Alors que le pays est dans un état de guerre civile entre deux factions qui empêche la tenue d’un championnat, Al-Nasr Benghazi et les différentes sélections nationales permettent au football libyen d’exister sur le plan continental et international.
Les joueurs d’Al-Nasr Benghazi ne sont pas près d’oublier la date du 26 janvier. C’est ce soir-là, à Bamako, dans un stade du 26-mars incrédule, qu’ils ont composté leur billet pour les quarts de finale de la Coupe de la Confédération africaine. Une victoire (1-0) sur le Djoliba local, grâce à une nouvelle réalisation de leur goleador Moataz Al-Mahdi, a tout simplement permis de s’offrir l’impensable à une journée de la fin de la phase de poules. Avec 8 points et une différence de buts particulière supérieure à son adversaire malien, le club de Benghazi pouvait même se permettre un accroc contre le Horoya Conakry. Et le jeune coach, Al-Kikli (36 ans) rêve désormais d’un tirage favorable pour conduire sa jeune classe dans le dernier carré.
Le parcours d’Al-Nasr est d’autant plus incroyable – une douzaine de matches en compétition africaine avec des rencontres « à domicile » sur terrain neutre – que le football n’existe plus sur territoire même de la Libye. Les derniers matches de championnat datent du 6 avril… 2019. La compétition nationale a ensuite été définitivement annulée, en raison de la situation politique qui prévaut.
L’équipe nationale, elle, va bien, merci. Elle est engagée en éliminatoires de la CAN 2021 – défaite 4-1 contre la Tunisie, victoire 2-1 sur la Tanzanie – et de la Coupe du monde 2022. Le tirage au sort lui a offert comme adversaires l’Egypte, l’Angola et le Gabon. Il y a quelques jours, la CAF a demandé à la Libye de se substituer à la Tunisie pour participer au CHAN en avril, au Cameroun. Et la fédération a accepté cette invitation. De fait, le sélectionneur national, le Tunisien Faouzi Benzarti -nommé à l’automne pour six mois renouvelables – ne manque pas de travail, entre les A et les locaux.
La Libye peut aussi compter, peut-être, sur sa sélection engagée à la CAN de futsal à Laayoune, pour éventuellement participer à la Coupe du monde. La formation dirigée par le coach espagnol Fernandez Correia est en effet qualifiée pour le dernier carré. Battue 3-0 par le Maroc en ouverture, elle a ensuite remporté son match par forfait contre l’Ile Maurice, et dominé la Guinée Equatoriale 2-1. Elle joue ce mercredi sa demie contre l’Egypte et en cas de qualification pour la finale, pourrait retrouver le Maroc ou l’Angola. Ce parcours a été rendu possible par un programme de préparation à l’étranger, au Bahrein en particulier.
C’est tout le paradoxe de ce football libyen compétitif mais qui ne peut exister sur son propre sol en raison du conflit entre le gouvernement de Faiez el-Serraj basé à Tripoli, et le maréchal rebelle Khalifa Haftar, venu de Benghazi. L’impossibilité d’organiser des matches et la mise en sommeil des principaux clubs – Ittihad et Ahly de Tripoli, Ahly de Benghazi – a conduit à un inexorable exode des muscles. De nombreux internationaux mais aussi de simples joueurs ont été contraints à l’exil, soit dans les pays du Maghreb, soit en Egypte. Le plus connu d’entre eux, Hamdou Elhouni, brille actuellement sous le maillot sang et or de Taraji, l’Espérance de Tunis, où il a pris le relais d’Anice Badri et Youcef Belaïli.
La Libye, qui a remporté le CHAN 2014 sous Javier Clemente avant de terminer quatrième il y a deux ans au Maroc, rêve d’un nouveau titre au Cameroun même si cette perspective demeure compliquée. Les joueurs locaux manquent cruellement de compétition hormis ceux du Nasr Benghazi, qui passent beaucoup de temps en Egypte où ils « reçoivent » et disputent des matches amicaux contre les clubs locaux. La sélection A, elle, peut envisager la CAN 2021 pour peu qu’elle remporte tous ses matches à la maison et boucle derrière la Tunisie, favorite de son groupe. C’est envisageable, à condition que les meilleurs éléments (Saltou, Al-Warfalli, Elhouni, Benali, etc) prêtent main forte et se battent pour offrir une qualification à la CAN, la première depuis Gabon 2012. La Libye est en déficit de participation à la CAN depuis 1982, avec seulement deux phases finales (2006, 2012).
Le beau parcours d’Al-Nasr, la révélation de certains talents dans cette équipe, l’émergence d’Elhouni, l’expérience du coach Benzarti – dont c’est la deuxième tenure sur le banc libyen – permettent d’envisager avec un léger optimisme le destin des sélections A et locale. Et redonner un peu le sourire aux millions de supporters privés de stade, et qui ne peuvent plus suivre le football que sur les petits écrans. Un paradoxe quand on connaît leur ferveur…
@Samir Farasha