Après des expériences en Chine, en Guinée et au Nigeria, Mohamed Aït-Hida le technicien franco-marocain (50 ans) a pris récemment la direction technique du club omanais de Sohar où il travaille auprès des catégories de jeunes. Rencontre avec un citoyen du monde.
« Mohamed bonjour ! Dans quelles circonstances êtes-vous arrivé du côté d’Oman, et plus particulièrement du club de Sohar ?
Dès l’obtention de mon UEFA A, en octobre 2015, j’ai commencé à diffuser mon CV à tous les agents que je rencontrais. C’est un réseau avec quel je communique quand j’arrive de fin de contrat. Là, c’est un agent marocain, Karim, qui m’a proposé ce poste de directeur technique de l’Académie de Sohar. J’ai pour mission de former les entraîneurs et de mettre en place une politique sportive au sein de toutes les catégories de l’Académie. Le Sultanat d’Oman est un petit pays et le football y est un petit sport. Cela reste très amateur. A Sohar, on a quatre catégories et donc quatre coaches (U6-U8, U10, U12, U14) plus un entraîneur des gardiens, qui s’entrainent deux fois par semaine. Je suis là pour structurer et mettre une méthodologie de travail.
Vous avez été basé en Chine, en Guinée (Kaloum), au Nigeria (Siyom FC) et êtes membre de l’encadrement de Madagascar (U23), A la lueur de votre parcours professionnel, c’est donc la première fois que vous travaillez dans le football arabe…
S’il n’y avait pas eu la période du Covid, je n’aurais même pas quitté la Chine après deux ans, parce que c’est un pays qui dispose d’installations dernier cri, où il y a tout pour réussir. Mais où malheureusement la qualité des joueurs est très faible parce qu’ils ne sont pas encore prêts mentalement à travailler dans des sports collectifs. J’ai effectivement travaillé en Guinée et au Nigeria. Et je reste adjoint des U23 de Madagascar. Certes, j’ai un petit réseau et un petit CV, donc pas nécessairement beaucoup de demandes. Je suis originaire du Maroc et franco-marocain. Mais je n’ai pas eu encore l’opportunité de travailler dans des pays tels que le Maroc, l’Egypte, l’Arabie saoudite ou le Qatar. J’ai eu Oman alors que j’avais des offres au Bénin et en Libye, mais qui ont mis du temps à se matérialiser. A un moment donné, on ne peut pas se permettre d’attendre. Alors on fonce !
A Oman, vous exploitez l’une de vos facettes, celle de formateur…
J’ai une passion pour la formation, j’ai travaillé douze ans comme recruteur de Saint-Etienne, j’ai sorti pas mal de joueurs passés pros (Guilavogui, Nampalys Mendy, Bafé Gomis, Jordan Amavi, Wesley Fofana). J’ai cette fibre de pouvoir lancer rapidement les jeunes en équipe première comme je l’ai fait lorsque je dirigeais un club.
Revenons un instant sur l’expatriation. Qu’est-ce que ça a apporté à votre vie ?
Jeune, j’aimais déjà voyager pour m’enrichir culturellement. En arrivant en Chine, j’ai compris de suite qu’il fallait que je change ma méthode de travail. J’avais affaire à des gens très (trop) disciplinés et vivaient très mal qu’un entraîneur leur crie dessus ! Je suis originaire du sud de la France, on a le tempérament chaud, alors quand un joueur ne fait pas ce qu’on lui demande, on le crie dessus pour le recadrer. En Chine, il ne faut pas le faire ! j’ai appris qu’en Afrique noire, l’influence du président fait qu’on n’a pas la mainmise totale sur son groupe… Au Nigeria, j’ai été confronté à la corruption… Si on veut réussir, il faut s’adapter. J’ai laissé quand même mon empreinte à chaque fois tout en m’enrichissant culturellement. La clé, c’est la faculté à vite s’adapter parce qu’on n’a pas forcément de grosses installations. Mais on a la qualité footballistique. Je suis devenu un « caméléon du football »
Avant d’arriver à Oman, vous étiez à Madagascar. Avez-vous renoncé à vos fonctions en sélection ?
Non. Je reste entraîneur adjoint de U23 de Mada. Sohar sait très bien qu’il faudra me libérer lors des prochaines dates FIFA (19 au 29 septembre) et ensuite fin mars 2023.
Vous nous le rappeliez tout à l’heure, vous êtes originaire du Maroc. Quel est votre rapport justement à ce football et à ce pays ?
Ma mère est originaire de Casablanca, mon père paix à son âme d’un petit village près d’Agadir. Je pense que s’il fallait choisir un club, j’irais donner un coup de main au Hassania Agadir ! Mais je ne refuserai pas Oujda, Meknès ou Fès. Je suis un globe-trotter et éducateur avant tout. Forcément, en étant franco-marocain, je suis le football du pays. Très fier de ce que les clubs et sélections ont accompli au niveau africain. A titre personnel, j’aurais aimé que mon CV circule plus du côté des clubs de la Botola, sachant que je suis formateur. Pendant trois ans à Berkane, j’ai bossé avec un certain Mr Youssi, en organisant un tournoi futsal en hommage au gardien de but décédé, Abdelkader El-Brazi, ex-FAR. On faisait venir des clubs français. On a réussi à inviter ensuite les sélections marocaine et égyptienne de futsal, finalistes des dernières CAN. J’ai été rapidement en contact avec Mr Nasser Larguet. Mais j’ai bien compris que je ne faisais pas partie des personnes auxquelles il a proposé un poste de directeur technique (payé par la FRMF) dans un club marocain. C’est dommage parce que je pense que mon profil pourrait intéresser…
A quels types de problèmes avez-vous été confronté (racisme ou autre) ?
A titre individuel, je n’ai pas ressenti de racisme de Chine, où on cherchait une compétence. En Guinée, dans un pays musulman et francophone, l’intégration a été rapide. J’ai eu des soucis plus avec mon président sur ma méthode travail. Lui voulait gérer l’équipe… C’est pour cela que je n’ai pas pu tenir jusqu’au bout. Au Nigeria, j’ai eu la chance d’avoir un président ouvert d’esprit. J’avais 50% de musulmans et 50% de chrétiens, un effectif très pieux. C’était très facile, ils étaient dans le partage et la tolérance. Je pense que le racisme touche surtout les tribunes en Europe et très peu les joueurs entre eux.
Quelle est votre philosophie sur le plan du jeu, quel football prêchez-vous ?
Moi j’ai grandi avec l’Ajax d’Amsterdam, le foot total. J’adore Alex Ferguson et Arsène Wenger parce qu’ils n’ont pas eu peur de lancer dans le grand bain des jeunes de 16-17 ans. Ils ont du caractère, j’en ai aussi. Par contre, je suis proche de mes joueurs, j’irais à la guerre pour eux au niveau de ma direction. A eux d’aller à la guerre pour moi sur le terrain ! Je n’ai pas un système de jeu type. Je joue en fonction du potentiel que j’ai, en fonction des profils je mets en place le meilleur système possible. On est dans une époque où c’est au coach de s’adapter à ses joueurs. J’ai toujours été dans le social de par mon ancien métier -j’étais directeur de centre de loisirs dans les quartiers sensibles de la ville de Toulon- et j’aime des gars qui ont du caractère. Quand je vois que Ferguson a géré Cantona, il ne fait aucun doute que c’est un grand.
Quel est le niveau de la compétition à Oman ?
Cela ressemble à un niveau régional par rapport à la France. Le championnat est amateur, les joueurs travaillent. A Sohar, le club est souvent milieu de tableau, 6e en 2022 par exemple. Le moins bien payé touche 1000 dollars mensuels. On est très loin des autres nations du football arabe.
Si vous deviez faire votre auto-promotion, que diriez-vous ?
Je suis un formateur et un entraîneur. Formateur parce que j’observe les joueurs de qualité et faire en sorte que sous quelques années, ils deviennent des top joueurs. J’ai la chance, aussi, de posséder un réseau en France et en Europe (SUI, BEL, ALL). Demain si un club me prend, je vais aller recruter les meilleurs éléments du coin. Je mettrais une méthode de travail en interne. Ensuite, je ferais venir mon réseau européen. Je peux apporter cette plus-value. J’ai eu la satisfaction de voir cinq des joueurs que j’ai formés au Nigeria partir à l’extérieur. Malheureusement, ils n’ont pas réussi à obtenir de visas pour l’Europe, alors que deux étaient invités par le Stade de Reims. Un était invité par Nüremberg en Allemagne. Les gamins sont aujourd’hui au Bénin, en Guinée et au Sénégal, faute d’avoir pu rejoindre l’Europe… »
Propos recueillis par @Frank Simon