« Micho bonjour ! Vous avez débuté dans vos fonctions à la tête de la Libye en octobre 2023. Il s’agit de votre troisième poste auprès d’un pays arabe, après avoir dirigé le Zamalek (EGY) et juste avant, le Hilal Omdurman (SDN). Qu’est-ce qui a motivé cette décision de venir relancer la sélection nationale du pays ?
Je suis entré dans ma 23e année d’entraîneur sur le continent africain. Durant cette période, j’ai dirigé six grands clubs et la Libye constitue ma quatrième expérience en tant que sélectionneur national après le Rwanda, l’Ouganda et la Zambie.
J’ai naturellement été édifié sur ce que la Libye a vécu, avant, pendant et après la révolution. Depuis leur participation à la CAN 2012 en Guinée Equatoriale, la sélection ne s’est plus jamais qualifiée.
Pis, sa dernière campagne éliminatoire de CAN a tourné au désastre pur. L’équipe a terminé dernière de son groupe derrière la Tunisie, la Guinée Equatoriale et le Botswana. Elle n’a marqué que deux petits buts et en a concédé huit !
C’est une situation étonnante puisque dans le même temps, la Libye est l’une des douze nations africaines qui présentait deux clubs en Ligue des champions et deux en Coupe de la Confédération !
Et la sélection pointe à la 38e place africaine. Ce n’est pas une situation logique que de posséder un championnat fort mais une sélection faible !
Je suis donc arrivé, motivé par l’idée que ça ne pourrait pas être pire ! Par conséquent, j’ai décidé de procéder de façon « révolutionnaire » à partir d’octobre dernier.
J’ai décidé de miser sur des doubles victoires, en rajeunissant et revitalisant le groupe, avec une moyenne d’âge abaissée à 22 ans.
On a obtenu les résultats et enchaîné des doubles victoires. Du coup, je me sens comme un poisson dans l’eau. J’ai été comme un médicament pour la Libye, et la Libye un médicament pour moi !
C’était un sacré challenge à relever dans ce pays qui aime tant le football. Mais cette passion n’avait pas le goût du succès. En quelque sorte, je suis venu écrire un nouveau chapitre de l’histoire de l’équipe nationale.
Vous venez de le rappeler, c’est votre 4e mission en tant que sélectionneur après le Rwanda (2011-13), l’Ouganda (2013-17 et 2021-23) et la Zambie (2020-21). En quoi la responsabilité d’une sélection qui ne joue qu’une quinzaine de matchs officiels est-elle plus forte pour vous qu’un job quotidien auprès d’un club ?
C’est effectivement mon quatrième poste de sélectionneur, la Zambie ayant été mon dernier en 2020-21. Je me considère par conséquent comme un sélectionneur chevronné puisque j’ai coaché l’Ouganda 120 fois, 34 matchs avec la Zambie et 30 le Rwanda, soit environ 200 rencontres à la ceinture !
J’ai disputé une CAN et quatre fois le CHAN. Si ça, ce n’est pas de l’expérience africaine… J’ai appris auprès des meilleurs en Afrique et je m’intéresse à toutes les sélections nationales du continent.
Sachez qu’avec la Libye, rien qu’en trois mois, on a disputé 9 matchs ! J’aime les matchs amicaux afin de tester et expérimenter dans des situations réalistes. C’est la meilleure formule pour moi. Les matchs sont le reflet de votre travail.
Je fais attention à tous les détails. Etre en contact à distance avec mes joueurs qui passent 95% de leur temps en club. Les 5% restants en sélection ne pourront pas être bons si on ne fait pas attention à ce qu’il se passe en club.
Les joueurs sont des êtres humains qui ont des hauts et des bas en club. J’essaie de les observer le plus possible pour leur donner le meilleur feedback possible. Il faut les aider aussi quand ils sont en club.
Qu’en est-il exactement de votre contrat et de vos objectifs à atteindre ? La CAN 2025, le CHAN, la Coupe du monde 2026 en font-ils partie ?
J’ai signé un contrat un an (plus un) afin de voir s’il était possible de bien progresser en partant de tout en bas. Chaque coach rêve d’une équipe solide derrière, créative au milieu et efficace en attaque. En 9 matchs depuis octobre, on a gagné 6, 3 nuls et 0 défaite.
C’était tout simplement impensable jusque-là puisque la sélection n’avait gagné que 3 matchs lors des deux dernières années.
Ca se passe donc très bien et j’espère que ça ira de mieux en mieux. 17 buts marqués et concédé 7. On veut améliorer la moyenne de buts inscrits en passant à plus de deux buts par rencontre. On souhaite également améliorer notre solidité défensive. Et tomber à 0,5 but encaissé par match.
Je pense vraiment que le plus grand pouvoir d’une équipe nationale est de rendre son peuple heureux. Mon rêve est de continuer à bien avancer en éliminatoires de la CDM 2026. Actuellement, on compte 4 points.
On joue l’Ile Maurice et Cap Vert en juin prochain. On entrera ensuite en éliminatoires de la CAN 2025 et possiblement du CHAN, sachant qu’environ 95% de l’effectif des A est composé de joueurs issus du championnat national.
Ce sont nos objectifs que nous préparons en visant le plus haut. Nous sommes lancés dans un processus.
Et chaque jour je regarde ce que je peux faire pour améliorer le football libyen. La plus grande des grosses surprises possibles serait de nous qualifier pour la phase finale de la CDM 2026 !
Face au Cameroun, Angola et Cap Vert, ce serait une réussite formidable ! Ca paraît fou dit comme ça. Concernant la CAN Maroc 2025, je pense que les éliminatoires seront concentrés sur trois mois, trois mois d’enfer !
A nous de mettre en place une sélection avec de bonnes individualités pour être au Maroc. Les rêves semblent dingues mais si on ne vise pas haut… On travaille dur et les nuits sont courtes.
Qu’avez-vous mis en place en termes de valeurs, de philosophie aussi ? Est-ce que cela fonctionne ?
Quand on prend la charge d’une équipe nationale, on est un peu dans la peau d’un chirurgien de haute précision. Chaque détail compte. En venant ici, j’ai dû apprendre comment les Libyens vivaient, leurs traditions, leurs habitudes.
On est en mission pour restaurer la gloire passée de ce football libyen. Ce pays a, tout au long de ces années, a contribué au football continental notamment en coupes interclubs. Il possède les qualités et le talent. Pas simple d’être derrière les grands d’Afrique du Nord, nos grands frères, Maroc, Tunisie, Egypte, Algérie, des modèles que nous voulons égaler et battre.
La discipline est primordiale. Deuxième point, l’organisation et l’ordre. A tout instant. A chaque moment, savoir ce que l’on fait. Maintenant c’est possible avec les calendriers -international, continental et national.
3e point, le dur labeur (fanatic hardwork) et la science en s’appuyant sur des plateformes telles que WyScout. Le scouting des adversaires mais aussi de nos propres forces.
Autre point, on veut mettre sur pied une atmosphère familiale traditionnelle, dans une culture musulmane. Respecter chacun pour être respecté en retour. Que les joueurs ressentent l’EN comme une famille pour traduire cela sur un terrain. Voilà ce sur quoi je m’appuie.
Qui compose votre encadrement ?
Je suis venu ici pour réussir et je me suis entouré de gens pour ça. Je travaille avec le Professeur Veselin Jelusic, 32 ans d’Afrique, notamment en Angola. Il a été à la CDM 2006, a bossé avec le Botswana en 2012 pour la CAN, mais aussi en Afrique du Sud, au Lesotho dernièrement.
Il est à mes côtés à tous moments. C’est mon bras droit ! Mon bras gauche est Musa Beklil, un jeune vidéo-analyste d’Algérie. Il est aussi notre traducteur. Il a écrit trois ouvrages sur Guardiola, Klopp. Enorme expertise.
Il me nourrit en détails les plus importants. Autre personnalité, l’instructeur CAF Musif Mohamed pour les gardiens de but. On a aussi Oussameddine Ibrahima, un préparateur physique libyen de qualité.
On voudrait ajouter à ce staff le Français Frank Plaine, avec lequel j’ai travaillé dans d’autres missions (Ouganda, Zambie, Orlando Pirates). Il viendra apporter lui aussi son expertise.
Le Docteur Mohamed, qui vient de Cape Town (AFS), s’occupe du département médical. Je travaille aussi avec chaque coach en poste dans le championnat libyen.
Je suis aussi très proche de l’équipe dirigeante conduite par le Président Shelmani. On est là pour revitaliser la sélection nationale, la nourrir en meilleures vitamines !
Comment vous organisez-vous au quotidien ? Vivez-vous en permanence à Tripoli ? Parvenez-vous à suivre vos joueurs basés localement ?
En 23 années en Afrique, j’ai toujours fait en sorte d’apprendre, comprendre les mentalités, la culture et les traditions des pays où j’entrainais.
Même si je porte mon pays, la Serbie, en moi au quotidien, au fond de ma peau, je voulais être plus ougandais qu’un ougandais, plus libyen qu’un Libyen !
Pour ressentir ce que les gens vivent ici, je vis en permanence à Tripoli. Je suis en contact avec Benghazi permanemment.
Ce qui veut dire que je suis les 10 clubs de l’ouest et les onze clubs de l’est, côté Benghazi. Après 3 mois de championnat, j’ai suivi tant de matchs locaux.
Je connais chaque joueur du championnat ! On a une plateforme où l’on suit les stats de chacun et des vidéos. Même la D2, je la suis !
Je suis là pour servir le pays de la meilleure façon possible. Le football est comme un baume apaisant pour le peuple et le pays, pour amener de la stabilité, de l’unité et de la paix. La sélection est là aussi pour ça.
En 2006, la sélection de Côte d’Ivoire a réuni un pays alors en guerre, souvenez-vous ! C’est ce que nous faisons ici. A cet effet, je suis chaque joueur libyen et ses performances, localement et ceux expatriés.
N’est-ce donc pas trop compliqué de suivre au plus près ?
Le pays est gigantesque, presque 2000 kilomètres de côtes par exemple. Mais on a suivi en direct 60% des matchs. Depuis le 27 octobre 2023 et le début du championnat, on a vu tout ce qui peut être vu. Visité les clubs, rencontré les coachs.
On observe les joueurs aux quotidiens. On bosse main dans la main avec les entraîneurs locaux et ça se passe très bien. Ce sont des discussions techniques.
On a aussi essayé d’aider Hilal Benghazi et Abu Salim engagés en Coupes de la Confédération africaine. On est heureux que le joueur d’Abu Salim qui avait marqué contre le Cameroun ait continué ensuite en CDC !
Il a aidé à la qualif en quarts. Je suis allé à Benghazi, et en fait, je me balade entre les deux pôles. C’est une tâche énorme mais je crois en cela ».
Propos recueillis par @Frank Simon