Consultant en communication, engagé dans la vie politique et associative, Ali Id Elouali est également un passionné de philosophie, de sport en général et de football en particulier. La victoire de la France lors du Mondial 2018 lui a inspiré cette magnifique chronique. Dans laquelle il nous dit que le nouveau sacre des bleus s’inscrit dans un nouveau récit national. Qu’il faut vivre intensément et si possible fraternellement.
Non la politique n’a pas le monopole des coeurs et encore moins des étoiles ! A mes ami-es qui boudent, tirent la tronche et nourrissent des passions tristes à l’égard des bleus, je leur dis que personne ne les oblige à être heureux.
En revanche, je leur demande vivement d’arrêter de donner des leçons de morale aux gens qui ont fait le choix de la communion populaire. Ce n’est pas parce que nous vivons intensément la victoire des Bleus que nous ne sommes pas intensément concernés par l’état du monde. Ce n’est pas parce que nous répondons à l’intensité du moment que nous tournons le dos aux malheurs du monde.
La politique n’apprivoisera jamais la force de l’anthropologie. La politique ne domptera jamais les mythes, les récits archaïques, les symboles universels, les inconscients individuels et collectifs, et encore moins les légendes personnelles ( qui n’a pas une histoire personnelle et une intimité avec la victoire des bleus en 98 ?). La politique ne parviendra jamais à « tuer » les héros car ceux là naissent d’un autre monde.
Depuis que le monde est monde, il est fait de héros, d’anti-héros, de valeurs, d’anti-valeurs, de rêves et de peurs, de chutes et de rédemptions. Que raconte Homère dans l’Iliade ? Que racontent la littérature et l’art ? Rien d’autres que la clameur des héros… La puissance du mythe, les publicitaires l’ont comprise depuis le fabuleux « La victoire est en nous » avec la tête de ZZ, en demi-dieu vivant, flanquée sur le bien nommé l’Arc du Triomphe, fixant la foule d’un regard héraldique.
Mais contrairement à 98, le nouveau sacre des bleus s’inscrit dans un nouveau récit national post 2001, marqué, il faut bien le dire, par des tragédies nationales, suivies par des communions dans la peine.Quand plus d’ un million de citoyens sont descendus à Paris pour condamner les attentats de Charlie, pas moins d’une dizaine de leaders politiques aux pratiques démocratiques pour le moins douteuses, étaient en tête du cortège. Pensez-vous cher ami-es que les gens qui ont battu le même pavé que des dictateurs étaient dupes, imbéciles et manipulés ??? Alors pourquoi aujourd’hui faire le procès du football quand certains politiques s’en emparent ???
Ce n’est pas parce que la politique n’enchante pas le monde que le reste des activités humaines et des constructions collectives doit cesser de le faire. Et puis après tout, est-ce la faute du football si aujourd’hui notre société manque d’un visionnaire de la dimension d’un Hugo ou d’un Jaurès ? Ne faisons pas de faux procès à ce sport, mais n’attendons rien de lui non plus en dehors de la joie intense et unique qu’il procure !!! Non le football ne résoudra pas la question des banlieues, ni celle du vivre ensemble, ni celle de l’égalité, non et mille fois non !!! Evitons-nous l’illusion 98 !! Il y aura encore des territoires bannis de la République, mais ça c’est le job de la politique et des politiques. Ce n’est pas l’affaire d’un gamin de 19 ans, natif de Bondy, de résoudre le rapport qu’à la France avec sa république ! Non !
Lui, il a fait son job : nous avoir donnés le goût du sel de la vie, nous avoir permis de vivre « ça » pendant un instant aussi intense que furtif ( que vaut un match de foot dans une vie ? )… « Show me a hero and I’ll write you a tragedy », écrivait Francis Scott Fitzgerald. Une nouvelle dramaturgie va s’écrire. Nul ne peut en connaître l’issue. Une chose est sûre : vivons la intensément, et si possible fraternellement.