Parmi les techniciens européens et français, il est l’un des rares à avoir officié au Qatar, mais aussi en Tunisie, au Maroc, en Arabie Saoudite et dans un club libyen. Justement, six mois après sa première mission auprès de l’Ittihad Tripoli, Pierre Lechantre vient de donner son accord pour repartir avec le club tripolitain. Avec sa délicatesse coutumière et sa gentillesse légendaire, il évoque ici son parcours de grand voyageur dans le football arabe et africain. Rencontre.
« Pierre Lechantre, pourquoi repartir du côté de l’Ittihad Tripoli, que vous dirigiez en début d’année ? On a conclu un accord verbal avec le président Omar Mghirbi. Je repars pour un an à la tête de ce club libyen basé en Tunisie. Il s’agit de préparer une échéance africaine, à savoir la Coupe de la Confédération, qui débute en février 2016.
Il s’agit d’un retour puisque vous avez dirigé Ittihad quelques mois seulement en début d’année jusqu’à l’élimination en Coupe de la Confédération par l’ASEC d’Abidjan. Comment cela s’était-il passé ?
On avait vécu deux mois et demi ensemble en Tunisie, 24h sur 24. Dans ces conditions-là, on apprend vite à connaître chacun. En plus, je devais gérer d’autres aspects de la vie quotidienne, comme le départ d’un joueur pour le pays après une naissance pour voir ssa femme. On a eu aussi le cas d’un joueur dont le frère avait pris une balle à Tripoli, et puis il y avait les difficultés liées à la vie d’un groupe en stage bloqué. C’était un fonctionnement atypique mais intéressant !
Visiblement, vous avez apprécié cette première mission…
Oui, parce qu’il y avait un vrai potentiel sur le plan de l’équipe. Lors de la phase de préparation, mis à part un revers contre l’Etoile du Sahel (0-2), on avait battu l’Espérance et fait match nul contre le Stade Tunisien et le Club Africain. On avait clairement démontré un bon niveau. Contre l’ASEC, après un nul chez nous (1-1), on s’était fait éliminer sur un coup de dé juste avant la phase de poule après une défaite (1-0). On avait raté un penalty et ils avaient marqué derrière.
Vous visez les poules en 2016 ?
Evidemment. Mais on sait déjà que l’on devra en passer par quatre matches préliminaires. Ce n’est pas évident, mais on va se battre pour. Clairement, nous allons tout mettre en œuvre pour nous qualifier pour la phase des groupes en Coupe de la Confédération qu’on a manqué au printemps dernier. J’aimerais bien faire un coup, recruter un attaquant expérimenté.
Avec quel profil ? Un trentenaire qui vienne pourquoi pas d’un championnat européen, d’ici au mercato d’hiver. Ittihad a les moyens de ses ambitions, mais on ne va pas se précipiter. La saison passée, on avait recruté deux Ghanéens et un Nigérien mais cela n’avait pas eu d’impact.
Comment vivez-vous le fait de ne pouvoir vous rendre en Libye, en raison du contexte politique ? Je dispose d’une clause qui m’interdit d’aller exercer sur le sol libyen au vu des circonstances. Ici, on continue d’avoir de nombreux sympathisants en Tunisie, où résident près de deux millions de Libyens.
Peut-on avoir une idée de votre programme de préparation ? J’avais soumis un programme précis qui comprenait quatre stages, successivement en Tunisie, au Maroc, au Qatar et en Turquie juste avant le début de la Coupe d’Afrique. Malheureusement, ce planning que j’avais soumis à mon président vient d’être remis en question par Javier Clemente, le sélectionneur de la Libye qui a prolongé d’un an. Ce dernier a programmé un stage bloqué de 53 jours (du 4 octobre au 27 novembre) et retenu les quatorze meilleurs joueurs de l’Ittihad.
Pour quelle raison ? Il prépare le tour éliminatoire du Mondial 2018 contre le Rwanda ainsi que deux matches qualificatifs au CHAN 2016 contre la Tunisie et le Maroc, qui se joueront à Tunis. La Libye est tenante du CHAN depuis 2014 mais elle doit encore se qualifier pour aller défendre son titre au Rwanda.
La fédération libyenne soutient-elle les représentants libyens en Coupes d’Afrique ? A ce que je sais, une enveloppe de 800 000 dollars est mise à disposition des deux clubs pour préparer la Ligue des champions et la Coupe de la Confédération.
La Libye, un grand pays de football ? Ecoutez, elle a quand même remporté le CHAN 2014 et surtout, elle devait organiser la CAN 2017, qui lui a été définitivement retirée par la CAF en raison des évènements. Et un club comme Ittihad Tripoli, c’était quand même 45 000 spectateurs à domicile.
Quand on regarde votre parcours, on s’aperçoit que vous avez souvent officié dans le football arabe, et en particulier au Qatar, dont vous avez été le sélectionneur…
J’ai aussi été souvent viré et repris après ! Sans doute n’ai-je pas laissé là-bas une mauvaise image. Au Qatar, j’ai eu une cote énorme. Après que j’ai démissionné, je suis revenu quelques années plus tard. Au total, quatre fois ! Et j’y retournerais volontiers parce que, en dehors du fait que l’on y gagne bien sa vie, cela s’était bien passé. Je me souviens que j’étais arrivé au Qatar en 2002, au moment où le pays s’éveillait au football avec Cheikh Tamim et Cheikh Jassim, des personnalités avec lesquelles j’ai beaucoup échangé. On avait lié des relations cordiales, j’ai aussi connu Nasser El-Khelaïfi à l’époque où il s’occupait de l’Open du Qatar de tennis. Quand ils me voient, c’est toujours, « Le chanteur, comment tu vas ? » Et pourtant, j’ai dû virer huit joueurs vieillissants qui étaient en sélection à cette époque-là, des stars locales ! On était parti ensuite à la Coupe du Golfe où l’on avait atteint la finale de la compétition avec des jeunes de vingt ans.
Comment expliquez-vous cette cote de popularité au Qatar, qui vous a vu transiter par Al-Sailiya, Al-Rayyan et Al-Arabi ? Je crois que ma gentillesse était appréciée. Elle m’a desservi aussi auprès de certains présidents qui auraient visiblement préféré quelqu’un qui soit plus meneur d’hommes, qui gesticule plus ! Je crois qu’ils aiment bien les « gueulards ». Je me souviens que Cheikh Abdullah, le président d’Al-Rayyan, m’avait dit, alors que je succédais à Luis Fernandez : « Pourquoi n’êtes-vous pas comme Luis, vous ne sifflez pas ou ne gesticulez pas comme lui ? » Je suis certainement plus cool sur mon banc. Je ne vis pas mon job de coach comme un job d’acteur. Du coup, certains ont pu croire que je n’étais pas assez partie prenante dans les matches. Mais les choses ont bien changé, j’ai l’impression, quand on voit un Laurent Blanc tout calme au PSG. Mais Nasser El-Khelaïfi est un homme calme et rigoureux aussi.
Gentil, l’êtes vous réellement ? Non ! Je suis quelqu’un de têtu et de rigoureux, ça m’est souvent arrivé de rentrer dedans quand on me cherchait. Je ne suis pas homme à me laisser faire. Je défends mes idées.
Outre le Qatar, vous avez dirigé le MAS de Fès (MAR)… Ce fut un mauvais passage à mon goût, dans un club qui n’était alors pas très structuré. Je ne disposais pas d’une grosse équipe, c’était une époque transitoire. Je m’étais laissé enthousiasmé par le nouveau stade de 40 000 places qui venait d’être bâti ! On me disait que ce serait le club de l’avenir. Mais c’était terminé pour moi après six mois.
Vous avez aussi goûté au football tunisien et à son championnat, du côté du Club Africain et du CS Sfaxien… Oui, et cela reste globalement un bon souvenir parce que j’ai le bonheur de connaître les grandes affluences au stade pour un Club Africain – Espérance par exemple à Radès. J’ai aussi atteint une finale de Coupe d’Afrique avec Sfax. Il est dommage que le football tunisien soit en perte de vitesse en raison des évènements.
Finalement, vous n’avez pas connu la Libye… C’est inexact : quand j’ai pris le Cameroun en 1998 après la Coupe du monde en France, on a disputé les éliminatoires de CAN 2000 et on avait été jouer en Libye. On avait gagné 3-0, si je me souviens bien, en se faisant lapider ! Je me souviens que les Mboma et Song, qui étaient des guerriers comme tous les autres Lions Indomptables, ne s’étaient pas laissé impressionner par les cailloux. Et on avait gagné la CAN quelques mois plus tard ! »
Propos recueillis par @Samir FARASHA