Après avoir fait le choix de mettre fin à sa carrière professionnelle en Europe si jeune, la footballeuse marocaine Ibtissam Bouharat a décidé, au début de l’été dernier de reprendre la compétition de haut niveau. D’abord en retrouvant un club en Belgique, le Malines KV, puis en étant rappelée au sein de l’équipe nationale du Maroc, vice-championne d’Afrique des nations et qualifiée pour la prochaine Coupe du monde prévue en juillet 2023 en Australie et en Nouvelle-Zélande. Un sacré come-back dont elle a accepté de nous raconter le cheminement.
» Bonjour Ibtissam, à la surprise générale, en 2016 vous preniez votre retraite sportive alors que vous n’aviez que 26 ans. Puis, cet été, surprise encore, vous avez annoncé votre retour sur les pelouses. Qu’est-ce qui vous a incité à prendre une telle décision ?
C’est un sentiment d’accomplissement des objectifs que je m’étais fixés en 2016 qui m’a poussé à choisir entre ma carrière de joueuse de football, ma carrière professionnelle et ma vie de famille. En tant que joueuse de football nous devons faire des choix, et pour moi une vie de famille tout comme une carrière post-joueuse sont très importants. C’est après la naissance de ma deuxième fille que j’ai décidé de me lancer ce nouveau challenge.
Avez-vous consulté des proches, d’anciens et anciennes sportives, avant de valider votre envie ?
Oui mes proches ont été très importants dans ce choix. Ma famille et mon mari. J’ai eu une période d’hésitation ne sachant pas trop comment mon corps allait réagir et une crainte de tenter quelque chose d’impossible après 6 ans d’inactivité et deux grossesses.
On ne peut pas croire que la Coupe d’Afrique des nations femmes qui a eu lieu au Maroc en juin avec la superbe performance réalisée par les Lionnes de l’Atlas n’a pas été un accélérateur …
Là, je vais peut-être vous décevoir, mais ce projet a débuté en janvier 2022, et donc bien avant la Coupe d’Afrique des nations et les résultats sportifs. J’ai travaillé dur individuellement avant d’intégrer la préparation avec mon équipe de club début juillet.
Mais vous n’imaginiez certainement pas rater cette qualification au Mondial, une première dans l’histoire du football féminin arabe …
Je pense qu’ à ce niveau-là je n’ai pas vraiment d’attente. La route est tellement longue, imprévisible et éprouvante qu’il est très difficile de se projeter. Dans ma situation, je suis réaliste et consciente que je ne peux pas prétendre du jour au lendemain à une place pour ce Mondial.
J’ai encore beaucoup à rattraper et à redécouvrir avant de devenir la joueuse que j’étais auparavant. Après, mes qualités sont aussi ma force de caractère, ma détermination et mon ambition. Et bien sûr je donnerai tout pour être en Australie en juillet prochain, à condition que je puisse apporter un plus à l’équipe.
Vous avez bien sûr informé le sélectionneur Reynald Pedros de votre décision. Que vous a-t-il dit et/ou conseillé ?
Oui, j’ai eu un échange avec lui durant mes mois de préparation. Et il m’a conseillé de suivre mon coeur et mes ambitions et qu’on verra bien par la suite ce qu’il en adviendra. Tout en restant lui aussi réaliste face au challenge que je me lance après une si longue absence.
Bien sûr tout cela s’est passé après que vous ayez trouvé un club. Parlez-nous des démarches qui ont abouti à l’accord du KV Malines. Les Belges vous connaissaient très bien, puisque vous avez porté les couleurs du grand club bruxellois, Anderlecht. Mais ont-ils posé des conditions particulières ?
Non pas tellement. Je me suis d’abord concentrée sur moi-même et il m’a fallu travailler dur individuellement, avec mon préparateur physique et mon entourage pour avancer par petits pas. J’avais différentes étapes en tête.
Tant que je n’avais pas franchi certains caps, il était difficile de se présenter dans un club et de penser plus loin. Dans cette partie du travail, je n’aurai jamais imaginé à quel point l’aspect mental est dur. Oui, à ce niveau-là ce n’était pas facile du tout.
Ce n’est qu’une fois que j’ai retrouvé une forme plus ou moins correcte que j’ai pris contact avec le RSC Anderlecht, car c’est le champion en titre, que la Ligue des champions était donc au programme et que je connais bien le coach.
Après un café et une discussion ou j’ai exposé mes projets au coach, il m’a proposé d’intégrer le noyau jusqu’en janvier afin de pouvoir me relancer et qu’ensuite on prolonge en fonction des résultats. J’ai accepté la proposition, sous réserve, et fait la préparation durant le mois de juillet et août avec le noyau A. Et cela s’est très bien passé.
Seulement, juste avant le début du championnat, le KV Malines est venu toquer à ma porte. Une proposition que j’ai acceptée car je travaille à Malines, j’habite Malines et mes enfants y sont à l’école aussi. Le club avait un beau projet et c’est un club très chaleureux. Pour l’équilibre familial et l’harmonie entre mes différentes obligations, j’ai finalement décidé de porter les couleurs du KV. Et la suite vous la connaissez.
Après six journées de championnat, le KV Malines souffre en n’ayant remporté qu’un succès et devra sans doute se battre pour rester parmi l’élite. Cela suffira-t-il à garder un niveau international ?
Aujourd’hui ce qui est important pour moi c’est de jouer, jouer beaucoup de matchs, avoir beaucoup de temps de jeu et essayer de retrouver un peu plus de sensation chaque semaine. Je ne me focalise pas trop sur le fait d’avoir ou pas le niveau international.
À ce niveau-là, je laisse le staff technique de l’équipe nationale faire son travail et juger si je peux apporter un plus à l’équipe ou pas. Mon travail est de donner mon maximum à chaque match, faire ce qu’il faut pour atteindre mon meilleur niveau possible sur et en dehors des terrains et saisir chaque chance que je reçois. En club et en équipe nationale.
Dans l’effectif actuel des Lionnes de l’Atlas, combien sont celles avec lesquelles vous aviez joué dans les années 2010-2017 ?
Je n’ai pas le nombre exact en tête, mais il y en a encore quelques-unes quand même : Salma Amani, Ghizlane Chebbak, Aziza Rabbah, Khadija Er-Rmichi…
Quel accueil avez-vous reçu ?
Très chaleureux et très sympa de la part des filles. De mon côté, j’étais ravie de les revoir et de faire partie du groupe.
Au tournoi international de Cadix, disputé les 6 et 10 octobre, les Lionnes ont été surclassées par une équipe de Pologne non qualifiée pour le Mondial. Mais également par le Canada, qui, lui, est un champion olympique. Cela vous inquiète-t-il à dix mois du rendez-vous australien ?
Non pas vraiment. Je pense qu’à ce niveau-là nous avons totalement confiance en notre staff technique qui a certainement un plan bien établi pour préparer l’équipe. Et comme vous venez de le préciser, il reste encore dix mois avant ce rendez-vous mondial.
Vous connaissez la suite du programme de préparation avant de vous envoler pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande ?
Pas du tout. Je connais seulement les dates FIFA.
Je suppose que cet été vous avez suivi l’Euro féminin remporté par les Anglaises dans des stades à guichets fermés. Le niveau et les progrès du football féminin semblent vertigineux. Qu’est-ce cela vous inspire ?
Oui je l’ai suivi. Et effectivement, on doit le reconnaître, la différence entre le football africain et européen est énorme, le football féminin a pris une autre dimension en moins de 10 ans en Europe.
Aujourd’hui vous avez vraiment mis entre parenthèses toutes les activités que vous meniez depuis 2017 ?
Non je continue à travailler en tant que Business Manager chez Double Pass, un bureau d’expertise dans le football basé en Belgique. La combinaison n’est pas toujours facile, mais j’aime mon travail et ils soutiennent mon projet de reprendre le football ».
Propos recueillis par @Fayçal CHEHAT pour le site https://xn--mditerranennes-bkbi.com/