Le coup de sifflet final de l’arbitre argentin Nestor Pitana, aux alentours des 18h50 françaises dimanche 15 juillet, a non seulement permis à la France d’être sacrée championne du monde face à la Croatie (4-2) mais elle a également sonné le glas du Mondial russe. Place désormais à celui qu’hébergera le Qatar en 2022 (du 21 novembre au 18 décembre). L’Emirat du Golfe dispose d’un peu plus de quatre ans pour réussir son rendez vous avec l’histoire.
Officiellement, c’est sous les lambris dorés du Palais du Kremlin, et au soir de la finale remportée par les Bleus, que la passation de flambeau entre Vladimir Poutine et Al Thani bin Amir Cheikh Tamim Hamad s’est déroulée.« Organiser le Mondial 2022 dans notre pays est un événement historique pour le Qatar. Je me souviens que lorsqu’on nous a attribués le droit d’accueillir le tournoi, c’était une énorme joie pour l’ensemble du monde arabe », a déclaré avec fierté le Prince Al Thani.
A l’automne 2022, le Qatar aura donc le très rare privilège de recevoir la planète entière du football. Nobobstant la restriction d’alcool durant la compétition, Doha table sur la présence de 1,5 millions de fans qui viendront des quatre coins du globe encourager leur équipe nationale. Un honneur qui ne va toutefois pas sans une certaine pression. Si Gianni Infantino, le président de la FIFA, a placé la barre très haut en qualifiant la coupe du monde de Russie comme étant « la meilleure de tous les temps », le vrai défi des Qataris sera de gagner le procès en illégitimité brandi par ses nombreux détracteurs et de préparer l ‘après hydrocarbures dans un contexte local tendu.
Héberger l’un des deux plus grands événements sportifs, avec les Jeux Olympiques, relève donc de la gageure pour le Qatar. Mais nul doute que le petit Etat gazier de 11 586 km2 voudra être à la hauteur du défi qui s’avance un peu plus chaque jour. En effet, la symbolique du premier pays arabe et musulman à réunir la crème du foot mondial est suffisamment importante pour que le résultat ne soit autre chose qu’une réussite multidimensionnelle : infrastructurelle, sportive, sécuritaire et festive.
Pour ce faire, et malgré une baisse des revenus gaziers provoquée par la chute des cours du pétrole, les responsables qataris tiennent à leur feuille de route quant à la budgétisation des sommes allouées pour leur coupe du monde. Avec près de 500 millions de dollars dépensés chaque semaine, et en dépit de la polémique récurrente sur les conditions de travail des ouvriers sur les chantiers, le pays est en avance sur son programme. Ainsi, sur les huit stades à construire ou à rénover – la distance maximale entre deux enceintes sportives n’excédera pas les 55 km – le Khalifa International stadium (80 000 places) est déjà opérationnel tandis que deux autres écrins doivent être livrés d’ici fin de l’année. Selon Ahmed El Obaidly, responsable des sites au comité d’organisation 2022, l’objectif est « de finir les stades avant la fin 2019 ». Au total, ce sera près de 200 milliards de dollars qui auront été engloutis pour financer les infrastructures diverses, le métro ainsi que la nouvelle ville de Lusail. Une cité de 200 000 habitants située à 15 km au nord de la capitale qui abritera le match d’ouverture et la finale.
Au niveau régional, un succès d’estime entrainera ipso facto des retombées géopolitiques favorables. Cette donne est importante au moment où le pays subit, depuis juin 2017, un blocus maritime, terrestre et aérien imposé par ses voisins (Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Bahrein, Egypte) qui l’accusent de soutenir le terrorisme. Un tournoi qui ferait l’unanimité parmi les joueurs, les supporteurs, les dirigeants et les médias serait, dans le cadre de la stratégie du soft power initiée par Doha, « une assurance vie » selon Agnès Levallois, spécialiste du monde arabe. En effet, le Qatar, à travers sa diplomatie sportive, a tout intérêt à dégager une image de pays dynamique et moderne face à un environnement hostile et moins ouvert sur l’extérieur.
L’organisation de la coupe du monde transformera en outre profondément le tissu économique et social local. Les gigantesques investissements réalisés, ou en passe de l’être, dans les infrastructures routières, aéroportuaires, de transport ou hôtelières vont permettre d’anticiper l’après hydrocarbures en privilégiant les secteurs de la culture, du tourisme et du divertissement. Ayant déjà démontré leur savoir faire en matière d’organisation d’événements sportifs (coupe du monde de hand-ball, open de tennis, tour cycliste, grand prix moto…), les Qataris seront en mesure de continuer à candidater pour l’accueil de compétitions et manifestations internationales.
L’objectif final est d’asseoir cette légitimité sportive et culturelle tout en étant une destination de choix pour des millions de touristes. L’audience cumulée en dizaines de milliards de téléspectateurs du Mondial offrira aux 2,3 millions d’habitants une exposition universelle sans commune mesure. Une opportunité dont la famille princière saura tirer profit pour pérenniser les ressources financières de l’Emirat tout en apparaissant sur la carte du monde en tant que pôle d’attraction et modèle pour la région.
@Nasser Mabrouk