Après nous avoir parlé de son club, de son amour du ballon rond et du foot féminin en France, Lilia Boumrar attaque cette deuxième mi-temps plus énergiquement, distribuant au passage quelques tacles. La milieu de terrain nous fait part de son expérience heureuse avec la sélection algérienne de football, du titre décrochée avec cette celle-ci, de ses coups de gueule vis à vis de la Fédération algérienne et des raisons qui l’ont amenée à arrêter sa carrière internationale.
Comment avez vous été amenée à jouer pour la sélection algérienne?
Il y avait deux joueuses de mon équipe de Bagneux qui évoluaient déjà avec l’Algérie. La capitaine de la sélection Naima Laouadi jouait à Marseille. Elles étaient dans la même poule que nous. On s’est rencontrées plusieurs fois. Elle a voulu que j’intègre l’équipe nationale quand j’avais 16 ans. L’entraineur nationale était venu voir Bagneux contre Marseille. Il m’a dit qu’il me prendrait dès mes 17 ans. J’ai donc honoré ma première sélection lors du tournoi de la coupe arabe à Alexandrie en Egypte, en 2006. C’était magnifique car c’était juste avant mon Bac. J’avais marqué le but en finale contre le Maroc.
But marqué en fin de match d’ailleurs.
Oui vers la 88ème minute.C’était le premier tournoi pour lequel j’ai été sélectionnée. Et, mon premier titre. Ironie du sort, j’avais pris la place de notre capitaine Naima Laouadi qui était blessée. C’était la tôlière. La référence. De plus, elle était médiatisée en Algérie. Cette victoire a été relayée par les medias pendant deux semaines. Les filles ont été reçues par le Président de la république. C’est la compétition qui a médiatisé cette équipe. A partir de là, j’ai enchainé sur des coupes d’Afrique au Nigéria, en 2006, et en Afrique du Sud, en 2010. J’ai également fait les Jeux africains en Algérie, en 2007, et au Mozambique en 2011.
Quels souvenirs gardez vous de ces CAN ?
C’est bien à faire. Footballistiquement, on n’a pas été bonnes au Nigeria. En Afrique du Sud, on avait vraiment une équipe pour faire quelque chose. En 2006, la différence était vraiment importante parce qu’on se prenait des 4-0 contre l’Afrique du sud, des 6-0 face au Nigeria. En 2010, on craque physiquement sur la fin après avoir mené 1-0 contre le Ghana (2-1). On perd ensuite face à la Guinée(1-0) et au Cameroun (2-1). Le Ghana et la Guinée sortaient du Mondial tandis que le Cameroun allait y participer puisque finaliste de la CAN 2010. Nous étions contentes de notre championnat d’Afrique et du jeu qu’on produisait. Quand nous rentrions à l’hôtel, les autres équipes nous disaient qu’on pratiquait un beau football. Certes, ce sont trois défaites. C’est ce qu’a ressorti le président de la fédération algérienne de football (Faf), Mohamed Raouraoua. Ces trois défaites étaient plutôt perçues comme une honte en Algérie. Nous, on a vu notre progression et la manière dont on avait accroché ces équipes. Cela s’est joué physiquement. On n’avait pas de moyens de récupération. A part les massages d’après match. Suite à cette CAN, l’équipe nationale a été gelée pendant deux ou trois ans, soi-disant à cause des mauvais résultats.
Il n’y a eu aucun media ou aucune voix pour vous défendre.
Vous savez quand Mr Raouraoua prend une décision, personne ne s’en mêle. En 2011, on a fait les Jeux africains au Mozambique car c’était sous l’égide du ministère des sports qui prenait en charge les frais. Par contre la préparation était dévolue à la fédération. Au départ, ils étaient contre l’idée de nous envoyer en France pour nous préparer. Finalement, on a pu le faire. On ressort quand même avec une médaille de bronze en faisant un très bon tournoi. Suite à cela, j’ai arrêté.
En raison du gel de la sélection?
J’ai fait quelque chose qui leur a déplu.
Qu’avez vous fait qui a provoqué leur ire?
Quand on est médaillé, on reçoit une prime en fonction de la couleur de la breloque. On avait perçu l’équivalent de 1000 euros. Ensuite, le ministère remet une bourse à tous les athlètes médaillés, soit l’équivalent d’une ou deux années de Smic algérien. C’est une somme conséquente pour les filles de là bas. Les athlètes des autres fédérations l’avaient reçue sauf nous. J’avais une copine issue du Tae-kwondo. On se parlait.Une fois elle m’a interpellée en me demandant si j’avais reçu la bourse. Je lui ai répondu que notre responsable en Algérie, Mr Kashi, nous avait prévenu que cela avait été signé et qu’on serait convoquées pour récupérer notre dû en mars ou avril 2012. J’étais en vacances l’été 2012, en Algérie. J’ai donc appelé le responsable pour savoir comment cela se passait pour la bourse. Il m’a rétorqué qu’il n’avait pas de nouvelles. Je suis d’abord parti à la fédération algérienne de football. Il n’y avait personne. Je suis donc allée au ministère. On m’a dit que l’argent avait déjà été versé depuis plusieurs mois, et qu’il fallait voir avec la FAF. J’y suis donc retournée. C’était après l’aïd. Tout le monde était revenu. Je connaissais une personne là bas qui m’a dit qu’un des responsable de la Faf était présent. Mais lui avait laissé la consigne selon laquelle il était absent. J’ai attendu qu’il sorte. Je suis allée le voir en me présentant en tant qu’athlète de l’équipe nationale pour lui demander ce qu’il en était. Il a commencé à s’énerver. Je lui ai dit que je lui parlais gentiment et que j’en attendais autant en retour. Il m’a rétorqué qu’on le fatiguait avec cette histoire d’argent, qu’ils n’avaient rien et que ça n’existait pas à la fédération de remettre de l’argent aux joueuses. Je lui ai rappelé qu’ils étaient un intermédiaire entre le ministère et les footballeuses. Il a continué en disant qu’ils ne remettaient pas de salaires aux filles. J’ai poursuivi en lui précisant que l’argent ne sortait pas de leurs poches et que c’était notre dû. Il s’est énervé. Il est parti. Suite à cela, j’ai abandonné car cela m’a saoulée.
Cela vous a écoeuré?
J’avais dit aux filles de venir avec moi. Si on avait été en nombre, il n’y aurait peut être pas eu de souci. Même ma famille était contre. Une seule fille m’a donc accompagnée. Elles avaient peur pour leur place. Elles vivent là bas et n’ont que cela. Les mieux payées n’ont qu’une centaine d’euros par mois. Au ministère, on n’a pas compris pourquoi je n’étais pas soutenue. On m’a dit que c’était notre dû mais que c’était politique avec la Faf, et qu’ils ne pouvaient pas trop s’en mêler. Tout le monde a peur de la Faf. Je n’ai plus été appelée pour faire les éliminatoires de la CAN 2014. Quelles étaient les raisons qui ont amené le sélectionneur à convoquer ma coéquipière de 33 ans alors que j’en avais 26 ? Il n’y avait aucune excuse. J’ai dit à l’entraineur, Azzedine Chikh, qu’il n’avait pas eu l’audace de m’appeler alors qu’il m’a connue à 17 ans.J’aurais aimé qu’il ose me dire qu’il ne m’avait pas prise pour telle ou telle raison. Je savais que je n’allais plus être convoquée. Je ne suis pas une victime. Je ne le vis pas mal.
Vous finissez avec combien de sélections?
J’ai joué de 2006 à 2011. Je dois compter environ une cinquantaine de sélections pour une vingtaine de buts marqués. !
Comment expliquez vous qu’entre 2006 et 2010, l’équipe nationale féminine ait autant progressé et fait de bons résultats?
Il y a eu plus de « moyens », plus de stages. On a connu une stabilisation de l’effectif et l’apport de quelques « émigrées ». Qu’on le veuille ou non, comme pour les garçons, la diaspora apporte une discipline dans la manière de vivre au quotidien. On est conditionnées et réglées sur certaines choses. Dans le jeu, on nous a aussi appris à jouer au football. En Algérie, elles balancent beaucoup. A la CAN 2014, la consigne était de balancer sur Naïma.!
C’est dommage car l’Algérienne est plutôt technique.
C’est dur de rivaliser avec les joueuses sub-sahariennes qui sont puissantes mais notre force c’est la technique.
Il n’y a pas d’anciens hommes chez « certaines »?
Il y a eu des soupçons chez les joueuses de Guinée Equatoriale. Moi même, j’ai des photos en championnat d’Afrique où je me demandais si on n’avait pas joué des hommes. Je ne sais pas si elles ont une prédisposition physique ou si ce sont des hommes mais on ne rivalisera jamais dans le domaine de la puissance.
Donc de 2010 à 2014, les filles ont été mises en stand by par la fédération ?
Entre 2010 et les Jeux africains de 2011, on a fait un seul stage. C’est la raison pour laquelle, c’est un exploit, pour nous, que d’avoir ramené cette médaille de bronze. Ensuite, l’équipe a été mise en stand by pendant deux ans. Elles ont repris en 2013, juste pour les éliminatoires de la Can 2014.
Quelles sont les raisons avancées pour expliquer cette intermittence?
Ce sont soi-disant les mauvais résultats.
Mais vous avez obtenu une médaille au Mozambique.
Cela n’a rien à voir. Ce n’est pas la FAF qui nous a envoyées, mais le ministère.
Ne serait ce pas pour des considérations financières?
Tout le monde sait que la fédération a de l’argent.
Pourquoi ont-ils repris les éliminatoires s’ils sont convaincus que ce sont des « mauvais résultats »?
Ils ont encore stoppé suite à la CAN 2014. Ils avancent comme argument l’élimination au premier tour malgré les moyens mis à disposition. Les seuls moyens donnés sont un stage en Afrique du Sud ,juste avant la compétition. Regardez l’équipe de France. Elle ne s’arrête jamais. Ils veulent copier le modèle français. Alors qu’ils le copient jusqu’au bout en regardant comment cela fonctionne. Parce qu’on est des femmes, c’est facile de nous arrêter.
N’y a t il pas obligation aussi de la Fifa d’avoir une équipe féminine?
C’est pour cela qu’ils reprennent quand il y a une compétition organisée par la Fifa. La Fifa prône le développement féminin. Ils ne peuvent pas stopper définitivement la sélection.
La Fifa a autorisé le port du hijeb chez les filles. Quelle est votre réaction à cette mesure? C’est très bien. Je ne comprends pas pourquoi la France le refuse. Je me souviens d’une très bonne joueuse qui évoluait au PSG. Elle portait un foulard. Elle a dû arrêter à cause de cela.
En Algérie, il y a trois sélections nationales féminines (les A, les U20 et U 17) alors que l’équipe de France en compte six. C’est déjà pas mal?
Les U20 ont fait les éliminatoires pour la coupe du monde 2016. Elles ont malheureusement été éliminées face au Burkina Faso. Elles n’ont fait qu’un stage au centre technique de Sidi Moussa. Elles ne peuvent rien faire, malheureusement.
Comment se passe la détection en France pour jouer avec l’Algérie? Y a t il une vraie politique dans ce domaine?
Non. Cela se fait par le bouche à oreille. On nous demandait si on ne jouait pas contre des Algériennes. On s’appelait pour savoir si une telle ou une telle était intéressée. Elles étaient convoquées sur un stage. Cela passait ou cassait. !
Vous connaissez le niveau du championnat en Algérie. Y a t il des joueuses qui ont le potentiel pour venir s’imposer en France?
Naima Boughini Benziane et deux ou trois autres filles dans notre onze de départ avaient le niveau pour jouer ici. La seule qui aurait pu faire carrière, c’est Naima. Il faut voir dans quelles conditions elles évoluent. Elles jouent à 9h du matin sous trente degrés. Elles traversent toute l’Algérie dans des mini-bus non climatisés. Elles ont vraiment cette envie de s’évader et de voir autre chose pour accepter tout cela.
Qu’avez vous ressenti la première fois que vous avez revêtu le maillot de l’équipe nationale? Une très grande fierté et beaucoup d’émotion. Je n’aurais jamais ressenti cela en portant le maillot de la France. Je me sens Algérienne car je suis née là bas. J’y vais chaque année depuis que je suis petite. J’ai grandi avec l’Algérie. C’était une suite logique que de porter cette tunique. Je ne regretterai jamais d’avoir fait ce choix là. Les moments que j’ai vécus ont été vraiment magiques. La fin est un peu dommageable.
Quels sont vos meilleurs souvenirs?!
C’est la Coupe arabe. J’étais jeune. C’était ma première compétition internationale. Il y avait une ambiance incroyable. C’était comme un rêve. A la base, je ne devais pas partir. C’était avant le Bac. Mes parents étaient un peu contre. Décrocher ce trophée, c’était vraiment le top. Il y a aussi les Jeux Africains au Mozambique. On ne s’attendait pas à faire un résultat. Au final, on rentre avec une médaille. C’était inespéré. On avait aussi fait la cérémonie d’ouverture, contrairement aux Jeux en Algérie en 2007. Cela reste aussi un bon souvenir. !
Diriez vous que l’équipe algérienne est la meilleure nation arabe? Ou bien a-t- elle été dépassée depuis?
Au regard des statistiques, on peut l’affirmer. C’est la seule à s’être qualifiée pour la dernière Can. Pour moi, cette qualification est principalement due à une personnalité : Naima Boughini Benziane. L’Internationale camerounaise qui joue avec moi à St Maur m’a dit que c’était elle qui faisait tout. Elle marque contre le Maroc, contre la Tunisie, et à la CAN. Si on regarde le jeu pratiqué, c’est plus un jeu vers l’avant, direct où on balance le ballon. Alors que le Maroc essaie de joueur au ballon. Les fédérations marocaines et tunisiennes ont fait bien plus d’efforts que la nôtre pour mettre en avant le football féminin.
La fédération royale marocaine de football vient de s’associer avec les Etats Unis pour former leur coaches féminines. Qu’en pensez vous?
Cela démontre l’importance qu’ils veulent donner au football féminin. Ils ont compris que l’avenir se situe là. Je trouve que la démarche est bonne et intéressante. C’est bien d’aller voir à l’étranger. Ils n’ont pas choisi n’importe quelle équipe. Cela ne peut être que positif pour ce pays. Ils ont par ailleurs de bonnes petites joueuses qui sont en train d’éclore dans le championnat français.
Peut on dire que l’Algérie va être dépassée par ses voisines Maghreb?
Je le pense.
Vous reverra-t-on un jour en sélection?!
C’est terminé !
Propos recueillis par Nasser Mabrouk