« Didier bonjour ! Vous venez de débuter votre deuxième saison en D2 saoudienne (First Division) avec Al-Taraji un promu, après un premier exercice sur le banc d’Al-Aïn. Selon vous, l’Arabie saoudite est-elle partie pour concurrencer durablement les principaux championnats européens ?
En effet, le football saoudien est en train de révolutionner le football mondial. Le royaume est le grand acteur du marché estival des transferts. Il suscite toutes sortes de convoitises. Bien évidemment, Cristiano Ronaldo a ouvert les portes l’hiver dernier. Les clubs attirent les joueurs de renom, et pas forcément en fin de carrière.
C’est intéressant, on sent vraiment que quelque chose est en train de se passer ici. C’est le fruit d’une politique, d’un plan, pour donner une image différente du royaume. Et lui permettre de postuler à l’organisation de futures compétitions internationales.
Est-ce que tout cela est appelé à durer dans les prochaines années ou bien s’agit-il d’un one-shot ?
Je crois vraiment que c’est une politique très cohérente et durable. La Chine l’a fait il y a dix ans, les Etats-Unis font aussi des choses en MLS avec l’arrivée de Leo Messi.
Cependant, le Royaume veut marquer le foot mondial. Le projet, c’est d’organiser le Mondial, sûrement en 2034. C’est d’abord de mettre la lumière sur la Pro League saoudienne (PSL) qui va devenir l’une des meilleures du monde, forcément.
C’est un plan gagnant-gagnant pour les joueurs qui bénéficient de conditions financières exceptionnelles. Des contrats dépassant tout ce qui se faisait ailleurs dans le monde. C’est aussi très positif pour le Royaume qui cherche à embellir son image, à se moderniser aussi.
L’Europe du foot est-elle désormais à la traîne, elle qui se plaint d’un « dérèglement » du marché des transferts opéré par la SPL ?
En tant que modeste acteur de la scène du football saoudien, l’évolution du foot ici est quelque chose que je ressens très fort depuis mon arrivée. On voit une envie réelle de modernisation. L’Arabie saoudite dispose de moyens conséquents pour que ce plan dure et surtout, atteigne ses objectifs.
En quelques mois, le football saoudien a bouleversé le marché des transferts. L’année 2023 restera l’année de l’émergence du pays sur la scène mondial.
Après, même si l’Arabie saoudite apparait comme le nouvel Eldorado du foot, le foot européen reste quand même largement au-dessus, techniquement et tactiquement.
Les choses peuvent changer bien sûr. Une certitude : il y a beaucoup à faire ici et en Asie pour développer de nouvelles compétitions. Et le Royaume va y gagner en crédibilité.
La Roshn League est-elle devenue ou va-t-elle devenir une compétition relevée ?
Le championnat manque d’homogénéité, peut-être. Des clubs y sont encore à la traîne même si on assisté à de belles surprises au cours des premières journées.
La Roshn League est sûrement la meilleure ligue asiatique, de plus en plus compacte. Quand on voit El-Feiha faire match nul contre le Hilal, ça confirme que tous les clubs se sont bien renforcés.
Les moyens sont énormes, tout le monde en profite. Le Ahly, même si c’est un club historique, évoluait en D2 la saison dernière. Depuis son retour cet été, il accomplit de bonnes choses.
Tout le foot saoudien profitera de cette nouvelle donne. Même la First division (D2 nationale) est de plus en plus compétitive. Trois ou quatre clubs ont les moyens pour évoluer en RSL, parmi lesquels Al-Arabi et Al-Faysali.
Parlez-nous des installations, des moyens mis à disposition dans les clubs. Existe-t-il un grand écart entre les Gros et les autres ? Et en D2 ?
Les installations des grands clubs n’ont rien à envier à ce qui se fait en Europe. Ce sont des installations modernes, disposant de tous les moyens les plus sophistiqués.
Mais il y a aussi des clubs à la traîne. Pour le compte de ma licence AFC Pro, passée en 2022, j’ai visité le Damac Club. Comparé aux cinq grands du Royaume, il reste pour l’instant en retrait.
Mais je suis sûr que tout sera mis en œuvre pour que rapidement, l’ensemble des clubs bénéficie des installations. Tout le monde veut progresser.
Le règlement autorise jusqu’à 7/8 étrangers. Les moyens paraissent quasi illimités mais certains refusent encore de venir jouer. Pourquoi selon vous ?
Beaucoup de joueurs ont accepté, d’autres sont plus réticents. Pour ne pas bouleverser leur mode de vie sans doute.
L’apport trop important d’étrangers ne risque-t-il pas de nuire au développement des talents locaux à moyen ou long termes ? Ou bien un règlement les protège-t-il ?
L’apport de 7 à 8 étrangers peut constituer un problème pour l’émergence de nouveaux talents saoudiens. C’est vrai.
Mais on le constate aussi en Europe et dans les plus grands clubs. De temps en temps, des clubs anglais jouent sans joueur anglais. Ca arrive aussi en France, en Espagne.
Pour autant, il y a un plan pour développer des académies comparables aux centres de formation français. Est-ce que ces jeunes joueurs pourront émerger dans de grosses écuries ?
Le pays veut aussi bâtir une sélection nationale de grande valeur, probablement avec la venue d’un coach très confirmé pour succéder à Hervé Renard (La SAFF aurait jeté son dévolue sur l’Italien Roberto Mancini, qui a quitté le banc de la Nazionale, NDLR).
Je le répète, il y a un plan très précis pour, non seulement, donner une visibilité mais aussi pour faire émerger des talents locaux, des équipes féminines aussi.
Il y a plus généralement une politique du Royaume destinée à moderniser non seulement le football, mais aussi le Sport et la vie sociale. Et c’est très intéressant à observer !
Six clubs, soit un tiers de la SPL, sont dirigés par des techniciens portugais. Aucun saoudien, un seul non européen, le Brésilien Pericles à Al Taawoun. Pourquoi ça ?
Vous avez raison, il n’y a que des entraîneurs étrangers en Roshn League, et il me semble que c’est aussi le cas en First Division où je travaille.
Beaucoup viennent d’Europe de l’est, et nous sommes deux Français, puisque Denis Lavagne est là aussi depuis sept mois, à Jabalaïn. On a aussi Robbie Fowler à Al-Qadisiya.
Cette présence massive, ça a toujours été le cas ici, avec sans doute des noms plus ronflants désormais. On trouve essentiellement des coachs à gros CV.
Pourquoi les coachs locaux sont ignorés en numéro un ? Ils sont présents dans les staffs, et ils disposent d’un plan de formation.
C’est une bonne chose que de faire ses premiers pas dans un staff auprès de techniciens chevronnés.
Les choses évolueront aussi de ce côté-là, il y aura l’émergence d’une génération de coachs armés pour jouer les premiers rôles les prochaines années.
Le royaume risque-t-il de voir son modèle imploser, comme celui de la Chine il y a quelques années ?
Le championnat chinois s’était imposé comme l’eldorado des européens en fin de carrière. Mais la destination n’est plus au goût du jour.
C’est le résultat de la politique du gouvernement chinois qui a souhaité recentrer autour des talents locaux, tout cela associé à la crise du Covid et au ralentissement des économies.
Il y a des clubs qui ont totalement disparu là-bas comme Guangzhou Evergrande. Je le répète, ce sont des décisions politiques. Mais je suis sûr que ce ne sera pas le cas en Arabie saoudite.
Le plan sera pérenne au moins sur les 10 prochaines années. Sur le plan marketing, l’attractivité de la SPL dépasse déjà largement celle de la Chine.
Elle suscite l’intérêt de grosses entreprises sportives mondiales, des équipementiers par exemple.
Cela va amplifier l’influence de la ligue saoudienne. Si le Royaume maintient ce rythme effréné sur les transferts jusqu’en 2034, je suis convaincu que sa Ligue (SPL) deviendra l’un des championnats les plus prestigieux au monde, médiatiquement en particulier mais pas seulement.
Comment recrute-t-on dans ce championnat ? On a compris que c’était le règne des intermédiaires et qu’ils étaient nombreux à mettre leur grain de sel…
Concernant le recrutement, je ne sais pas comment cela s’opère précisément en SPL ! Les grands clubs essaient d’attirer les meilleurs joueurs avec des contrats mirobolants largement supérieurs à leurs émoluments européens, c’est la base.
En First Division, où j’évolue, le processus est plus classique avec de nombreux agents qui gravitent autour des clubs et proposent des joueurs.
J’ai reçu ces derniers mois entre 300 et 400 CV et/ou vidéos lors du dernier mercato. Le coach est toujours maitre et sait ce qu’il veut et ce qu’il recherche en terme de profil. Il n’y a pas de grande différence avec ce que j’ai connu en Afrique de ce point de vue.
Que peut-on espérer sur le plan sportif avec les arrivées de Benzema, Neymar, Mané, Mahrez, Firmino et tous les autres ? Le championnat va-t-il vraiment profiter de ces stars ?
Cristiano Ronaldo, Benzema, Kanté, Neymar, Fabinho, Mahrez, Seko Fofana, la liste est considérable. Avec l’apport de tels joueurs, la ligue ne peut que progresser.
Elle va encore prendre plus d’ampleur sur le continent asiatique et même au-delà. Al-Nassr, le Ahly, Ettifaq, le Hilal et Al-Ittihad constituent des écuries très puissantes soutenues par un fonds d’investissement aux moyens illimités.
Tout est mis en œuvre pour que les équipes pratiquent un beau football, trustent les titres en Asie. Le foot saoudien va devenir l’une des places fortes mondiales dans les années à venir, c’est en route !
Le championnat va s’élever par le haut, c’est évident et sous 2 à 3 ans il va continuer d’attirer joueurs et entraîneurs. Je ne doute pas instant que la ligue saoudienne va devenir une place forte.
Vous évoluez cette saison à l’échelon en dessous avec un club issu du 3e niveau. Nourrissez-vous l’ambition d’être coopté dans un club de Roshn League sous 2-3 ans, après les Carteron et Garcia en 2022-23 ?
Je ne suis pas carriériste, je ne me projette pas si loin. Bien évidemment, si l’opportunité se présente d’arriver sur un banc de SPL, je saisirai cette chance là. Mais je suis très bien dans mon job. Je vais là ou le challenge me correspond le mieux.
Al Taraji, mon club, nourrit des ambitions pour les 3-4 prochaines années. C’est excitant puisqu’on vient de la D3. Dans un premier temps, le club veut se maintenir pour, peut-être, aller un peu plus haut, toucher le Graal, c’est-à-dire la Pro League et les moyens financiers mis à disposition de chaque club.
Que peut-on vous souhaiter objectivement cette saison avec Al-Taraji, un promu ?
Vous me connaissez, je suis un « africain » ! J’ai remporté 10 de mes 11 titres sur ce continent et j’y retournerai sans aucun doute.
J’ai d’ailleurs eu l’opportunité de signer à l’intersaison avec un club qui dispute la Ligue des champions africaine, mais je m’étais déjà engagé avec le Taraji. Le challenge est difficile à relever mais il me passionne. On verra plus tard ce qu’il adviendra de mon avenir !
J’aime le football africain, sa passion, sa démesure. Ses joueurs de talent, que je me plais à faire progresser. C’est le cas aussi, ici. Mais d’abord, atteignons nos objectifs.
Pour le reste, on prendra des décisions quand il le faudra. Mais aujourd’hui, il est très motivant d’être au coeur du football saoudien et d’assister à tous ces bouleversements ! »
Propos recueillis par @Frank Simon