé d’embuches. C’est pour tenter de démêler l’écheveau dans ce parcours du combattant que Matthieu Bideau et Laurent Mommeja ont commis, à l’adresse des non-initiés, un livre de référence : « Je veux devenir footballeur professionnel» (édition @mphora). Un ouvrage indispensable et complet qui évitera bien des déboires à tous ceux qui souhaitent emprunter la périlleuse voie qui mène aux cimes du ballon rond. Responsable du recrutement au FC Nantes Atlantique, Matthieu Bideau, a accepté pour 2022mag.com de décrire, en toute transparence, ce milieu un peu trop idéalisé.
2022mag: Si vous n’aviez pas connu cet échec personnel pour devenir joueur professionnel, auriez vous écrit ce livre?
Sincèrement, oui. Mais il aurait manqué quelque chose. Parler de l’échec tout le monde peut le faire. L’avoir vécu, c’est complètement différent.Mes paroles sont personnelles. Je pense être légitime quand j’aborde ces moments difficiles. Chacun vit plus au moins bien l’échec. Après 13 ans passés dans ce milieu, je peux dire que ce sont toujours des moments pas simples à gérer pour les enfants et leurs parents. J’ai pris la plume à 35 ans car il y avait un vide sur le sujet. Je pense que c’est une urgence.
Matthieu Bideau : L’ouvrage est très complet. Y-a-t-il une volonté, chez vous, de donner aux familles et aux enfants un maximum d’outils pour éviter des erreurs qui peuvent se révéler rédhibitoires?
L’idée centrale du livre est de donner un maximum de clés, de repères, d’indicateurs fiables et concrets afin de ne pas découvrir les choses une fois qu’elles vous tombent sur le coin du nez. J’aurais par exemple aimé avoir un livre écrit par un ancien agent immobilier sur : comment négocier un crédit ? Comment anticiper les vices cachés ? Quel est le rôle de l’agent immobilier ? Etre transparent ! Voilà notre démarche dans ce livre. On parle d’enfants et non d’immobilier. C’est donc vital d’être transparent avec ces derniers et avec leurs familles qui découvrent un monde dans lequel on ne vous fait aucun cadeau !
Qu’est ce qu’un bon recruteur au sein d’une une structure professionnelle?
Le même qu’un bon recruteur pour un club amateur. C’est un mec capable de bien cerner son marché, sa cible, en fonction d’un budget, et qui ne perd pas son temps à se faire plaisir. Il n’y a que 52 week-end par an. Il doit viser juste. Il doit être visionnaire en ayant conscience qu’un très bon footballeur n’est pas qu’un très bon joueur. C’est également un athlète et un bonhomme. Il doit savoir prendre position et assumer. Ce n’est pas toujours aisé car quand un joueur n’est pas performant on se retourne très vite vers le recruteur.
Comment expliquez vous qu’il y a de plus en plus de jeunes qui veulent devenir professionnels?
C’est très simple. D’un coté, la vie est de plus en plus dure financièrement avec des taux de chômage record.Et de l’autre côté, les prix flambent dans le football. Nos médias nous harcèlent à coup de transferts à plusieurs millions d’euros. Vous avez là le cocktail idéal pour booster un rêve universel qui prend encore plus son sens dans notre société de consommation.
Vous affirmez que les jeunes de 13 à 17 ans n’ont pas vraiment besoin d’avoir un agent à ces âges là et que la famille ne doit pas perdre la main sur leurs gamins. Est-ce que beaucoup d’échecs proviennent en partie de l’autorité parentale déléguée à ces intermédiaires ?
Non. Si vous réussissez à vous imposer en professionnel, c’est en très grande partie grâce à vous. Il en est de même si vous échouez. Pour réussir, il faut tenir un discours exigeant, juste et sans fioritures à nos jeunes. Ne pas leur dire ce qu’ils ont besoin d’entendre est destructeur pour eux. C’est dans ce sens que je dis qu’il est dangereux de déléguer à 100% l’autorité parentale. Le but d’un intermédiaire est de conserver sa « pépite » sur le long terme non ? Trop souvent vous la caressez dans le sens du poil. Les joueurs aiment cela mais ça ne leur rend pas service. Quand un agent tient le « bon » discours, il prend le risque de le froisser et donc d’être quitté. Les joueurs intelligents savent qu’ils ont besoin de cela pour avancer.
« Quand vous êtes bon, on vous caresse dans le sens du poil… »
Dans le domaine de la formation on ne transforme pas un joueur on le façonne. A partir de quel âge, sauf cas de force majeur, a-t-on des certitudes sur le devenir d’un jeune?
A 18 ans, une fois que le joueur est en deuxième année U19. On a de vraies certitudes dans un sens comme dans l’autre. Avant, c’est très aléatoire. Tous les professionnels du football peuvent vous conter une multitude d’histoires concernant des « enfants stars » devenus des anonymes du football.S’il y a un passage à lire, c’est celui sur les 14 étapes à franchir pour affirmer que l’on est un joueur de football professionnel. Cela en fera réfléchir plus d’un et évitera beaucoup de désillusions. Il n’y a pas de vérité dans notre milieu. C’est principalement pour cette raison que j’aime mon métier.
Avec votre expérience vous avez constaté que l’intégration au groupe pro était le moment le plus délicat pour un aspirant professionnel. En quoi ce passage est-il décisif?
Depuis son enfance, un très bon joueur franchit les étapes naturellement année après année. S’il est dans les « très bons », il passe facilement d’une catégorie à l’autre. Une fois arrivé là haut tout se complique. Il fait partie d’un groupe professionnel. Il faut parfois attendre deux à trois ans avant d’être appelé à fouler les pelouses de Ligue 1. Chaque week-end, il descend jouer en réserve. C’est à ce moment là que l’on peut réellement juger de l’endurance mentale du joueur. Etre capable de maintenir un niveau d’investissement efficace, sur et en dehors du terrain, lorsque on n’est pas dans la lumière n’est pas donné à tout le monde. Certains ont cette forme de talent. C’est l’arme fatale pour réussir. D’autres tiennent six mois puis s’écroulent. Ce sont les plus solides mentalement qui finissent par s’imposer.
Pour quelles raisons la déception familiale peut-elle peser sur les épaules des jeunes footballeurs en cas d’échec?
Aucun enfant, entre 13 et 19 ans, n’est armé psychologiquement pour porter sur ses épaules la déception de son papa, de sa maman, voire de sa famille entière. Il est vital si votre enfant intègre une structure de haut niveau de lui dire la chose suivante : « Donne tout pour n’avoir aucun regret à la sortie mais sache que nous t’aimerons autant que si tu étais footballeur, boulanger, ingénieur ou maçon … ». Lorsque l’échec arrive, ce qui est le cas pour 80% de ceux qui intègrent un centre de formation, il est terrible pour un enfant de sentir que son parcours a affecté l’ensemble de la cellule familiale. Passer du « héros » de la famille au « zéro » peut vous embarquer dans un ascenseur émotionnel très compliqué à surmonter.
Une des personnes à qui vous donnez la parole indique que dans ce milieu : « on prend le train en marche ou on reste à quai ». Le football est-ce vraiment Dallas et son univers impitoyable ?
Absolument. Quand vous êtes bon, on vous caresse dans le sens du poil. Si vous devenez moyen, on ne vous calcule plus. C’est comme ça ! Celui qui n’est pas prêt à vivre cela ne peut pas réussir dans ce milieu. Il faut le savoir, l’anticiper et dédramatiser quand ça arrive.
» Très ému par la belle trajectoire de Yacine Bammou «
Pourquoi est-il si important de relativiser ce métier de footballeur et de se ménager une porte de sortie grâce à l’obtention d’une qualification?
En cas d’échec, l’idée d’être armé sur le plan scolaire coule de source. En cas de réussite, vous devez gérer les médias, les affaires courantes, d’éventuels placements… Il s’agit d’avoir un cerveau qui percute. Avoir un bagage scolaire aide à mieux gérer l’extra football. Cela n’a pas de prix. Un joueur qui n’a pas de soucis en dehors du terrain a toutes les chances d’être performant. Par ailleurs, le football s’arrête en moyenne à 30 ans. Il reste 50 ans à vivre. Que fait-on sans qualification ? Il faut prendre conscience que très peu de footballeurs peuvent s’arrêter de travailler après leur carrière.
Yacine Bammou, international marocain qui n’est pas passé par un centre de formation, signe la préface de votre livre. Vous avouez avoir versé une larme quand il a foulé pour la première fois une pelouse de Ligue 1. En quoi son parcours vous touche-t-il particulièrement?
Ma joie lorsque Yacine a marqué un but au bout de 30 secondes en Ligue 1 a été proportionnelle à l’engagement humain qu’il a mis pour arriver à ce niveau. Ce joueur dégageait tellement de passion pour le football, d’envie de réaliser un rêve. Cela transpirait dans son regard, dans ses attitudes et dans son investissement. Il s’est accroché. Il s’est battu. Et surtout, il a continué à mettre en place des routines de joueurs professionnels, sur et en dehors du terrain, alors qu’il jouait encore à bas niveau. Sa rigueur et son profond amour pour le football l’ont amené en Ligue 1 et en équipe nationale. Au delà du joueur, certains bonhommes méritent plus que d’autres de réussir. Yacine en fait partie.
» Le cas Mahrez est exceptionnel et porteur d’espoir «
Le modèle de formation français est-il plus adapté aux joueurs d’origine sub-saharienne, plus forts physiquement, qu’aux Maghrébins au regard du nombre de joueurs qui foulent les pelouses de L1?
Le modèle français est adapté pour les très bons joueurs. S’il y a plus de joueurs d’origine sub-saharienne, ce n’est pas forcément parce qu’ils sont plus forts physiquement. Souvent le commun des mortels résume le potentiel athlétique d’un joueur à sa taille et au compromis force/vitesse/puissance. La tonicité, l’explosivité ou encore le volume sont tout aussi importants. Il ne faut pas opposer le « grand black costaud qui court vite » au « petit maghrébin très technique et fluet ». C’est un raccourci qui fait des ravages et que l’on entend sans cesse dans la bouche des parents autour des terrains. Ce discours me fait bondir car c’est se voiler la face. La vérité c’est que ceux qui passent sont ceux qui ont le plus « les crocs ». Ceux qui prennent du plaisir à se surpasser et à se mettre dans le rouge. C’est la clé pour réussir et durer, que l’on soit blanc, black ou maghrébin.
Comment analysez vous le fait que des Brahimi, Benatia, Feghouli, Mahrez se réalisent davantage à l’étranger que dans leur pays de naissance?
La France n’a pas pu retenir financièrement Feghouli et Brahimi. Yacine faisait tourner la tête de tous les recruteurs de France depuis ses 13 ans. On aime ce genre de joueur mais on a du mal à les conserver face à certains ogres européens. Je connais moins Benatia. Il a peut être eu une maturation générale plus tardive. Le cas Mahrez est exceptionnel et quasi unique. C’est génial. Il est porteur d’espoir pour une tonne de jeunes. Il faut être très lucide. Cela n’arrivera pas chaque année !
En parlant de Ryad Mahrez vous dites que votre plus grand regret est de ne pas avoir décelé le potentiel du joueur quand il évoluait à Quimper. Ce relatif échec est-il un bon indicateur de l’humilité qu’il faut avoir dans ce métier de recruteur ?
Le recruteur ou le responsable du recrutement qui vous dit qu’il n’a jamais laissé passer un super joueur est un menteur ou un type qui se prend pour un autre. Celui qui ne vous parle que de lui et jamais de ses recruteurs l’est également.Ce sont eux les clés du système. Sans eux au quotidien, sur les terrains, vous n’êtes rien.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk