Arrivé d’abord comme joueur aux Emirats en 2006, l’entraîneur actuel d’Al-Wahda a accepté de nous raconter son histoire d’amour avec le pays et son football. Une exclusivité 2022mag.
« Gregory Dufrennes bonjour ! Nous avons profité de la trêve du championnat pour venir à votre rencontre. Celle d’un homme débarqué à Dubai en 2006.Dans quelles circonstances exactement ? Je sortais d’une très belle saison avec le FC Sète en 2005 ponctuée par une montée en L2 et une dizaine de buts sur le plan personnel. J’ai décidé de prolonger alors que j’avais reçu une offre, déjà, du Dubai Club, que j’ai refusée. Malheureusement, les résultats n’étaient pas au rendez-vous et je ne m’y voyais pas passer six mois supplémentaires. J’ai été recontacté en décembre 2005 par ce même club, et je suis parti visiter les installations en janvier 2006. J’avais 22 ans. Je ne savais que c’était le début d’une longue histoire !
Comment était le championnat émirati à l’époque ? Amateur ! Il est devenu pro en 2007 ou 2008, c’est-à-dire qu’il s’est structuré au niveau des contrats. Au Dubai Club, j’ai eu un coach égyptien, Ayman Hamadi puis le Français Alain Michel. En ce temps-là, il n’y avait que deux joueurs étrangers autorisés par club. J’ai fait la première saison avec l’Irakien Rezak, puis mon ami Mickael Dodzi Dogbé, l’international togolais passé par Saint-Etienne, a signé.
Sur le plan du jeu, y-avait-il un écart important avec la France ? Ce qui est sûr, c’est que je m’attendais alors à un écart de niveau monstrueux. Mais ce n’était pas le cas. Il a fallu s’adapter à un autre monde, une autre culture, un autre football et surtout à la forte chaleur. Ca s’est très bien passé puisque j’ai inscrit 41 buts en 43 matches. J’étais bien parce que je sortais d’une deuxième prépa physique en France, j’ai fait de grosses différences. C’a été un an et demi de qualité avec ce club.
Que décidez-vous à l’issue de cette saison et demi ? De continuer ici, parce que j’ai reçu une offre du Ahli Club, devenu aujourd’hui le Shabab Al-Ahli Un club plus huppé, donc un changement de dimension, pareil au niveau contractuel. Le nombre d’étrangers passe alors à trois par club. J’étais avec deux Brésiliens : Cesar, qui avait un joli CV en Suisse, et Marcos Asunçao, ex AS.Roma et Betis Séville, un formidable tireur de coup-francs. Durant l’année que j’y ai passé, on a remporté la Coupe du Président.
Pourtant, vous décidez de repartir en France… Et à Sète, en 2008-09. Pour une saison en National. L’idée, c’était de couper, de retrouver mes potes. Ca a été six mois pour me faire plaisir alors qu’on était presque sans salaires. Bien sûr, j’étais « piqué » par les Emirats, mais j’éprouvais ce besoin de souffler.
Ca n’a pas duré plus longtemps… Non car j’ai reçu des offres pour repartir aux Emirats, dont celle de Kalba. Un club qui n’est ni à Dubai ni à Abu Dhabi puisque proche de la frontière omanaise, et qui cherchait à ses hisser en D1. J’ai été contacté directement par le Cheikh qui proposait un projet intéressant, la montée. C’est ce qu’on a fait. A titre personnel, je ne voulais pas vivre en dehors du Dubai. Pour m’éviter la fatigue des aller-retour, le club m’a mis à disposition un chauffeur ! Au bout du compte, j’ai passé quatre ans là-bas.
Avec quels résultats ? Des hauts et des bas, puisqu’on a fait deux fois l’ascenseur entre D2 et D1. Par contre, j’ai trouvé un club formidable, une famille. Ce furent quatre ans exceptionnels. Pour vous dire, j’y suis retourné cette saison avec Al-Wahda et j’ai eu droit à un accueil incroyable, avec un trophée, un maillot floqué et une petite cérémonie. Je crois que je suis à ce jour le meilleur buteur étranger avec Kalba, où j’ai inscrit environ 70 buts en quatre ans. En 2014, mon parcours s’y est terminé par une relégation. J’avais la possibilité de continuer mais je ne voulais pas faire l’année de trop.
Pourtant vous repartez à Dubai… Oui, puisque j’ai resigné au Dubai Club. C’est là que j’ai livré ma dernière saison. Je n’avais pas 33 ans. J’ai eu à cette époque-là des soucis familiaux. A l’époque, on devait effectuer une préparation en Europe pendant plusieurs semaines. Mais je ne pouvais laisser seule mon épouse avec nos trois enfants. Je suis resté six mois sans rien faire. Je n’ai pas prospecté à la mi-saison. En revanche, j’ai réfléchi à mon après-football.
Un après-football dans le football et sur le banc ? Oui. Mon père est entraîneur en région parisienne. J’ai commencé à imaginer une carrière d’entraîneur à mon tour. J’ai appelé des amis émiratis, j’avais une connaissance au club d’Al-Wahda parmi les dirigeants. Je n’ai rien sollicité d’autre que d’observer et éventuellement donner un coup de main dans les catégories à 11 contre 11. J’ai accroché tout de suite !
A partir de quand avez-vous été sous contrat ? J’ai commencé à Al-Wahda en juillet 2016. J’avais aussi une responsabilité auprès des attaquants. J’ai été adjoint en U16 puis en U18, puis on m’a confié la responsabilité des U15 puis celle des U15. La saison dernière, j’occupais le poste de coach des U21, c’est à dire de la réserve. L’équipe première avait comme coach le Néerlandais Ten Cate et à un moment donné, à cause du Covid, il n’a pas pu rentrer sur Abu Dhabi. On m’a alors confié l’équipe avec deux victoires en deux matches, dont contre le futur champion.
Et votre chance s’est présentée en octobre 2021 ! Ten Cate a débuté la saison mais il a été limogé au bout de six matches, le club était huitième. Etait-ce le bon moment ? Je ne sais pas. Mais quand on a une chance comme ça, on y va.
Il y a quelques semaines, Al-Wahda a eu la possibilité de rejoindre le leader Al-Aïn… On a failli revenir à un point mais on a perdu à la maison. On a pêché dans la finition. Aujourd’hui, on est deuxièmes, ce qui n’est plus arrivé depuis 2010.
Comment gérez-vous le groupe ? Je suis exactement le même que lorsque je dirigeais les jeunes. J’ai cette facilité d’adaptation au niveau des relations humaines, à faire accepter mes idées aussi. Je suis quelqu’un de proche de ses joueurs. Je sais hausser la voix lorsque cela est nécessaire. Mes relations sont au beau fixe avec le groupe. Parmi mes joueurs, j’ai un champion d’Europe 2016, le Portugais Adrien Silva. Je prends ça comme une chance de diriger des joueurs de cette valeur.
Quelle est votre philosophie de jeu ? Je suis quelqu’un de réaliste, on fait en fonction de la qualité des joueurs à disposition. J’essaie de maximiser le potentiel de mes joueurs, j’insiste sur la possession et les transitions à la perte du ballon. J’aime marquer des buts, et je préfère 5-4 plutôt que 1-0. Mais on a la deuxième défense du championnat.
Vous disposez aussi de pas mal d’internationaux, non ? C’est vrai. J’ai le gardien, les latéraux, le numéro six, l’ailier droit et le 10 de la sélection nationale. J’ai aussi Omar Khrbin, l’attaquant international syrien qui nous fait gagner des matches.
Quel est votre objectif en cette fin de saison ? Conserver la deuxième place et remporter la finale de la Coupe du Président le 29 mai contre Sharjah. Le vainqueur est directement qualifié pour la LDC asiatique. Ce serait mon premier titre pour Al-Wahda. Et je deviendrais peut-être le premier à avoir gagné ce trophée comme joueur puis comme entraîneur !
A vous écouter, on vous sent pleinement épanoui dans ce pays… Je me sens complètement émirati. Je m’y sens bien, j’y compte famille et amis. On m’a fait m’y sentir à l’aise. J’ai aimé la culture. Alors quand on se sent adopté, vous comprenez qu’il est très difficile d’imaginer un retour en France. Ma femme est émiratie. Il n’y aura pas de retour en France. Les Emirats, c’est ma maison !
Comment gérez-vous la période du ramadan ? On s’adapte. Les entraînements se font vers 21h30-22h. Les maches de championnat sont programmés à cette heure là aussi. On se cale sur les horaires sans souci.
Où avez-vous passé vos diplômes ? Sur place ! Un jour, je me suis rendu à la fédération en expliquant que je voulais les passer. On m’a dit OK, en me faisant comprendre que je commencerai par le début. Je ne le regrette pas du tout. J’ai appris deux trois trucs ! Aujourd’hui, j’ai une licence A de l’AFC (confédération asiatique). Je suis inscrit pour la prochaine session afin de passer la licence Pro. Mais on ne m’a pas empêché d’exercer.
Comment voyez-vous la suite ? J’ai été nommé en octobre 2021 et après une belle série de résultats, le club m’a prolongé jusqu’en 2023. C’est une belle reconnaissance. Je pense qu’Al-Wahda a voulu « sécuriser » parce que cela commençait à parler pas mal de moi sur place ! Je remercie ce club de m’avoir donné cette opportunité de diriger un club avec un nom au niveau asiatique ».
Propos recueillis par @Frank Simon