Kheireddine Zetchi est le président d’un club oasis en Algérie. Cet entrepreneur qui dirige avec succès une entreprise familiale, “Les faienceries algériennes”, leader sur le marché national de la céramique, porte le Paradou AC à bout de bras. Parti de rien en 1994, ce club basé à Hydra sur les hauteurs d’Alger, a réalisé un formidable exploit en passant en dix ans du huitième échelon de la compétition à la Ligue 1. Même une double rétrogadation du club en 2007 n’a pas brisé la passion du grand boss. Ce fut par contre l’occasion de prendre le virage décisif de la formation et la création d’une Académie en partenariat avec le Français Jean-Marc Guillou. Un choix payant. Le travail du club est loué partout, l’équipe A vient de retrouver l’anti-chambre de l’élite et les équipes de jeunes cartonnent tant en championnat que dans les coupes nationales. Cerise sur le gateau, le Paradou AC vient d’acter le premier transfert à l’étranger d’un joueur issu de son centre de formation. En l’occurrence celui du défenseur axial Ramy Bensebaini prêté un an à Lierse SK (Belgique) et recruté il y a quinze jours par Montpellier, club français de Ligue 1. En homme de conviction, le président Zetchi veut y voir la naissance d’un label Paradou appelé à porter haut les couleurs de cette formidable terre de foot qu’est l’Algérie.
Le Paradou AC a accède en Ligue 2 cette année. Avec le recul, vous dites vous que votre première accession en Ligue 1 en 2006 était prématurée ?
Absolument pas. C’était la première phase du développement d’un club très jeune, fondée en 1994. Notre arrivée en Ligue 1 en 2005 était en quelque sorte l’aboutissement de cette étape initiale. Il nous fallait connaître cette expérience de l’élite. Le début de la deuxième phase correspondait au départ massif en 2007 de nos meilleurs éléments vers des clubs de Ligue 1 et Ligue 2. La rétrogadation est venue sonner le glas en quelque sorte. Mais c’était une pause normale, naturelle après si une longue période de croissance.
Quelle leçon avez-vous tiré de ce passage parmi l’élite ?
La rétrogradation nous a mis devant nos responsabilités. On avait le choix d’adopter une politique de folie dépensière, sans aucune garantie de résultats, et celui de construire un projet à long terme. La première option nous aurait obligatoirement contraint à dépenser des dizaines de milliards en salaires et à passer le plus clair de notre temps à chercher à boucler un budget. C’était une politique suicidaire que nous ne voulions ni n’avions d’ailleurs les moyens de pratiquer La deuxième était autrement plus réaliste et plus sage. Elle exigeait de nous de nous concentrer sur un projet basé sur la formation. Comme nous n’avions pas de modèle sous les yeux dans le pays, nous sommes allés le chercher à l’étranger. D’où le partenarait avec le Français Jean-Marc Guillou dont l’expérience en la matière est immense. Ce partenariat a donné naissance en 2007 à notre Academie. Huit ans après les premiers résultats sont là.
Mais être en Ligue 1 c’était aussi la garantie d’avoir une vitrine et du temps de jeu pour vos jeunes talents, non ?
Sans doute. Mais la visibilité, nous l’avons également en Ligue 2. Cette division est trés médiatisée en Algérie. Pour des joueurs de 17 ou 18 ans, elle offre suffisamment de lumière. De toute façon, on se donne deux ou trois ans pour retrouver l’élite. Avec l’ambition cette fois de nous y installer durablement.
De quoi êtes vous le plus fier aujourd’hui : de l’accession de l’équipe première ou des titres nationaux remportés par vos équipes de jeunes : minimes, cadets et juniors ?
Je suis doublement fier. Je suis fier de cette accession dans l’antichambre de lélite parce que nous l’avons obtenu avec un effectif dont 12 joueurs sont issus de l’Académie. C’est une immense satisfaction. Je suis aussi fier des titres nationaux remportés par les équipes de jeunes, parce que cela signifie qu’il y a une continuité dans les résultats et que l’avenir est prometteur. C’est la récompense du travail de tout un club et d’une politique.
Avec le statut un peu particulier de votre club et son ADN estampillée formation, quelles relations entretenez-vous avec vos collègues et concurrents ?
Nous entretenons de bonnes relations avec tout le mouvement sportif national. Nous sommes ouverts à tous et à tout. Nous avons sans doute des relations plus amicales avec certains présidents de clubs avec lesquels nous avons plus d’affinité. Rien de plus normal.
Votre projet suscite-t-il l’intérêt de vos concurrents ? Vient-on vous consultez par exemple ?
Cela reste, hélas, très anecdotique . De temps en temps, les uns ou les autres montrent de l’intérêt, mais cela ne va pas plus loin que la prise d’information.
Entretenez -vous des liens avec d’autre structures similaires dans le monde?
Oui, avec quelques uns. Villareal en Espagne ou Lierse en Belgique. Mais nous entretenons aussi des relations amicales avec le centre de formation de l’Olympique Lyonnais.
Le sélectionneur Christian Gourcuff a une réputation de formateur forgée durant ses longues années lorientaises: l’avez-vous rencontré? S’intéresse-t-il au travail que fait votre club ?
Je ne sais pas. Nous n’avons pas eu l’occasion et l’honneur de le recevoir ni d’échanger avec lui. Mais je pense qu’il est surtout préoccupé par les nombreux engagements de la sélection nationale. Ce qui est normal. Avant tour, il est là pour ça.
Dans quel état se trouve la formation en Algérie ?
(Ferme). Elle est inexistante. Dans tous les clubs on tatonne, on fait ce que l’on peut faire dans une ambiance d’urgence. C’est la politique du résultat immédiat qui guide tout le monde. Il n’y a pas de projet, pas de construction, pas de modèle et donc pas de visibilité. Même pas à moyen terme.
Cette saison, la Ligue 1 a connu un scénario incroyable avec les trois quarts de clubs concernés à la fois par la relégation et les accessits voire le titre. Quelle lecture en faites vous ? Positive où négative ?
Ce fut effectivement un championnat fou. Sans queue ni tête. A deux ou trois journée de la fin, tout le monde ou presque jouait le titre et tout le monde ou presque était sous la menace de la descente à l’étage inférieur. Cela signfie que toutes les équipes se valent sur le plan technique, même si les budgets sont différents. Pour moi, le nivellement est en train de se faire par le bas. La Ligue 1 manque de locomotives capables d’imposer un rythme et une hiérarchie. Seule, sans doute, l’Entente Sétif conserve un certain niveau grâce à une relative stabilité.
Venons en à l’épisode Nabil Fékir :lorsque le Lyonnais a hésité publiquement entre la France et l’Algérie, vous avez été l’un des rares à monter au créneau et à dire :” nous n’avons pas besoin de Fékir…” Etait-ce de la provocation ?
J’ai juste réagi devant l’emballement médiatique suscité par la volte-face du joueur. J’ai simplement dit qu’il était tout à fait normal que Fekir choisisse de jouer pour la France. Il est né en France, donc Français, il a grandi en France, il a été formé dans un centre de formation français. Où est l’anomalie dans tout cela ? S’il avait choisi l’Algérie, cela aurait été un choix du coeur. Ce ne fut pas le cas. C’était son droit. Cela ne servait à rien de polémiquer. J’en ai profité pour dire aussi que des Fekir, des Benzema voire des Zidane, il y en certainement en Algérie. Il faut cependant s’en préoccuper, aller les chercher et les prendre en charge. Du talent, il y en a en dans ce pays croyez-moi. On sait tous ce qu’il faut faire pour y arriver. Nous demandons une politique de la formation tous azimuts. Celle qui nous offrira un championnat attrayant en mesure de faire venir les sponsors et intéresser les télévisions du monde entier
Malgré les critiques permanentes, l’Algérie arrive à sortir quelques éléments de talent: on pense à des joueurs comme Derrardji et Chenihi aujourd’hui, Slimani, Soudani, il y a quelques années. Tout n’est pas à jeter finalement ?
Personne ne le nie. Mais c’est infinitissimale. On pourrait sortir un plus grand nombre de joueurs de haut niveau. Si l’on adoptait enfin un cercle vertueux. Mais pour adopter ce cercle vertueux, il faut une politique de développement cohérente, il faut mettre les moyens financiers et matériels qu’exige aujourd’hui la pratique de haut niveau et il faut surtout de la patience. La patience et la clé de la réussite. Car former et bien former, demande des années de travail.
En clair vous demandez aux Algériens de se retrousser les manches pour découvrir des Benzema et des Fekir ?
Exactement; Nous devons tous le faire. Car l’Algérie est une formidable terre de football. Il faut arrêter de faire des coups à la petite semaine. Si on fait le nécessaire, l’Algérie peut non seulement offrir à ses clubs de grands joueurs, mais elle peut également devenir un important vivier pour le football européen.
La FAF a instauré à la fin du mois d’avril une indemnité de formation et de solidarité que doivent payer tous les clubs professionnels. C’était un de vos combats. Vous pensez qu’elle sera vraiment appliquée ?
C’est un premier pas positif. Il va permettre aux clubs formateurs de profiter des efforts faits durant des années pour sortir un, deux ou trois joueurs de haut niveau. Elle sera appliquée car, ne l’oublions pas, c’est une directive de la FIFA.
Combien de joueurs sortis de votre centre sont employés en Ligue 1 et Ligue 2? Vous allez être riche avec ces futures indémnisations ?
(Il réfléchit plus longuement). De tête, je ne peux pas vous donner un chiffre. Mais il y en a pas mal effectivement.
Le défenseur axial, Rami Bensebaini, votre joyau, a rejoint la Ligue 1 Française. Je suppose que c’est une belle satisfaction pour vous et tous ceux qui travaillent à vos côtés. Cela rejoint ce que vous venez de dire…
C’est un premier pas. Je suis content pour le joueur et pour le club. Pour Bensebaini, ce n’est pas encore l’aboutissement. Il vient de franchir un palier. Un grand challenge l’attend à Montpellier, un très bon club de la Ligue 1 française. Il doit être à l’écoute, grandir, apprendre les ficelles du monde professionnel.Pour monter plus haut car il est encore très jeune. Je suis bien sûr heureux pour le club. Avec Rami, c’est en quelque sorte le début d’un label. Le label Paradou AC que nous voulons developper. C’est un premier retour sur investissement. Nous espérons en avoir d’autres dans le futur qui nous permettrons d’autofinancer le club, de créer des antennes regionales etc.
Le Paradou a vocation a former des joueurs pour l’élite algérienne où vise-t-il l’exportation de ses plus belles pépites.
Notre plus belle récompense sera de tisser une véritable toile d’arraignée et de voir notre centre de formation pourvoir en joueurs talentueux toutes les sélections nationales des moins de 15 ans à l’équipe A
Mais on peut aussi imaginer que vous aimeriez faire du Paradou AC, dans dix , quinze ou vingt ans, toutes proportions gardées, un Barcelone algérien qui puiserait ses forces dans sa “Masia” ?
Tout le monde à le droit de rêver. Evidemment que nous avons de l’ambition et que nous aimerions faire du Paradou AC un super club, avec une super organisation, un super stade et un super centre de formation. L’idée est de maîtriser l’ensemble du processus qui met le joueur dans les meilleures conditions pour grandir. Mais pour cela, il faut des sacrifices, beaucoup de travail et des moyens.
Propos recueillis par Fayçal CHEHAT