» Ghazi Ghrairi bonjour. C’est votre deuxième saison sur le banc de Merreikh. Vous avez terminé vice-champion la saison dernière derrière le Hilal. Quelle est votre ambition cette saison, tant en championnat qu’en Ligue des champions ?
C’est ma deuxième saison effectivement. Je suis arrivé en mai, lors de la phase retour la saison précédente. Ca a été une bonne fin d’exercice puisque nous étions à huit longueurs du leader, le Hilal, à un certain moment. On est remonté jusqu’à trois points en remportant d’ailleurs le derby contre le Hilal (1-0).
Ca s’est donc bien passé en dépit d’un calendrier chargé. Cette saison, c’est un peu différent puisque j’ai pu travailler avec l’équipe dès l’avant-saison où nous avons préparé la Ligue des champions. Nous sommes par conséquent en plein chantier. Dieu merci, on a réussi à décrocher notre billet pour la phase de poules.
Quels sont vos principes de jeu, la tactique que vous préconisez ? Etes vous plutôt un pragmatique, un meneur d’hommes, un tacticien ?
Je préfère toujours jouer l’offensive. Comme je dirige un club qui joue les premiers rôles sur le plan local, et qu’il y a l’ambition d’aller loin également sur la scène continentale, compte tenu de mon effectif, je préfère jouer en 3-4-3. C’est un dispositif tactique beaucoup plus équilibré qui permet d’évoluer avec un esprit offensif.
Je suis plutôt un entraîneur qui aime « contrôler » ses joueurs. A la base, je suis enseignant d’éducation physique et donc plutôt un meneur d’hommes. Je m’appuie beaucoup sur la discipline et la rigueur parce que je considère que cela peut nous faire réussir.
Racontez-nous, ça ressemble à quoi l’atmosphère d’un derby contre le Hilal ? Quel est votre bilan contre le club champion ?
Ici au Soudan, c’est forcément un match spécial. Cela fait vibrer toute la ville de Khartoum ! La ville est coupée en deux entre Hilal et Merreikh. Je n’ai affronté qu’une seule fois le Hilal, la saison passée. On s’était imposé 1-0, c’était extraordinaire.
Hilal était le leader et grand favori. Il alignait la ligne d’attaque de la sélection nationale soudanaise. On a quand même réussi à neutraliser le Hilal, sur le plan tactique malgré un effectif moins expérimenté.
Discutez-vous football avec Florent Ibenge, qui se trouve être votre rival dans le camp du Hilal ?
Concernant le coach Ibenge, j’étais en Tunisie lorsqu’il a été nommé au Hilal. Franchement, je n’ai pas encore eu de contact avec lui. Je n’ai pas forcément eu le temps de le croiser parce que nous étions en stage en Ethiopie pour préparer le 1er tour de LDC africaine.
Mais si l’occasion m’est donnée, on va se rencontrer pour parler de son expérience, et on aura des échanges, c’est sûr !
Votre qualification contre les Libyens du Ahly Tripoli (2-0, 1-3) a tenu à un petit but. Avez-vous tremblé dans les derniers instants ?
La qualification contre le Ahly Tripoli a été très difficile, compte tenu de la valeur de cet adversaire, champion de Libye. Mais aussi compte tenu des circonstances dans lesquelles on a préparé cette confrontation.
D’abord on avait beaucoup d’absents dans l’effectif. Et puis une situation interne compliquée avec une administration qui a débarqué au club deux jours avant le match aller. Il y avait aussi une atmosphère spéciale en Libye où notre adversaire voulait absolument prendre sa revanche après sa défaite 2-0 à l’aller. Ca a été très difficile mais je pense que l’on méritait de passer, sur l’ensemble des deux matchs.
De quels moyens disposez-vous pour mener à bien vos objectifs ? On sait que le club est limité sur le plan transferts…
Honnêtement et franchement, je travaille dans des conditions « spéciales », très difficiles même. Le problème est que le club connaît des problèmes administratifs énormes. J’ai signé un contrat avec une administration et un président qui réside à Dubai et ne vient jamais au Soudan.
Ca m’a causé des problèmes par la suite. Après deux mois, cette administration a été virée sur décision du TAS. Après, est arrivée pendant l’avant-saison une nouvelle administration. Quand tu te mets d’accord avec des gens et qu’après ils partent, c’est un peu compliqué…
En plus, un club prestigieux comme Merreikh dispose d’un terrain d’entraînement médiocre. Les conditions de travail sont compliquées je le répète, On essaie de faire de notre mieux. C’est pour moi un exploit d’être en phase de poule au vu de nos soucis.
Avant de diriger Merreikh, vous avez accumulé les expériences sur les bancs. En Tunisie, aux Emirats, en Arabie saoudite. Pouvez-vous nous raconter les grandes étapes de votre carrière de coach ?
Avant de venir au Soudan, j’ai connu pas mal d’expériences notamment dans les pays du Golfe, aux Emirats et en Arabie saoudite. J’ai débuté comme tous les entraîneurs dans mon club d’origine, le CS Sfaxien. J’ai commencé avec les U20.
Après, je suis parti en Arabie saoudite pendant deux ans avec un club de la capitale. Puis je suis rentré au pays où j’ai connu quelques saisons en L2 et en L1. Après, mon vrai départ, ça a été avec le CS Sfaxien. Adjoint pendant quatre ans, j’ai remporté des titres prestigieux comme la Coupe arabe, la Coupe de Tunisie, le championnat.
On a joué la fameuse finale de la LDC d’Afrique 2006 contre le Ahly (1-1, 0-1), où j’étais l’adjoint de Mrad Mahjoub. Après cela, je suis reparti en Arabie saoudite pour une saison avec Al-Fayha. En 2008, je suis rentré au CSS comme entraîneur principal. J’ai décroché deux titres cette saison-là, la Coupe de la CAF et celle de Tunisie. J’ai fait sept à huit ans aux Emirats, période pendant laquelle j’ai entraîné pas mal de clubs.
Ma meilleure expérience, c’est avec Emirates Club, quand j’ai remporté la Supercoupe contre Al-Wahda. J’ai fait monter le club en D1 puis j’ai joué la Champions League asiatique alors qu’on était en D2. J’ai également coaché Ajman, en D1, Al-Sha’ab Sharjah, DIbba Fujairah, Orooba, etc.
Je suis par la suite revenu en Tunisie où j’ai pris le Stade Tunisien, le CA Bizertin, l’ES Zarzis, l’ES Metlaoui. Au passage, en 2014, j’ai été entraîneur adjoint de la sélection sous Georges Leekens, pendant une courte durée.
Vous venez de l’évoquer, vous avez été entraîneur adjoint en équipe nationale de Tunisie. Qu’est-ce que ce passage vous a apporté ? Est-ce un bon souvenir ou pas ?
Mon passage, réellement, a été extraordinaire, j’en conserve d’ailleurs de grands souvenirs. On a réalisé un très bon parcours en phase qualificative à la CAN 2015. Malheureusement, j’ai dû quitter ce poste à la demande de mon club, le CSS, qui venait d’être battu en demi-finale de la Ligue des champions.
J’ai succédé à Philippe Troussier sur le banc. Mais il y avait un projet sur deux ans avec la FTF. Je regrette ma sortie de la sélection qui m’aurait certainement ouvert d’autres horizons.
Revenons à Merreikh. En dehors de l’équipe première, vous occupez-vous d’autres aspects ? Y a-t-il un projet au niveau des jeunes ou pas ?
Honnêtement, à Merreikh, il n’y a que la première équipe. Il n’y a pas de travail chez les jeunes, pas de compétition chez les jeunes. Rien. Pas de projet. Le problème du foot soudanais, c’est l’organisation et les infrastructures.
Selon vous, que manque-t-il au football soudanais local pour rivaliser aves les grands championnats africains ?
Le football soudanais souffre réellement. Je pense que la fédération ne fait pas du bon travail sur le plan de l’organisation de la compétition. Ainsi qu’au plan du travail au niveau des jeunes. Il n’y a pratiquement rien. Pas de centres de formation, ni de terrains. Il y a une anarchie au niveau des infrastructures et de l’organisation.
Comment expliquez-vous que si peu de joueurs soudanais évoluent hors de leur pays, en dépit de qualités évidentes ?
Au Soudan, il y a pourtant beaucoup de talents. Mais ici, l’ambiance au pays, la situation financière chaotique, les problèmes d’organisation, de logistique, d’infrastructures, d’hygiène de vie, ne permettent pas aux joueurs d’aller loin et de pouvoir sortir, hormis les Soudanais vivant à l’étranger comme ceux basés au Qatar, qui ont la chance de travailler dans un milieu favorable.
Sinon les Soudanais sont dans l’amateurisme. Dans ces conditions, je ne pense pas que les joueurs puissent sortir et s’imposer ailleurs.
Quel type de relations avez-vous avec le sélectionneur Burhan Tia, qui utilise vos joueurs en A et pour le CHAN ?
Pratiquement, il n’y a aucune relation avec l’encadrement de la sélection qui fait des stages toujours à l’étranger et à l’improviste. Il n’y a pas de communication avec les entraîneurs des clubs non plus. Pas de réunions de la Fédération avec les clubs pour les entendre et écouter leurs remarques. Il prend des joueurs sans demander l’avis de leurs coaches.
Il prend même des joueurs qui ne jouent pas. A Merreikh, lors du dernier stage, il a convoqué une douzaine de joueurs dont quatre ou cinq qui ne jouent pas ! Pas d’explication. C’est à mes yeux un grand point d’interrogation.
L’ES Metlaoui s’est maintenue en L1 tunisienne, c’est un de vos anciens clubs. Heureux pour eux ?
C’est un club que j’aime bien et avec lequel j’ai de bons souvenirs. C’est une équipe militante au vrai sens du terme. Je connais ses difficultés. Il était autrefois parrainé par la société des phosphates, qui disposait d’un bon budget pour bâtir un projet sportif.
Mais ces dernières années, le budget était limité. Et le club ne disposait plus de moyens. Je suis content que l’équipe se soit maintenue en L1 tunisienne. Je souhaite que le club trouve rapidement son équilibre.
L’entraîneur tunisien est présent partout dans le football arabe, Maroc, Algérie, Soudan, et tous les pays du Golfe. Qu’est-ce qui fait votre spécificité ?
L’entraîneur tunisien est très présent, oui ! Il y a beaucoup de réussite pour pas mal de collègues dans ces différents championnats. Le coach tunisien est bien formé et est pétri de qualités : persévérance, discipline, patience. D’intelligence aussi.
Ils sont très demandés dans les pays du Golfe. Maintenant un peu plus en Afrique du Nord, comme en Algérie et Maroc. Ce n’est pas de la chance. L’entraîneur tunisien est bosseur.
Vous êtes natif de Sfax, avez joué puis entraîné le CSS. Suivez-toujours votre club de cœur ? Avez-vous envie de vous investir de nouveau à l’avenir ?
Bien sûr, je suis natif, c’est mon club de cœur et d’origine ! J’ai beaucoup donné à ce club à la fois comme joueur puis comme entraîneur. J’y ai vécu de bons moments, de gloire, beaucoup de souvenirs. Maintenant, il y a une nouvelle ère, et beaucoup de jeunes disposés à aider.
Il y a aussi des difficultés économiques. Il n’empêche, je suis toujours à la disposition de mon club pour l’aider comme je l’ai fait la saison dernière quand mon ex président a eu des problèmes de santé. Il m’a rappelé pour le soutenir et donc, soutenir le club. J’ai exercé comme manager général durant six mois et sans salaire pour aider mon club.
En tant que tunisien, comment imaginez-vous le parcours des Aigles de Carthage dans quelques jours en CDM au Qatar ? Etes-vous optimiste ?
D’abord, je souhaite bonne chance à notre équipe nationale ainsi qu’au staff tunisien. On a accumulé beaucoup d’expérience sur les différentes participations à la CDM. J’espère bien que le groupe qui se déplacera au Qatar sera au top. Et je veux croire que l’encadrement trouvera les bonnes solutions pour une bonne prestation de l’EN.
Je sais qu’on est dans une poule un peu difficile avec la France, championne du monde, et une très bonne équipe, le Danemark. On a notre chance à jouer. J’espère que l’équipe sera prête le jour J pour réaliser l’exploit. Celui que tous les Tunisiens attendent : franchir le cap du 1er tour.
Dernière question : le foot arabe sera très présent au Qatar avec les Saoudiens, les Qatariens, le Maroc et la Tunisie. Qui paraît taillé selon vous pour aller le plus loin possible au Qatar ?
C’est extraordinaire de voir un pays arabe qui organise pour la première fois la Coupe du monde. Il y a quatre nations arabes. Le plus important est que ces nations fassent de bons résultats. On souhaite que les Qatariens, les Saoudiens, Marocains et Tunisiens réalisent un long parcours. Avec le soutien du public, notamment le public arabe. On a vu lors de la dernière Coupe arabe des nations, c’était extraordinaire. Donc, je souhaiter pleine réussite à nos représentants ! »
Propos recueillis par @Frank Simon