2022mag.com est partie à la rencontre de Lilia Boumrar, joueuse de la VGA Saint Maur – sextuple champion de France de football féminin entre 1983 et 1990 – qui fait son retour au sein de l’élite après une absence de 17 ans. La Vice-capitaine de 26 ans a accepté de se confier pendant quasiment la durée d’un match. Dans cette première mi-temps, la cheffe d’orchestre des Val de Marnaises nous parle de son club, de sa passion, de ses débuts et de l’évolution du football chez les filles.
Le club de la VGA Saint Maur s’apprête à retrouver l’élite après 17 ans d’absence. Comment cela se vit-il en interne?
Lilia Boumrar : Les dirigeants ne veulent pas qu’on se focalise sur ces dix sept années d’absence. On n’en parle pas dans le groupe. On reste dans notre bulle. On aborde cette saison comme celle de l’an passé. On fait comme si nous étions en deuxième division. La seule pression qu’on peut avoir c’est de se dire qu’il va falloir gagner contre nos concurrentes directes.!
Vous retrouvez la D1 après l’avoir connue avec Vendenheim. A titre personnel, cela vous excite t-il un peu plus?
Quand j’ai quitté Vendenheim pour Saint Maur, c’était pour un projet. Nous étions en DH (ndlr, équivalent de la troisième division). L’objectif était de retrouver l’élite, le plus rapidement. C’est ce que nous avons fait. Entre temps, le football a évolué. Il s’est professionnalisé dans certains clubs.Le niveau est un peu plus élevé. Pour avoir rencontré l’Olympique Lyonnais l’an passé, le FC Juvisy et Issy les Moulineaux, il y a deux ans, on sait ce qu’il faut travailler.
Que faut il travailler?
C’est bien plus physique. Les joueuses sont très hargneuses. Cela ne joue pas beaucoup sauf chez certaines équipes. Dans le bas tableau, c’est un combat au milieu, en défense et en attaque.Il faudra donc être prêtes au duel.
En général plus on descend de niveau, plus c’est physique comme en deuxième division….
Ce n’est pas le même football. La D1, ça va. Quand on va au duel, c’est pour jouer le ballon. Dans les niveaux inférieurs, les filles sont un peu plus maladroites. Il y a beaucoup de blessures. Il y a un vrai écart entre les deux divisions. Il y a de bonnes joueuses dans chaque équipe. Mais il y en a beaucoup qui sont bien loin du niveau requis pour la D1.
Comment vous vous êtes préparées pour aborder cette saison?
On a principalement fait la préparation en région parisienne. Nous sommes également parties trois-quatre jours au Touquet (ndlr, Nord de la France). On s’y prépare bien. On a eu droit à un bon terrain et à de belles installations. Notre entraineur aime bien, car il y a la mer et les dunes
L’an passé avec la VGA, vous avez rendu une copie parfaite avec 22 victoires en autant de matches. Est-ce historique?
Il n’y a aucun club qui ne l’avait réalisé. Hénin Beaumont avait été invaincu avec dix neuf victoires et un nul. Le 22 sur 22 n’a jamais été fait avec autant de buts marqués et peu encaissés.On a fait quelque chose d’énorme.
Vous avez rencontré Lyon en coupe de France en janvier (défaite 5-0). Pensez vous que vous vous êtes un peu plus rapprochées de leur niveau?
On ne sera jamais proches étant donné qu’elles sont professionnelles. Nous avons un travail à coté. En janvier, nous étions à l’arrêt en raison de la trêve.Cela s’est fait un petit peu à l’improviste. On n’avait pas réellement joué. Depuis juillet, on sait qu’on joue contre Lyon. Le plan de jeu sera différent cette fois ci. On n’ accentue pas pour autant notre préparation parce que ce sont les Championnes de France. Nos chances de gagner sont très très minimes.Par ailleurs, nous ne sommes pas toutes à 100% dans notre équipe.
Est ce mieux de prendre un gros calibre d’entrée?
On peut se rassurer comme cela.
Quel type de club est Saint Maur?
C’est familial. C’est un environnement sympathique. Il n’y a ni stars, ni pression.Tout le monde est au même niveau. Personne ne se prend la tête. Même s’il y a des joueuses plus importantes que d’autres, on ne le ressent pas pour autant. Il y a un bon petit groupe. Il y a de bonnes joueuses qui sont en train de grandir.
Vous vous sentez bien dans ce club.
Très bien !
Bagneux reste-il votre club de coeur?
J ‘ai passé sept-huit ans à Bagneux en ayant l’objectif de goûter à la D1. Cela n’a jamais été possible même si on a toujours eu un bon groupe. C’est ce club qui m’a fait grandir. Cela va faire quatre ans que je suis à la VGA. Je m’y sens vraiment bien. Je n’oublie pas Bagneux. C’est autre chose.
Quelle est la philosophie de votre entraineur en matière de football?
Il ne demandera jamais de balancer. Peu importe la situation, il prône le jeu. J’ai adhéré tout de suite. Je déteste le jeu long même si dans certains cas on est obligé de le faire.D’ailleurs, j’apprécie Barcelone pour son style fait de petites passes. !
Quels sont les objectifs du club?
Pour cette année, ce sera le maintien.Nous sommes très limités.On fait avec ce que l’on a. Pour la suite, cela dépendra des moyens mis à notre disposition par la ville, les sponsors. Actuellement, tous les clubs professionnels doivent avoir une section féminine. Du coup, certains équipes vont mourir. Si on reste comme cela, on risque de disparaitre. Tout comme Juvisy. Sauf si on s’associe avec Créteil ou le Paris Football Club.
Avec cette professionnalisation grandissante, assiste-t-on à un football féminin a deux vitesses?
Absolument. On le ressent vraiment quand on se lève à six heures du matin et qu’on s’entraine le soir. Le week end de match la fatigue est là. Cela parait logique d’avoir ces écarts quand on s’entraine deux fois par jour, et qu’on dispose de moyens de récupération. Elles ont toutes les infrastructures dans leur club. Je pense que c’est vraiment ce qu’il faut pour pouvoir évoluer.Cela fait vraiment la force de ces équipes professionnelles même s’il ne faut pas nier que les filles sont fortes. Nous, nous naviguons d’un terrain à un autre. On n’a pas de médecin. On a une Kiné qui essaie de faire ce qu’elle peut. Elle n’arrive pas à voir tout le monde. On n’a pas de centre pour récupérer. On n’a rien. Si on donne les mêmes moyens à toutes les équipes, le fossé sera moins important. C’est bien que tous les clubs pro créent leur propre section féminine.
Vous parliez d’un Kiné à temps partiel. Qui compose le reste du staff technique?
Cette année notre entraineur s’est entouré de connaissances. Il a son adjoint depuis deux ans. Il a ramené aussi un analyste vidéo.
A titre personnel seriez vous tentée de rejoindre une structurelle professionnelle?
Si je n’avais rien eu d’autre peut être. Je suis très bien avec mon métier et à Saint Maur. J’ai toujours cherché ce type d’environnement familial. C’est pour cela que je suis restée très longtemps à Bagneux. C’est un choix de vie. A l’époque le PSG était accessible pour tout le monde mais c’était trop loin pour aller s’entrainer. J’avais aussi eu la possibilité d’aller à Toulouse. Il y a des filles qui composent ces effectifs parce qu’elles sont dans le club depuis des années, pas parce qu’on est venu les chercher. Tous les clubs sont portés sur les jeunes joueuses pour les faire progresser. Elles font la même chose que nous mais au final le salaire est différent.
Le PSG appartient aux Qataris. L’entraineur des féminines est d’origine algérienne. Si vous faisiez une grosse saison et que ce club vous sollicitait, iriez vous?
Je pourrais faire des efforts pendant une année car j’ai le droit à une mise à disposition d’un an par mon travail.
Quel métier exercez vous?
Je suis professeure des écoles, de la maternelle au cours élémentaire.
Le football féminin a augmenté en nombre de licenciées de près de 20%. Etes vous surprise par cet engouement?
Cela a commencé à prendre après la coupe du monde féminine de 2010. L’équipe de France a été médiatisée.Son bon parcours en a fait rêver plus d’une. Les victoires de Lyon en coupe d’Europe ont aussi développé cette visibilité. Quand on s’y intéresse de près, on se rend compte que le football féminin est le même que celui des hommes. Les qualités sont là. Il y a juste une différence athlétique et physique.
Il y a tout de même quelques particularités liées football féminin.
Dans la mentalité, c’est autre chose. Au niveau de l’intensité. On peut trouver cela lent quand on regarde un match. Quand on joue, je vous assure qu’on est à 200%.
Y-a-t-il aussi des coups bas, des méchancetés?
En D1 et en D2, ça va encore. Mais quand on descend plus bas, oui. L’année que j’ai faite en Division d’Honneur (troisième division), je n’ai pas du tout apprécié. Les filles ne viennent pas pour jouer au football.
La coupe du monde 2019 que la France va organiser devrait encore booster le foot féminin.
Je pense bien. Je ne serais plus là pour suivre tout cela. J’aurais arrêté dans quatre ans.Je me donne encore deux années de pratique. J’ai d’autres projets plus personnels. Mon objectif, c’était la D1. Les entrainements sont entre 20h et 22h. Je pars de chez moi à 19h. Le lendemain, le réveil est à 6h30. Devoir se concentrer la journée avec les élèves et enchainer le soir pendant toute la semaine, e ne vous cache que c’est fatigant. Je ne sais pas si je vais tenir cette année. Je commence à sentir la fatigue.
Le coach n’envisage-t-il pas d’ avancer les horaires d’entrainement?
Il a essayé. On partage le créneau avec les garçons. Du coup, il n’y a que la tranche 18h-20h ou 20h-22h. La plupart des filles finissent leur travail à 17h30. On aurait pu avoir entrainement à 18h mais le coach n’a pas son effectif disponible.
L’équipe de France réalise de belles performances depuis quelques années. Au point de rivaliser avec les meilleures équipes. Comment analysez vous cette réussite?
Pour les avoir côtoyées, ce sont de bonnes joueuses. Les moyens mis en place par la fédération ont évolué d’année en année. Elles ont un staff aussi étoffé que les garçons. Tout est mis en oeuvre pour qu’elle réussissent. C’est assez logique. La fédération fait les choses en grand pour le foot féminin.
On compte 5 filles arabes dans le groupe France!
On peut ajouter Jessica Houara ( latérale droite du PSG) qui est franco-algérienne. Un moment elle était écartée de l’équipe de France. Elle avait eu une sélection avec les Bleues. Elle n’avait plus été rappelée. Elle était à l’époque à Saint Etienne avec deux filles qui étaient avec moi en sélection. Elle leur a dit que si elle avait su, elle aurait choisi l’Algérie. C’était l’époque de la Can 2010 en Afrique du Sud. C’est comme Kheira Hamraoui qui à la base n’était pas dans les plans de l’équipe de France. Elle a beaucoup travaillé et progressé depuis sa période stéphanoise. Elles ont bien fait de choisir la France même si je ne l’aurais pas fait à titre personnel.
Il y a Louisa Nécib, la patronne technique de cette équipe de France. Pensez vous qu’elle soit reconnue et médiatisée à sa juste valeur?
Elle a été un peu médiatisée. Le fait qu’elle soit comparée à Zidane lui a permis d’être mise en avant. Dans le foot féminin, on parle beaucoup d’elle. Elle a tendance à stagner ces derniers temps.Sa saison a été moyenne.Je crois qu’elle a aussi été blessée. Elle est peut être en train d’être mise de coté. Les médias se focalisent un peu plus sur Amandine Henry et Eugénie Lesommer ou les jeunes qui sont en train d’éclore comme Claire Lavogez ou Amelle Majri. Cette dernière va être très forte dans les années à venir.
Vous parliez d’Amelle Majri. La voyez vous détrôner Laure Boulleau en équipe de France au poste d’arrière gauche?
Elle est très forte à son poste. Laure Boulleau est pour le coup une icône médiatique. Elle est très mise en avant sur les réseaux sociaux.Elle a eu de la chance que Majri soit blessée lors du dernier mondial. Boulleau est déjà sa remplaçante.Elle a fait son temps.!
D’où vous vient cette passion du foot?
Je n’avais pas de copines filles à l’époque. J’avais un peu ce coté « garçon manqué ». J’allais voir jouer mon frère à Chatillon au stade, à coté de la maison. Un jour l’entraineur m’a proposé d’essayer. Depuis je n’ai pas lâché le ballon. Cela s’est fait naturellement. J’ai joué de 8 ans à 13 ans avec les garçons. Par la suite, je suis partie à Bagneux. Puis Vendenheim et Saint Maur.
Auriez vous pu pratiquer un autre sport?
Oui.J’aime bien le Hand-ball. J’apprécie et je me débrouille dans tous les sports.
Quel est votre poste de prédilection? J’aime être libre. J’ai débuté arrière gauche avec les garçons. Ensuite, j’ai été devant et au milieu. Je me sens vraiment bien en électron libre derrière l’attaquante. Je suis redescendue en 6 mais je n’aime pas défendre.
Quelles sont vos qualités? Que pourriez vous améliorer chez vous?
Je suis technique. J’ai une bonne vision du jeu. Je dois progresser dans le domaine de la vivacité car je ne suis pas toute fine. Je ne suis pas la plus lente. Je joue sur mes qualités. Je garde bien le ballon. Je distribue bien.
Quels sont vos références dans le jeu?
Forcément Zidane. Je regarde beaucoup Iniesta et Verratti. J’ai un peu leur poste et leur style de jeu. J’ai aussi apprécié David Silva qui avait fait une magnifique coupe du monde 2010, avec l’Espagne.
Y-a-t-il un pays ou un championnat qui aurait pu vous attirer?
Je ne connais pas les championnats étrangers qui ne sont pas médiatisés. Je connais celui d’Algérie qui ne m’attire pas du tout. Je n’aimerais pas l’Allemagne qui a l’air physique. Au final, je me dis qu’en France, c’est pas mal.
Comment se comporte les supporters avec les filles?!
Ceux qui sont réguliers aiment ça. Il y a en qui sont aussi curieux de voir ce que cela peut donner chez les filles. Ils ne sont pas non plus si nombreux. Tout au plus deux cents par match.
Avez vous été victimes de propos désobligeants?
Dans le Nord de la France, on a eu entendu des propos racistes. On a pas mal de joueuses africaines qui ont été confrontées à ce genre d’insultes. Du coté de Strasbourg, quand j’étais à Vendenheim, il y a aussi des mots dérangeants mais qui ne déstabilisent pas. J’essaie de ne pas faire attention à ce qui se passe.
On remarque un nombre important de maghrébines qui se mettent au foot. Il ne semble pas y avoir de quotas. Le milieu féminin est il plus ouvert et tolérant?
Je n’ai jamais entendu parler de quotas dans notre milieu. Pour les plus jeunes filles, le phénomène Necib a dû jouer. Il y en a pas mal qui s’identifient à une maghrébine qui a réussi.Cela donne envie à beaucoup de petites filles dans la nouvelle génération. Il y a aussi les équipes nationales des pays d’origines qui font rêver.L’Algérie a été mise en avant ces dernières années.
Qu’est ce que cela fait de porter le brassard de capitaine à St Maur?
Je suis vice-capitaine. C’est ma compatriote Leila Meftah qui est la capitaine attitrée. Elle impose le respect naturellement. Elle est calme. C’est notre Thiago Motta. On a toujours joué ensemble, en sélection comme en clubs. C’est elle qui m’a « vendu » le projet St Maur.
Propos recueillis par Nasser Mabrouk
* Suite de l’interview lundi 31 août : Lilia évoque l’équipe d’Algérie