C’est fini.Les fervents supporters de l’équipe d’Algérie ne verront plus Madjid Bougherra assurer avec fougue, vigueur et talent la garde au coeur de la défense des Fennecs. Après onze ans de loyaux service, le natif de Longvic (France) à décidé de tirer sa révérence. Il a choisi, l’heure et lieu. Il a rendu le maillot vert et blanc à 32 ans à l’occasion d’un grand tournoi continental. Avec le petit pincement au coeur qui accompagne le sentiment d’inachevé. Sorti au stade des quarts de finale, alors que la bande de jeunots qui l’accompagnait avait les moyens d’aller au bout. Mais Madjid en est convaincu, cette équipe ira au bout, dans un avenir assez proche. Dans cet entretien exclusif, il aborde tous les sujets, sans tabou et dans la sérénité. La CAN 2015, sa relation avec les différents sélectionneurs, ses meilleurs souvenirs, son avenir en club, sa future reconversion et les valeurs qui lui tiennent à coeur.
Dans quel état d’esprit étiez vous à la fin de la CAN 2015? Vous vous êtes dit : mission accomplie ou nous pouvions mieux faire ?
Sincèrement, on pouvait aller plus loin dans cette compétition. On pouvait mieux faire. Il faut reconnaître que le programme ne nous a pas été très favorable. Nous sommes sortis d’un groupe très difficile avec le Ghana, le Sénégal et l’Afrique du Sud pour finalement hériter du futur champion en quart de finale. L’issue de ce match décisif s’est joué sur quelques détails.
Qu’est que qui a vraiment manqué pour que cela passe pour les Fennecs ? C’était un problème de pression, un souci collectif…
Pour moi, c’était plutôt un manque d’expérience. Pour une partie de l’effectif, c’était la première CAN. Cette équipe est encore construction. Je le répète, tout s’est joué sur des petits riens. En quart, la Côte d’Ivoire a su gérer mieux que nous ses moments forts et exploiter nos moments faibles. Les Ivoiriens ont été efficaces dans le dernier geste. Ce que nous n’avons pas su faire. Mais vous verrez, ce genre de match va servir au groupe. Croyez moi, cette équipe à un gros potentlel et elle fera mal dans les deux ou trois années à venir.
Pourquoi ce qui a très bien marché durant les éliminatoires a moins bien fonctionné en phase finale ?
D’abord, parce qu’en phase finale nous sommes censés rencontrer les meilleurs du continent. Cela s’est vérifié avec la composition de notre groupe. Ensuite, d’autres éléments entrent jeu : l’environnement, la durée de la compétition, le climat. Et puis, hormis la CAN 2013, les éditions 2010 et 2015 n’ont pas été si mauvaises que ça pour l’Algérie. En Angola, on a complètement raté notre demi-finale pour des raisons extrasportives. Et en Guinée Equatoriale, nous sommes battus en quart de finale par une belle équipe ivoirienne sans vraiment démériter.
Pourtant l’Algérie avait mieux géré sa phase finale de Coupe du monde au Brésil…
On ne peut pas comparer les deux épreuves. C’est le jour et la nuit. La différence est au niveau des styles de jeu, de l’ambiance, de l’organisation, de l’état des pelouses, de la culture tactique plus pointue dans un Mondial. Vu ainsi, tout semble en défaveur de la CAN. Mais, moi, je peux vous dire que je suis plutôt sous le charme du tournoi continental. On y trouve une chaleur humaine, une convivialité, un côté festif indéniable dont est dépourvue une Coupe du monde. Souvent, les difficultés engendrées par l’improvisation qui caractérise parfois la CAN, permettent au groupe d’être mobilisé et solidaire. Cela va surprendre certainement, mais personnellement j’ai aimé cette dernière édition.
Pour vous, rien ne change. Quel que soit le statut, titulaire, remplaçant, capitaine, vous répondez toujours présent. Cette fois encore, vous avez assure. Un secret ?
J’ai une vision claire des choses. Pour moi, la sélection passe au dessus de toutes les contingences. Je suis conscient de jouer pour un peuple et un drapeau. J’ai toujours eu conscience d’avoir la chance extraordinaire de faire partie des 23 meilleurs joueurs appelés à représenter l’Algérie partout dans le monde. Tout était bon à prendre dans cette expérience.
Même lorsque vous vous êtes retrouvé dans la peau d’un remplaçant ?
Bien sûr que cela fait mal de changer de statut. Mais j’ai vite repris le dessus. Je voulais continuer à faire bénéficier mes jeunes coéquipiers de mon expérience. Je n’avais pas le droit d’être égoïste. Avec le maillot national sur le dos, pense avoir été toujours irréprochable et exemplaire sur un terrain. Alors, je me suis dit: tu peux et tu dois être également être exemplaire sur le banc, dans le vestiaire. Exemplaire dans le comportement tout court. Je l’ai fait aussi parce que je voyais du respect et de la considération dans le regard de mes jeunes coéquipiers, dans ceux des membres du staff technique et des dirigeants. C’est important, le respect.
Vous avez conscience que lors de cette dernière CAN, vous avez été l’un des 2 ou 3 meilleurs atouts de la sélection ?
Puisque vous le dites. Ce qui est sûr, c’est que j’étais concentré. Même en étant sur le banc. J’étais prêt à pallier une défaillance dans le groupe. Et, puis je pense avoir bénéficié d’une superbe préparation. Notamment lors du stage a Sidi Moussa.
Là, vous avez décidé de mettre fin à votre carrière en sélection. A 32 ans, n’est-ce pas encore jeune, notamment pour un défenseur ?
Je suis d’accord avec vous.Mais après mûre réflexion, j’ai préféré raccrocher. J’ai compris que la prochaine vraie échéance était dans deux ans. C’est long. Il faut savoir partir et laisser la place aux jeunes qui piaffent d’impatience. En défense nous sommes plusieurs a avoir dépassé la trentaine. Je voulais sortir par la grande porte. C’est fait maintenant.
Mais l’Algérie semble bien partie pour organiser la CAN 2017. Ce serait une occasion magnifique pour des adieux ?
Peut-être. Mais, il n’est pas question d’avoir des regrets. C’est comme ça.
A quel moment avez-vous pris votre décision ?
J’en avait parlé avec Vahid Halilhodzic. Je lui avait annoncé que je mettrais fin à ma carrière à l’issue du Mondial 2014…
Et puis, il y eu cette prolongation jusqu’à la CAN…
Tout en m’expliquant que je n’aurais pas la certitude d’être titulaire, le nouveau sélectionneur, Christian Gourcuff, m’avait fait comprendre qu’il avait besoin de mon expérience pour accompagner une équipe très rajeunie. Il avait besoin d’un “grand frère” en quelque sorte. Le reste, je vous l’ai expliqué au début de l’entretien. La prolongation s’explique par la haute estime que j’ai pour le maillot national. Je ne regrette pas d’avoir prolongé l’aventure de quelques mois.
En dehors de la place que vous occupiez dans le jeu, votre personnalité imposait le respect. Vous allez manquer aux Fennecs. Qui voyez-vous jouer votre rôle parmi les actuels sélectionnés ?
Je ne m’inquiète pas vraiment. Je vois bien Rafik Halliche et Djamel Mesbah jouer ce rôle. Ils ont en les moyens.
A-t-on essayé de vous faire changer d’avis ?
Oui, ma famille n’a pas compris d’emblée ma décision. Et puis beaucoup de supporters de l’équipe nationale.
Vous avez retrouvé le quotidien avec Al Fujairah, actuellement en difficulté en championnat, vous gardez la même motivation pour rester au top?
La motivation, je l’ai toujours. D’ailleurs, les objectifs que j’avais avec la sélection et l’énorme travail que cela exigeait ont renforcé ma volonté de bien faire. Elle va profiter à mon club. Je vais continuer à travailler dur pour rester au top.
Vous prévoyez de prolonger encore longtemps votre carrière en club ?
(Malicieux). Je ne me fixe aucune limite. Je jouerai jusqu’à ce que je me retrouve avec des béquilles.
Que cela ait lieu dans deux, trois ou cinq ans, envisagez-vous de rester dans le milieu du football: comme entraîneur, dirigeant ou consultant ?
Oui, certainement. Je vais d’abord passer mes diplômes d’entraîneur en Algérie. Après, tout deviendra possible.
Et où ? Dans la région du Golfe, en Algérie ou en Europe ?
Je serai ouvert à toutes les propositions.
Vous avez joué avec les Rangers de Glasgow, un club mythique : avec le recul, dans quel autre club ou championnat auriez vous aimé jouer ?
(Spontané) . En Turquie. J’adore l’ambiance extraordinaire qui accompagne le foot et les footballeurs dans ce pays. Je suis fan.
Si vous deviez garder deux ou trois souvenirs des onze années passées en sélection, lesquels choisiriez vous?
( Il réfléchit) D’abord, je me souviens avec émotion de mon premier match avec les espoirs. C’était en septembre 2003 face au Ghana. Et puis, je peux citer l’extraordinaire exploit réalisé face à l’Egypte à Omdurman, mes deux buts de la tête contre la Côte d’Ivoire (CAN 2010) et face au Burkina Faso (Eliminatoires mondial 2014). Enfin, la joie et la fierté d’avoir récupéré le brassard de capitaine avec une victoire à la clé face au Sénégal lors de la dernière CAN. Mais je peux en citer beaucoup d’autres.
La ferveur exceptionnelle – avec ces excès- autour de l’équipe d”Algérie, va-t-elle vous manquer ?
(Enthousiaste). Oh, oui. J’ai aimé la tension d’avant match, la pression des enjeux, l’hymne national, les drapeaux, les chants de nos supporters. Je suis un peu triste de quitter tout ça.
Une question que l’on peut vous poser maintenant que vous avez pris la décision de raccrocher : vous avez travaillé principalement avec trois sélectionneurs ces six dernières années, lequel vous a le plus marqué : Saâdane, Vahid Halilhodzic ou Chrisitan Gourcuff ?
J’ai beaucoup apprécié Rabah Saâdane. La renaissance de la sélection a commencé avec lui. Notamment, notre formidable campagne des éliminatoires du Mondial 2010. Avec Vahid Halilhodzic, j’ai une relation sans nuages.Sauf lors du dernier match du Mondial 2014.
C’est-a-dire? Vous avez eu un clash avec lui ?
Pas vraiment. Disons, que je lui ai reproché de ne pas avoir tenu parole. Il m’avait écarté du match contre la Russie en me disant qu’il voulait me préserver pour les huitièmes en cas de qualification. Finalement, je n’ai joué ni contre la Russie ni contre l’Allemagne. Mais comme l’équipe a fait un grand match face aux futurs champions du monde, la pilule a été moins amère pour moi. Avec Christian Gourcuff, nous étions dans le respect. Il a eu le mérite de bien m’expliquer ce qu’il attendait de moi et je pense avoir répondu à cette attente.
Quittons l’Algérie pour évoquer votre environnement actuel : les Emirats arabes unis ont réalisé une excellente Coupe d’Asie des nations, cela vous surprend ?
Non. Il y a de bons joueurs dans ce pays, de bons manieurs de ballons. Je pense à Ali Mabkhout et Omar Abdulrahman. Le football est en progrès dans ce pays.
Puisque vous connaissez le football du golfe arabe (Asie) et le football africains. Lequel est en avance sur l’autre d’après vous ?
( Sans hesitation). Sur le plan du jeu et des joueurs, l’Afrique est clairement devant . Mais l’Asie a pris une large avance en offrant des conditions de travail exceptionnelles.
Le Mondial 2022 aura lieu au Qatar. Que vous inspire la polémique et les attaques dont est victime ce pays en Europe avec la remise en cause de l’organisation qui lui a été confiée ?
J’ai l’impression que cela dérange parce que c’est un pays arabe. Il y a comme de la jalousie. Je ne comprends pas. C’est un problème qui me dépasse.
Est ce que vous pensez que ce Mondial peut permettre une progression du football dans cette région du monde ?
Je l’espère. Ce que je sais que, c’est que le Qatar et les Emirats arabe unis font un effort colossal pour développer ce sport. Cet investissement finira par payer.
Tout le monde connait le footballeur et sa carrière, mais qu’en est-il de l’homme Madjid ? Quelles sont les valeurs les plus importantes a vos yeux ?
Le respect. La loyauté. La bonne attitude. La religion est également importante parce qu’elle me permet de ne pas quitter la ligne droite et de ne jamais dépasser les limites.
Avez-vous des passions ? Pratiquez vous d’autres sports, avez-vous des hobbies, un talent caché ?
Je pratique la boxe anglaise et la boxe thaï. Ces sports sont intéressants pour l’entretien cardio. J’aime beaucoup le cinéma. Je suis surtout un grand consommateurs de séries. Américaines en particulier. J’ai adoré “ Games of the thrones’, « Homeland », « Sur écoute… »
Propos recueillis par Fayçal CHEHAT
Bougherra en chiffres
32 ans
Club actuel: Al Fujairah, Emirats arabes unis
1m90, 89 kg
70 sélections, 4 buts
2 Coupes du monde : 2010 et 2014
2 Coupe d’Afrique des nations : 2010, 2015
7 clubs dans 5 pays différents
5 titres de champion en club: 3 avec les Rangers Glasgow (Ecosse), 2 avec Lekhwiya (Qataa
3 coupes nationales : 2 avec les Rangers et 1 avec Lekhwiya