Sa disponibilité n’a d’égale que sa générosité. A l’image de ce qu’il est sur le terrain, Jamel Saihi est le même dans la vie. Quand on l’a sollicité pour un entretien, il s’est montré tout de suite partant. Mieux le jour du rendez-vous, c’est lui qui vous offre le café en guise de bienvenue. Pendant près de trois quart d’heure, le milieu défensif International tunisien de 28 ans a accepté de se mettre à table. Avec franchise et simplicité, il s’est livré sur son club, sa blessure au genou, sa sélection nationale. Entretien avec un gentleman !
Comment se passe la reprise avec ces grosses chaleurs et le Ramadan ?
Jamel Saihi : Nous nous
adaptons avec deux entrainements, un tôt le matin et l’autre le soir. Nous sommes des sudistes. Nous avons l’habitude. Nous allons bientôt partir en stage une semaine à Mende (Lozère) où il fera un peu plus frais. En ce qui concerne le Ramadan, je ne le fais pas. Le coach nous a bien expliqué les efforts que nous allions fournir et l’intensité des entrainements. Il y a des risques pour notre santé. Certains jours les séances seront même triplées.
Finalement, le groupe n’a pas vraiment bougé à l’intersaison. Est-ce important ?
C’est souvent positif. C’est un plus pour la cohésion du groupe. Mais on verra par la suite en fonction des résultats.
On annonce Ryad Boudebouz à Montpellier. Que pensez vous de cette probable arrivée ?
C’est super. Ryad est un bon joueur qui connaît la Ligue 1. Il a beaucoup apporté à des clubs comme Sochaux ou Bastia. Il va nous faire du bien.
Sur l’exercice précédent Montpellier a terminé septième au classement. Le club est il à sa place ?
Oui. Cela a été une très belle saison au regard des circonstances. On avait perdu deux des meilleurs éléments : Cabella et Stambouli (partis en Angleterre). Il y a eu l’inondation du stade de la Mosson et le déménagement sur un terrain qui n’était pas très praticable (ndlr, le club de rugby de la ville a hébergé certains matches). Malgré cela on a engrangé un certain nombre de points conséquents. En début de saison, notre Président aurait signé de suite pour ce résultat.
N’est ce pas un peu frustrant d’échouer au pied de l’Europe alors que la sixième place était qualificative ?
C’est peut être un mal pour un bien. Si on s’était qualifiés, on aurait peut être pas pu assumer les matches pénibles. A l’image de ce qui est arrivé à Guingamp. Je reconnais toutefois que le club breton a fait une superbe saison.
Roland Courbis évoquait de la nervosité physique et mentale dans le groupe. L’avez vous ressenti ?
On arrivait en fin de saison. Beaucoup d’efforts avaient été faits. Inconsciemment, ca se joue dans les jambes et dans les têtes. On manquait d’un peu de lucidité. On était peut être un peu moins concentrés. On a aussi joué face à une grosse équipe du PSG.
On a eu l’impression que vous avez fait un petit complexe contre cette formation.
En début de match, c’est possible. On les a jaugés pour voir à quel niveau ils allaient être. Si on avait joué comme en second mi-temps, cela aurait pu être compliqué pour eux.
Le Président, Louis Nicollin, semble bien vous apprécier. Quel type de relation entretenez-vous avec lui ?
Elles sont bonnes à l’instar des relations que j’ai avec tous les membres du club. C’est vrai qu’il aime bien ses protégés qui sortent du centre de formation. On donne le meilleur sur le terrain pour faire plaisir à notre président.
Etes-vous conscient que c’est un président à l’ancienne qui se fait rare dans le foot moderne ?
C’est un personnage. Il a monté le club et la réussite n’est due qu’à son travail.
Vous avez souvent été contraint d’être à l’arrêt ces dernières années. Comment l’avez-vous vécu ?
Ce n’est pourtant qu’une seule blessure au genou. On a peut être voulu me faire reprendre un peu trop rapidement. Mon genou n’a pas tenu. Les gens pensent que je suis toujours blessé alors que j’ai été quasiment dans le groupe toute l’année. Ensuite, je suis parti à la CAN en janvier. Cette saison de remise en jambes a été plutôt positive.
En tant que cadre de l’équipe, était-ce encore plus difficile d’avoir été si longtemps absent (ndlr, plus d’un an sans jouer entre 2012 et 2013)?
Effectivement. Il y a eu beaucoup d’attente car j’ai fait partie de l’équipe championne de France qui a participé à la Ligue des Champions. Tout joueur peut se blesser car ce n’est jamais prévisible. Il suffit d’une petite blessure d’un mois pour avoir du mal à retrouver sa place au sein de l’équipe. Surtout quand on est jeune et qu’il y a des joueurs en place. J’ai bien récupéré tout en ayant bien travaillé. Je ne me suis jamais posé de questions. J’ai toujours bossé et donné le meilleur de moi-même sur le terrain. Cela s’est vu sur certains matches où je suis bien revenu.
Cette longue blessure a-t-elle stoppé votre progression ?
C’est sûr. Dans le foot, ce n’est pas facile de s’arrêter ne serait ce que deux semaines. Il faut se remettre en jambes. Quand la blessure est plus longue, c’est encore plus difficile d’enchaîner. Dans mon cas, cela a duré environ un an sans compétition. On ne revient pas en un mois. J’avais pourtant franchi un pallier l’année du titre. Cela explique que je suis encore à Montpellier. Cela dit, le club a aussi progressé ces dernières années. Je suis bien ici.
Vous réalisez votre meilleure saison justement l’année du titre en 2011/12…
Tout à fait. J’ai joué une trentaine de matches en dépit de ma participation à la CAN 2012. C’était une belle année. L’année précédente, même s’il y avait eu les choix du coach, j’ai aussi réalisé des choses intéressantes. Tout comme en Ligue 2 pour ma première saison en tant que professionnel. Je n’avais que 20 ans. J’ai pris part à 36 matches
Qu’est ce que le titre a changé pour le club ?
Le club a évolué au niveau de ses infrastructures. Il s’est doté d’un nouveau centre de formation. Il y a eu aussi des départs importants. C’était dur de reprendre avec de jeunes joueurs. Montpellier est un club formateur. Il ne peut pas recruter des footballeurs en dépensant des dizaines de millions d’euros.
Et à titre personnel ?
Personnellement, j’ai pas mal progressé. J’ai joué les premiers rôles. J’ai pris pas mal de confiance. J’arrive à l’âge de la maturité à 28 ans. J’ai de l’expérience aujourd’hui. Je suis dans une plénitude physique.
La perception des adversaires a-t-elle été différente ?
Quand les adversaires jouaient le champion de France, ils en voulaient plus. C’était comme un match de gala. C’était plus compliqué pour nous. Il nous fallait maintenir un niveau de jeu assez élevé. C’est la raison pour laquelle, on a été en difficulté les premiers mois.
Etait ce facile d’assumer ce statut ?
C’est difficile pour de jeunes joueurs. D’autant plus qu’on n’avait pas l’habitude de jouer le haut de tableau. On a fait du mieux que l’on pouvait. Le plus important était de maintenir le club dans l’élite.
Vous avez participé à quatre matches de Ligue des Champions. Comment avez vous vécu cette expérience ?
Je me sentais bien avant de me blesser. C’était un super moment. Qui plus est avec mon club formateur. On sent qu’il y a plus de maturité. La moindre erreur se paie cash. Je me souviens de notre premier match à la Mosson, face à Arsenal. On dominait les débats. On faisait un gros match. A l’arrivée, on perd la rencontre. Cela se joue à l’expérience à ce niveau. Idem contre l’Olympiakos. Ils ne dépassent pas le milieu de terrain mais marque en fin de match. On aurait pu aller plus loin dans la compétition.
Avec Montpellier, vous avez connu Roland Courbis à deux périodes différentes dans le temps. A-t-il changé dans l’intervalle ?
Je ne pense pas. Ce n’est pas à cet âge là qu’il va changer. Il a les mêmes idées sur le football. Si le club en est là aujourd’hui, c’est en partie grâce à lui.
C’est un personnage haut en couleur. Comment arrive t il à motiver ses joueurs ?
Il essaie surtout de nous mettre en confiance. Il nous dit que dans le football tout est possible et qu’il suffit de jouer à son meilleur niveau. Il nous exhorte à rester déterminés et concentrés pendant tout un match.
Vous a-t-il parlé de son expérience algérienne ?
Un tout petit peu quand il est arrivé. Il disait qu’il avait été agréablement surpris de l’accueil qu’il a reçu sur place. Jacques Bayle, son adjoint, nous a dit qu’ils avaient passé de bons moments sur place. Malheureusement, il en est parti un peu prématurément.
Votre compatriote Aymen Abdenour a terminé troisième du prix RFI du meilleur joueur africain de Ligue 1. Méritait il un meilleur résultat?
Il a eu des débuts difficiles pour sa première saison. Cela a sûrement joué en sa défaveur. Mais sur ce qu’il a réalisé ces derniers mois avec Monaco, il aurait peut être mérité de remporter le trophée. Il a fait une grande saison. Il faudra qu’il confirme l’année prochaine, s’il est toujours en Ligue 1.
Etes-vous surpris par sa progression depuis ses débuts en France ?
Personnellement, je ne suis pas surpris. Je l’ai connu à ses débuts en sélection. Il a toujours été travailleur. Il a par ailleurs un potentiel athlétique intéressant et une bonne technique.
Le voyez vous aller plus haut ?
Il a déjà atteint un très haut niveau avec son club et ce quart de finale de la Ligue des Champions. Il est encore jeune. Il a une marge de progression intéressante. Il a un profil qui plairait à beaucoup de clubs anglais.
Qu’est ce que cela représente pour vous de revêtir le maillot des Aigles de Carthage ?
C’est une grande fierté de tout donner pour ce maillot. Ma première sélection date de 2008 contre le Ghana. Malgré les changements d’entraineurs, j’ai régulièrement été convoqué. Cela prouve que j’ai leur confiance. Mon travail en club paie.
Vous sentez vous porteur d’une plus grande responsabilité avec ce que la Tunisie connait comme bouleversements politiques?
C’est un statut et une responsabilité supplémentaires que d’être en sélection nationale. On a une autre vision de nous, que ce soit en club ou en sélection. Avec la récente révolution, les Tunisiens ont eu le football pour vivre de meilleurs moments. On a essayé de donner le maximum. On a bien réussi dans ce domaine pour leur procurer de la joie.
Vous avez participé aux CAN 2012 et 2015. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Ce sont de bons souvenirs. Je pense qu’avec un peu plus de réussite, on aurait pu aller un peu plus loin. Le football est ainsi. Il ne faut pas trop en demander à la Tunisie. Nous ne sommes ni le Brésil, ni l’Allemagne. Avec nos moyens, on réalise de belles choses.
La Tunisie s’arrête souvent en quart de finale. Que lui manque t il pour aller au-delà ?
Il faut peut être plus de stabilité. On a connu ces dernières années beaucoup de sélectionneurs. Il y a eu aussi le contexte politique au pays. Tout cela n’a pas permis d’avoir une progression pour franchir ce cap. Avec le temps et beaucoup de travail, c’est envisageable.
Quelle a été votre réaction quand vous avez appris que Georges Leekens avait quitté les Aigles de Carthage ?
J’ai été surpris. On avait fait un bon début d’éliminatoires de la Can 2017 avec cette large victoire sur Djibouti (8-1). Je pense que son départ est dû à l’élimination de la Tunisie pour le CHAN 2016. Cela a dû rester en travers des dirigeants.
Que vous a apporté a-t-il apporté ?
En premier lieu son expérience. Il a connu pas mal de clubs et de grandes nations du football. Il savait comment gérer un groupe pour pouvoir jouer la gagne à chaque match. Il a fait du bon boulot.
A la différence de l’Algérie ou du Maroc, la Tunisie fait appel aux joueurs locaux. Cela peut il expliquer la stagnation de l’équipe ?
Je ne pense pas. Les équipes du championnat font de belles campagnes en ligue des champions africaine. Cela prouve qu’il y a des bons joueurs en Tunisie. Par ailleurs, il n’y a pas autant d’expatriés qui évoluent dans les championnats européens. Ce sont les raisons qui poussent le sélectionneur national à faire appel aux footballeurs locaux.
Avec 159 matches en Ligue 1, soit 26 matches en moyenne par saison, quel bilan faites vous à mi parcours ?
Un bilan plutôt satisfaisant. Je pense que si je n’avais pas eu ces blessures, qui m’ont freiné, je serais encore plus haut. Cela dit, je suis encore jeune. Je n’ai que 28 ans. Cela n’est pas fini. Je peux faire de très bonnes choses sur un terrain de football. J’ai encore une marge de progression appréciable.
Comment voyez votre avenir ?
Il me reste deux ans de contrat avec mon club. On sait aussi que dans le football, les contrats ne veulent strictement rien dire. J’ai des agents qui font leur travail. Je ne me pose pas de question sur mon avenir. Le plus important pour moi est d’être performant semaine après semaine.
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk