Quand la géopolitique se mêle au sport, c’est l’ensemble des relations internationales qui s’en trouve modifié. Pour nous aider à mieux comprendre pourquoi le sport est devenu un enjeu mondialisé, aussi complexe que fluctuant, l’économiste Jean Baptiste Guéguan nous livre, avec son Géopolitique du sport (Bréal éditions), une analyse limpide et convaincante. Entretien avec l’auteur. Première partie.
La récente obtention des JO 2024 par Paris a été l’objet d’un quasi consensus de la classe politique française. Est-ce la preuve que le sport transcende les clivages idéologiques?
Jean Baptiste Guégan : Le sport réunit les peuples. Il rassemble les nations et exprime leurs identités. En soi, il exalte le patriotisme jusqu’au nationalisme dans les cas les plus extrêmes. Il peut donc transcender les clivages politiques. C’est un fait. Ceci étant, un autre facteur est aussi à considérer. Le sport permet également aux leaders politiques en place d’en tirer politiquement et électoralement profit. On pourrait donc aisément dire que l’obtention des Jeux à Paris joint l’utile à l’agréable. Il transcende et réaffirme les différences dans un même élan. A peine la victoire obtenue, les différents acteurs politiques ont fait entendre leurs divergences et leurs différences…le Grand jeu ne s’arrête jamais. Il n’y a pas de trêve olympique en politique.
Dès l’introduction de votre ouvrage vous affirmez qu’il n’y a pas de dissociation entre le sport et la géopolitique. Cela a t-il toujours existé? Pouvons nous le dater?
Dès lors que le sport s’est mondialisé et que les confrontations ont opposé – même pacifiquement – des Etats et des nations, il est devenu géopolitique. Miroir de notre monde, il traduit et permet de saisir les tensions du monde, les relations internationales et les conflits qui les traversent. Il fait aussi ressurgir les mémoires des conflits passés, tout en donnant à voir l’organisation réelle du monde.Est-il possible de le dater ? La question est complexe. Le XIXème siècle et plus sûrement son dernier tiers sont les moments où le sport s’est organisé, institutionnalisé et diffusé au reste du monde par l’entremise des Anglais et de l’entreprise coloniale européenne. C’est vraiment à ce moment là de notre histoire contemporaine qu’il devient manifestement géopolitique. Car il révèle l’ordre mondial que domine l’économie-monde britannique.
En quoi le sport est-il la métonymie de ce que nous sommes?
Prenons l’exemple de la Coupe du monde de football 2014 au Brésil. La moitié de l’humanité est concernée et suit la finale. C’est un bon indicateur de ce qu’il signifie. Aujourd’hui, le sport et plus sûrement le football sont les choses les mieux partagées au monde.Mais il n’est pas que cela. Au-delà des pratiques, ce sont des athlètes, des sportifs qui se préparent et s’affrontent. Ce sont des spectateurs qui les regardent et des médias qui diffusent leurs échecs et leurs victoires. Ce sont aussi des enfants qui les prennent pour modèle, des Etats qui les instrumentalisent et des équipementiers comme Nike ou Adidas qui les sponsorisent. Le sport est un monde en miniature. C’est une société en réduction dans laquelle se donnent à voir les relations entre les hommes, leurs affrontements mais aussi tout ce qui les anime. C’est le meilleur des observatoires pour comprendre comment nos sociétés évoluent. Pour le meilleur comme pour le pire.C’est aussi une tragédie sans victimes. Elle donne à comprendre l’essence de la vie. Un match de foot, une rencontre de rugby, un combat de judo, c’est une métaphore de la lutte pour la survie et du combat qu’elle suppose.En somme, le sport, c’est un phénomène social total qui embrasse toutes les dimensions de nos sociétés et de nos existences. C’est un miroir qui se tend face à ce que nous sommes.
Les Etats ont bien compris l’importance de l’utilisation du sport dans leur communication. Quels sont les modèles suivis par certains d’entre eux?
Par le rayonnement qu’il offre et l’attractivité qu’il permet, le sport est devenu un enjeu majeur des relations internationales. Aujourd’hui, nombreux sont les Etats qui s’en emparent pour intégrer le camps des puissances mondiales. Ils se mobilisent pour organiser les grands événements sportifs mondiaux (JO, Coupe du Monde, Euro, championnats internationaux, F1…). Comme le Qatar, le Brésil ou la Russie, l’idée est de faire partie des “happy few” qui sont suffisamment puissants pour obtenir de telles manifestations. Cela traduit la place qu’ils occupent dans le monde, leur capacité à peser et à faire valoir leurs intérêts. Il est aussi possible de voir les Etats investir massivement dans la course à la médaille et aux palmarès. L’ex-URSS, la Chine ou les Etats-Unis aujourd’hui sont dans cette logique. Affirmer leur puissance passe par la victoire et leur place au classement des nations. Leurs couleurs nationales sont ainsi hissées au firmament des podiums et devant les caméras et regards du monde entier.
D’autres pays en fonction de leurs moyens, communiquent en sponsorisant des sports ou des clubs. L’Azerbaïdjan l’a fait avec sa campagne de promotion « Land of Fire » sur les maillots de l’Atletico Madrid. Le Kazakhstan a fait de même avec l’équipe cycliste Astana qui portent le nom de sa capitale. Le Bahreïn suit la même logique depuis quelques saisons avec sa propre équipe, Bahrain-Merida.En somme, l’usage du sport dépend à la fois des moyens à disposition, des finalités à atteindre et de la capacité à peser dans les relations internationales. Chaque Etat peut déployer une politique sportive mais elle dépendra de ce qu’il est. Le Kenya ou l’Ethiopie se sont ainsi, avec leurs modestes moyens, spécialisés dans le fond et le demi-fond pour mieux en tirer profit.
Propos recueillis par Nasser Mabrouk