« Impulsif ». C’est ainsi que Luis Fernandez se définit. Avec l’ex-entraineur du PSG les choses vont vite. Il nous a ainsi fallu moins de 24 heures pour convenir d’un rendez-vous avec le vainqueur de l’Euro 84. Un coup de fil le mardi après midi et nous voilà le lendemain matin face à Luis. Le natif de Tarifa nous reçoit chez lui. Enfin, dans son quartier cossu du 17ème arrondissement et dans son fétiche Café Central. Affairé au téléphone, l’actuel sélectionneur de la Guinée nous attend déjà. Seuls son portable et son épouse viendront interrompre une bonne heure de conversation conviviale. Le PSG, sa carrière d’entraineur, Zidane, Dahleb, le football français, Les Fennecs, le Qatar seront au menu. A table avec un authentique personnage !
Sur la couverture du livre (Luis, éditions Hugo&Sport, 2016), on voit un Luis entraineur. Est- ce que cela signifie que vous vous sentez à 56 ans plus entrain(eur que joueur voire animateur radio?
Luis Fernandez : A 56 ans, j’ai encore la force et les moyens de faire quelque chose. Je suis un passionné, un impulsif. Je regarde beaucoup de matches. J’aime aller au stade et rencontrer les gens. Je n’ai pas tout réussi mais j’ai plus de réussites que d’échecs. Si j’ai fait des mauvais choix, c’est que je n’ai pas eu l’occasion de faire la bonne analyse. En tant qu’entraineur ou joueur, le positif l’emporte.Je suis actuellement à la tête de la Guinée. J’ai pour objectif d’aller à la CAN 2017. Cela me tient aussi à coeur de mequalifier pour une Coupe du monde.
Comptez vous rester avec la Guinée car dans votre livre vous évoquez des contacts avec le Kazakhstan?
J’ai eu cette opportunité avant la Guinée. Je n’ai pas été demandeur avec le Silly National (nldr,surnoms de l’équipe nationale).Jeprends du plaisir. J’aime cette équipe. Je suis allé à Conakry. Ce n’est pas comme Tunis, Alger ou Marrakech. Tu sens que le pays est dans la difficulté. J’ai envie de leur apporter de la joie. J’ai grandi avec l’Afrique.Je suis né en face du Maroc. J’ai toujours rêvé d’entrainer une équipe africaine.
Justement, pourquoi cela ne s’est-il pas fait avec le Maroc ?
J’ai eu des touches.Je connais Hadji, Krimau, Bouderbala. Ils ont fait des choix.Ce n’était peut-être pas le moment idéal.Parfois, on doit répondre assez rapidement. Il faut avoir des repères sur place.
On parle d’Hervé Renard pour prendre les Lions de l’Atlas. Serait-ce une bonne chose?
Il a des capacités pour intégrer et analyser ce football africain. Le Maghreb ce n’est pas pareil. Ce sont des pays qui ont eu un niveau assez élevé dans le passé car beaucoup de leurs joueurs évoluaient en France ou en Europe.
La sucette sur la pochette du livre est-elle un hommage à Johann Cruyff?
J’ai toujours aimé les sucettes pendant les matches. Cela permet de décompresser. Je trouve que Cruyff est l’homme qui a inventé un certain football. Il a amené une recherche et une progression dans le jeu. C’est lui qui a inventé le numéro 6. Il a compris que le numéro 10 était pris au marquage individuel. Il fallait trouver un autre meneur de jeu devant la défense qui ait une qualité de passes vers l’avant et au sol. Cela apporte de la fluidité et permet de se créer des occasions. C’est Cruyff qui a dit qu’il fallait prendre la largeur pour écarter le jeu. Je suis sûr que Guardiola s’en est inspiré.
Si on devait définir aujourd’hui le style de Luis.Quel serait- il?
Je suis un passionné et authentique.Je suis un bosseur. Une de mes forces, c’est le mental. J’essaie toujours d’anticiper,de voir, d’améliorer les choses. Les moindres détails ont leur importance. J’ai envie de participer aux entrainements. Que les joueurs sentent que je suis un compétiteur.L’entraineur doit être proche des ses hommes. Le coté humain a son importance.Je préfère être avec ceux qui ne jouent pas parce qu’ils ne sont pas contents. Il ne faut pas les abandonner. Si on est sur un échec et qu’on abandonne, on est mort. Dans la causerie, j’essaie de trouver les mots pour les motiver et leur faire prendre conscience de la situation.
Avez-vous aimé ce nouveau rôle d’entraîneur quand vous étiez à Cannes?
Je n’y étais pas préparé. J’avais 34 ans. J’ai commencé trop vite. On m’a lancé dans le grand bain. C’était une belle aventure humaine et sportif. J’avais un collectif derrière moi.Eric Mombaerts qui dirigeait avant moi ne savait peut être pas comment faire fonctionner le groupe. Il faut toujours donner une certaine liberté d’expression et d’action.
Vous avez découvert un jeune très prometteur en la personne de Zinedine Zidane. Quel type de rapport avez vous eu avec lui?
On était assez proches. Je l’ai pris sous mon aile. Je l’amenais souvent dans ma voiture au foyer où il logeait. Il n’a pas changé. Il était adorable. Quand il était jeune, il assistait au match France-Portugal à l’euro 84. Il a été marqué par l’ambiance ce soir là. C’était un garçon parfait dans son éducation. Il était toujours à l’écoute. Je voyais souvent ses parents, ses frères et soeurs après les matches. Cette génération a remporté la Coupe du monde car elle avait la culture de la gagne et du travail. Ils étaient tous titulaires dans leurs clubs. Aujourd’hui, ce n’est plus pareil. Cela a beaucoup changé. Certains joueront peut-être un championnat d’Europe sans avoir fait une grande saison.
L’Equipe de France est-elle dévalorisée?
Non. On a pas su changer. En 2006, on est vice-champions du monde.C’est à ce moment qu’il fallait savoir repartir avec de nouveaux joueurs. Raymond Domenech est resté jusqu’en 2010.Noël Legraët faisait déjà partie des dirigeants.
C’est un système…
Un système dans lequel on ne peut pas pénétrer. C’est une institution qui ne change rien tout en gardant les mêmes personnes. C’est du copinage qui ne fait pas avancer notre sport. On peut mettre des copains. Encore faut-il qu’ils aient des connaissances et des compétences. Le seul de valable à la Direction Technique Nationale, c’est Bernard Diomède. Il a été champion du monde. Willy Sagnol est parti. Je n’ai pas compris pourquoi. Il était peut être venu pour prendre la sélection derrière Deschamps. Les anciens de 84 et 98 ne sont pas dans les instances. Lilian Thuram n’est pas resté longtemps parce que ce n’est pas le football qui l’intéresse. Heureusement que Deschamps a de la compétence, des connaissances, de la personnalité et du charisme. Quand il prend une décision, elle est bonne. On ne veut plus revivre Knysna.
» J’ai encore mes amis aux Minguettes, Benzema a le droit de garder les siens «
On a l’impression que vous êtes plus respecté en Espagne qu’en France. Comment l’expliquez vous?
Je suis l’entraineur qui a joué le plus de matches (244) sur le banc du PSG. Je suis le premier entraineur français à avoir gagné une coupe d’Europe. On l’a oublié. En France, on efface l’histoire.En Espagne, j’ai fait 4 ans à Bilbao. Pas une seule critique. J’ai réussi à l’Espanyol de Barcelone et au Bétis. Là bas, quand tu appelles un président, il te prend au téléphone. Quand tu demandes des places pour aller au stade, tu les obtiens. Ici, si on peut t’effacer, c’est que tu déranges. J’ai toujours défendu le maillot Bleu. Je l’ai porté 60 fois. Je me suis intégré. J’ai choisi la France.Et c’est l’Espagne qui me reçoit bien.Aujourd’hui, je peux me poser des questions. En France, les gens m’aiment car je suis resté le même. J’aime le peuple. Je m’y sens bien. C’est mon enfance. J’ai encore mes amis aux Minguettes. Il manquerait plus que je les renie. Mais vous êtes malades ! Il est hors de question. Sans eux, je ne serai pas là aujourd’hui. Ils m’ont donné la force. Karim Benzema a le droit de garder ses amis. Il a commis une maladresse. Il a sans doute voulu donner un coup de main. Cela lui porte préjudice.
N’avez vous pas l’impression que les médias l’ont déjà condamné?
Je le défendrai toujours sur ses performances sur le terrain. L’affaire est en cours. Il y a la présomption d’innocence.
Vous avez connu au Matra Racing Jean-Luc Lagardère en tant que Président. Vous dites qu’il avait la classe et qu’il était respectueux. Diriez vous que Nasser El Khelaifi serait celui qui lui ressemble le plus dans le football français ?
Je suis pour l’arrivée des Qataris car le football français a besoin de ressources économiques. Avec un championnat sans le PSG, on serait dépassés par les Bulgares, les Roumains ou les Hongrois.
Ne trouvez-vous pas une partie du sport français (dirigeants, médias…) ingrate par rapport à ses nouveaux investisseurs ? On a l’impression que cela les dérange.
Personnellement, cela ne me dérange pas. Zlatan, Thiago Motta, c’est un produit de qualité. Ils donnent de la matière aux médias. Sans eux, on ne parlerait même pas de notre championnat. On devrait remercier les Qataris. Ils font venir des grands joueurs. Ils apportent une autre dimension au football. On a un problème avec l’argent en France. J’aimerais que Marseille, Saint-Etienne, Lyon ou Bordeaux puissent avoir des actionnaires. Jean Michel Aulas a transformé son club. En France, chaque dirigeant a besoin d’exister et d’apparaitre. Il faut qu’ils soient en retrait et qu’ils aient un projet. Je dis aux Qataris de rester longtemps. Ne partez pas car on va être en difficulté en France.
En Europe l’hostilité à l’organisation du Mondial 2022 dans ce pays est très forte, la trouvez-vous justifiée ?
J’aime le Qatar pour y avoir entrainé. J’aime l’éthique et les valeurs. Je suis déçu par les instances de la FIFA. Les personnes qui y travaillent doivent contribuer à l’amélioration du football. Si j’apprends qu’il y a de la corruption, je serais déçu.
Laissez-vous entendre que les deux Coupes du monde auraient pu être achetées?
Non. Je n’aimerais pas apprendre qu’elles ont été données avec des contreparties. Cela n’est pas mon sport. Mon football doit être propre et être obtenu dans la légalité. Je suis content qu’on ait pu mettre cette compétition en novembre et décembre. C’est une première.En fin de saison, les joueurs sont lessivés. Là, ils n’auront pas besoin d’une nouvelle préparation. Ils ne seront pas fatigués. Après ces deux coupes du monde, essayons de mettre de l’ordre et la de transparence. Plaçons des personnes en qui l’on peut croire.
Quand vous avez intégré Paris en tant que jeune joueur, vous n’aviez pas le droit d’entrer dans le vestiaire des professionnels. Vous deviez aussi porter le matériel d’entrainement. Est-ce impensable dans le foot moderne?
A mon époque, on nous demandait d’attendre devant le vestiaire. On apportait le matériel sur le terrain et à la fin on devait le ramasser. On devait venir plus tôt et de repartir en dernier. Quand je suis arrivé au PSG, il y avait les Dahleb, Toko, Bathenay, Bianchi…
Vous écrivez que Mustapha Dahleb était votre idole. Quels sont les atomes crochus que vous partagiez?
Pour moi, « Mouss » c’était l’idole d’un Parc (ndlr, Parc des Princes). C’était le Zlatan d’aujourd’hui. On le sentait dans chaque stade où on se déplaçait. Il avait une facilité. C’était un artiste. Un génie ! Un régal. Un coéquipier modèle. Je sais qu’il est dans le coeur des Algériens car il a marqué une certaine histoire. Il était gentil et humble. Mais en hiver, il jouait un peu moins parce qu’il avait froid.
Vous dites qu’il était assez malin pour faire une extraordinaire deuxième partie de saison pour mieux renégocier son contrat.
C’était sa spécialité (rires). Il hibernait, il se reposait. A l’époque, les hivers étaient froids et les terrains gelaient. On n’aimait pas trop cela.
Vous avez aussi connu Salah Assad qui n’a pas eu la carrière qu’il méritait. Vous impressionnait-il?
Il n’est resté qu’un an au PSG. C’était un sacré joueur. Il était rapide. Il aimait dribbler et percuter. Il faisait partie de ces garçons qui avait cette qualité. Il était un peu moins artiste que « Mouss ». Je n’ai pas eu l’occasion de le voir quand j’étais à Alger. J’aurais bien aimé le revoir.
Vous avez joué l’Algérie sur son terrain lors de la réouverture du stade du 5 juillet…
Oui. J’ai gagné ! ( rires )
Vous souvenez vous de l’ambiance autour de ce match?
Le stade n’était pas tout à fait plein. J’avais déjà fait un déplacement avec le PSG. J’avais bien aimé cette belle ambiance. On sent que la passion est là. J’étais content de retrouver ce stade. J’avais peur que l’on prenne une petite « fessée », surtout qu’on a été rapidement menés à la marque. J’étais content d’avoir gagné même si la deuxième mi-temps à été dure. Dans l’ensemble, on a fait des choses intéressantes.
Comment avez vous senti les joueurs algériens avant et pendant le match dans ce temple qu’on appelle « le Tribunal »?
ls n’avaient pas peur. Ils voulaient faire plaisir à leurs supporters et être aussi performants qu’en Coupe du monde. Il ne faut trop de faux-pas car ils sont durs à encaisser. Surtout dans les pays du Maghreb.
Votre homologue Christian Gourcuff a pas mal souffert…
Je ne suis pas pour les critiques le concernant. C’est pourtant quelqu’un que je n’ai jamais porté dans mon coeur. Il essaie de mettre en place un jeu plaisant et efficace. C’est un homme qui aime les belles peintures. Ce qui est très respectable Parfois, le très beau on ne peut pas toujours l’obtenir. Il faut essayer de boucher certains trous pour avoir cette perfection.Je le défends parce qu’il a les éléments pour pouvoir le faire. Il a dans sa tête un 4-4-2. Il ne le change pas.
Est-ce une erreur d’après vous?
Ce n’est pas une erreur. C’est ce système qui l’a toujours rendu performant. Le coaching peut permettre aussi de tenter des coups. Avant, il y avait coach Vahid qui était plus dans la discipline et la rigueur. On ne peut pas dire que l’un soit moins bon que l’autre. On dit que Gourcuff est moins bon parce que ce n’était pas l’entraineur qui est allé en Coupe du monde. Mais peut être qu’il gagne le match contre l’Allemagne parce qu’il a le système adapté pour pouvoir la battre? Si on arrive à mettre ensemble Feghouli, Brahimi, Mahrez et Slimani, c’est parfait. Cela peut faire mouche.Avec Bentaleb au milieu et Mesloub..
Et peut être un jour Benjamin Stambouli? Vous le verriez bien dans le milieu algérien?
C’est pas mal, quand même !
Comment voyez-vous le débat actuel sur les bi-nationaux entre l’Algérie et la France?
Ce n’est pas bon. On se fait beaucoup de mal. D’un coté, comme de l’autre. On prend en otage un jeune joueur. Au lieu de le laisser s’exprimer, on lui ajoute un problème.Ce n’est pas à l’entourage de s’en mêler. On ne l’aide pas. On le perturbe.C’est quelque chose qui doit être silencieux.A 20, 21 ans le joueur doit d’abord réussir dans son environnement. Il aura la maturité pour décider au moment opportun.
@Fayçal Chehat et Nasser Mabrouk