C’est en banlieue parisienne que 2022mag est allé à la rencontre d’un des plus grands joueurs contemporains de l’histoire de l’Algérie, Moussa Saïb. A 45 ans, l’ancien capitaine des Fennecs, devenu un héros à la JSK puis à Auxerre, demeure un fin connaisseur du football algérien. Il nous a ouvert ses portes et pendant une heure, a évoqué sa carrière, le sacre de 1990, la sélection nationale et encore bien d’autres thèmes. Avec décontraction. Un entretien à déguster sans modération.
» Moussa bonjour ! Pour commencer, racontez-nous votre fin de carrière…
« J’étais à Monaco et de là, je suis parti à Dubaï pour six mois. Et à partir de 2002-2003, je suis rentré en Algérie. A la JSK. J’y ai joué deux ans, avant d’arrêter en 2004. J’ai stoppé ma carrière après avoir remporté un championnat, chose que le club n’avait plus gagné depuis très longtemps. J’avais promis de revenir, je suis revenu.
Et après ?
Ensuite, j’ai pris l’équipe en tant qu’entraîneur.
Qu’avez-vous fait entre les deux ?
J’ai fait un break. En 2006-07, j’étais adjoint de l’entraîneur en place, j’ai pris le relais et gagné le championnat en tant que numéro un. Après, on ne s’est pas mis d’accord avec la direction en place. Ils avaient une démarche, moi une autre. Je n’en pouvais plus. J’ai préféré quitter la table sur ce championnat. J’ai eu alors une offre d’Arabie Saoudite, que j’ai acceptée. C’était Al-Watani, un petit club qui venait de monter en D1. Là-bas, j’ai fait une demi-saison mais avec les mauvais résultats, on s’est séparé à l’amiable. Je suis revenu en Algérie pendant un an. J’ai pris l’ASO Chlef. J’ai débarqué dans un club où je ne connaissais rien, ni les joueurs. J’avais besoin d’un temps d’adaptation. Mais dès qu’on arrive, on nous met la pression des résultats, et il y avait des pressions extérieures.
Ca s’est encore mal passé ?
Au cours d’un match à domicile, on était menés 2-0, l’arbitre siffle un penalty pour nous à un quart d’heure de la fin, alors qu’on dominait. Le joueur rate. Qui on insulte ? L’entraîneur ! Là, j’ai compris que quelque chose n’allait pas, j’ai préféré dire stop après quelques mois. J’avais fait la préparation et deux-trois matches. Ma dernière expérience en tant qu’entraîneur c’est encore à la JSK. Je suis revenu dans un moment difficile, comme un pompier de service. Hélas, on n’a pas tenu parole par rapport à ce qu’on s’était dit au début.
Vous vous êtes senti floué, trompé ?
Le club était engagé en Ligue des champions et on s’était mis d’accord avec le président pour faire l’impasse sur cette compétition car on n’avait pas l’effectif pour. Moi, ce qui m’intéressait, c’était le championnat et je lui ai dit. Le championnat s’arrêtait le 7 juillet et le 14, on débutait la C1, sans préparation. Sur la feuille de match, on n’a pu aligner que onze joueurs et un remplaçant ! Après des défaites en ligue des champions, on a commencé à mettre la pression sur moi ! Puisque c’était comme ça, et avant même que le championnat reprenne, j’ai décidé d’arrêter. Depuis cette époque, j’ai pris la décision de ne plus entraîner. Priorité à ma famille. J’ai trois beaux enfants et c’est un vrai job !
Vous avez renoncé à une carrière sur un banc ?
Oui, tant qu’il n’y a pas de vrais hommes qui ont du courage, qui soutiennent l’entraîneur et font face à la pression de la rue, des supporters. Il y a des clubs algériens qui ont déjà changé trois fois d’entraîneurs depuis le début de la saison. Ce n’est pas évident de travailler dans ces conditions.
Du coup, vous êtes devenu consultant !
Exact ! J’avais débuté sur Orange Foot, lors de la CAN 2012. Il y avait Pape Diouf, Claude Le Roy, Rigobert Song, Kaba Diawara. Maintenant, je travaille avec une boîte de production qui vend des contenus à Echorouk TV, une télévision algérienne. Je me déplace plusieurs fois par mois, on enregistre des émissions. On parle football algérien et équipe nationale. L’émission est consacrée uniquement à notre football.
Et ça vous plait ?
Sincèrement, oui. Joueur, je ne me rendais pas forcément compte de cette notoriété. C’est après qu’on en prend conscience. J’ai arrêté le haut niveau il y a une quinzaine d’années et les gens continuent de se rappeler de moi, ça prouve qu’on a réussi quelque chose ! Les gens savent aussi comment je suis, je ne me la joue pas.
Aujourd’hui donc, Moussa Saïb se partage entre la famille et son rôle de consultant, si je vous suis bien…
Oui, et puis il y aussi des matches entre amis avec les anciens. Je joue de temps en temps avec l’association des Black Stars, on fait des matches caritatifs. Ce n’est que du plaisir, du bonus. Ca ne me dérange pas dans la conduite de mes affaires. Et puis, ça fait toujours plaisir de retrouver les anciens.
« Il y avait la place pour aller plus loin à la CAN »
Quelles sont vos relations aujourd’hui avec la JSK, votre club ?
Aucune. Quand j’ai quitté le club, et c’est ce que j’avais dit, on se sépare à l’amiable, sans problème. Malheureusement, chez nous, c’est toujours la guéguerre quand ça se termine. Alors j’essaie d’éviter d’aller vers le club. Parce que ma présence risque d’être mal interprétée. Il y aura toujours des gens pour dire que je veux créer la zizanie, ou que je veux revenir. Alors, j’évite. Par contre, dans mon travail de consultant, je dis mes vérités. Ca plait ou ça ne plait pas.
Pourtant, vous avez une vraie légitimité en tant qu’ancien pro et surtout, vainqueur de la CAN 1990…
Pour les gens, cela ne représente rien, ce titre de champion d’Afrique 1990 ! Et pourtant, depuis, personne ne l’a fait. En Algérie, seul le présent compte, et ce passé-là n’intéresse pas. Comme si l’étoile qui est sur le maillot était tombée du ciel ! Ce qui est écoeurant, c’est le manque de reconnaissance envers notre génération. Chaque fois qu’un responsable s’installe à la tête de notre football, il veut se montrer. Mais ce qui importe, c’est notre football, non ? L’équipe nationale, c’est pareil, ce n’est pas un intérêt privé, elle appartient à tout le monde. Elle existe depuis l’indépendance.
Et l’équipe nationale, huitième de finaliste de la dernière Coupe du monde : que vous inspire-t-elle ?
La patte existe, les moyens existent. Le parcours en Coupe du monde a été exceptionnel, c’est une belle fierté. En revanche, j’ai été déçu par l’élimination en quart de finale de la dernière CAN, alors qu’on était grand favori de ce tournoi.
Vous espériez que l’équipe irait au bout ?
Je connais l’Afrique. D’un côté, je me disais c’est jouable, et de l’autre, on avait des joueurs et un nouveau sélectionneur qui ne connaissaient pas forcément l’environnement africain. Il y a beaucoup de paramètres qui entrent en jeu dans une telle compétition. Et pour tout vous dire, je n’ai pas trouvé que ça a été une grande CAN, sans le Nigeria ni l’Egypte. Il y avait de la place pour aller plus loin. J’étais déçu par rapport aux moyens mis en œuvre pour la sélection mais aussi par rapport aux ambitions. On est rentré bredouilles.
Etes vous en phase avec le football proposé par Christian Gourcuff en sélection ?
Oui. C’est un football qui fait la part belle au jeu. Après, j’ai le sentiment que les joueurs n’assimilent pas parfaitement le 4-4-2 proposé par le coach. Il lui reste peut-être à trouver la bonne formule au niveau des joueurs. A titre personnel, je ne suis pas un adepte du 4-4-2, plutôt du 4-3-3. A la CAN, Brahimi n’était peut-être pas dans le meilleur rôle, je le verrais plutôt couloir gauche plutôt qu’axial. Ce n’est qu’un avis.
Aujourd’hui, Feghouli, Slimani, Brahimi évoluent dans des grands clubs européens. Dialoguez-vous avec cette génération dorée ?
Non. Je n’ai pas de contact direct avec eux. J’apprécie aussi Bentaleb et Mahrez, qui évoluent en Angleterre. Ce sont de très bons joueurs, et c’est un régal de les voir évoluer. Après, le rendement en club et celui en sélection n’est pas le même. Ils ne jouent pas forcément dans le même rôle qu’en club.
Dans les années 1990, vous étiez peu de joueurs à évoluer dans des clubs aussi prestigieux…
La différence entre hier et aujourd’hui, c’est que l’équipe était composée à 80% de joueurs issus du championnat algérien. Dans ma génération, il n’y avait que quelques éléments nés ou basés en Europe. Maintenant, la tendance c’est inversée. Ils sont surtout issus de l’école française, ils ont une base que nous n’avions pas à l’époque. Quelque part, je regrette qu’on marginalise les joueurs issus du football local. J’entends que le championnat algérien est faible. Mais on ne fait rien pour le valoriser. Il n’est pas faible : prenez la dernière Coupe du monde, Slimani (3 buts) et Djabou (2 buts) sont des purs produits de ce football algérien ! Le meilleur exemple, c’est Slimani qui fait les beaux jours du Sporting. Mais c’est vrai que chez nous, on ne forme pas.
» Je ne critique jamais l’homme «
Dites nous un petit mot sur Madjid Bougherra, le capitaine de route du football algérien qui a décidé de tirer sa révérence après la CAN. On peut imaginer qu’il reviendra au football algérien d’une autre façon ?
Sa place est prête, préparée. Il a beaucoup apporté, et l’Algérie lui a rendu. Ce qu’il a fait, c’est grandiose pour la sélection. C’est un leader. Il n’a pas fait une grande Coupe du monde. Il a compris et dit d’ailleurs qu’il y avait des jeunes qui arrivaient, et il a quitté cette sélection par la grande porte.
Revenons à votre parcours. Vous vous êtes forgé l’un des plus beaux palmarès du football algérien…
En 1990-91, j’avais remporté tout ce qu’il était possible de gagner : championnat, coupe d’Algérie, Coupe des clubs champions, CAN, Coupe afro-asiatique contre l’Iran (1-0, 1-1). Mais, comme je vous l’ai dit, ça n’a aucune importance aux yeux des gens aujourd’hui. L’Algérie s’est lancé dans le professionnalisme il y a quelques années. Moi, j’étais pro depuis 1992 et j’avais donc presque vingt ans d’avance. Mais on ne m’a jamais sollicité pour donner mon avis sur ce professionnalisme. Pourquoi ?
N’est-ce pas parce que l’on craint votre regard critique, votre analyse ?
J’ai le sentiment qu’ils ont peur qu’on leur fasse de l’ombre. Je le disais à l’époque où j’étais encore joueur, je voulais apporter à la jeunesse ce que j’avais appris. Je ne suis pas là pour faire le dirigeant ou le président. Mon métier, c’est le terrain. Après, il faut voir si les critiques sont constructives. Je ne critique jamais l’homme, le joueur oui. Feghouli et Brahimi, dont je connais les qualités, je les ai critiqués pendant la CAN. Parce que je sais qu’ils pouvaient apporter plus par rapport à leur potentiel. On attendait plus d’eux. Je l’ai dit et je l’assume, sans animosité ni méchanceté. A propos de Brahimi, les gens lui ont-ils parlé, l’ont-ils briefé avant cette CAN en Guinée Equatoriale ?
Que voulez-vous dire ?
L’ont-ils préparé psychologiquement avant d’y aller ? Il fallait discuter de sa façon de jouer là-bas, le tuyauter sur l’Afrique, l’environnement, les terrains, etc. C’est le rôle des anciens. Nous sommes passés par là avant eux.
Pourquoi ne lancez-vous pas l’idée d’un comité des sages, composés d’anciens internationaux, qui feraient le lien et tisserait un dialogue avec cette génération si talentueuse ?
Je ne suis pas contre, au contraire ! C’est une très bonne idée, je vais la proposer. Après, on n’est pas conviés aux matches de l’équipe nationale. Mais on dirait que le président de la Fédération considère les anciens internationaux comme des ennemis, je parle de la génération 1982-90. Les gars sont tous à l’écart. J’ai aussi envie de rappeler qu’on a fait partie de ceux qui venaient défendre le maillot national pendant la décennie noire, entre 1990 et 2000. Nous étions toujours présents pour la sélection, et partout. L’hymne national a résonné partout à l’époque. Je me souviens d’un entraînement à Tlemcen avec la sélection avant un match contre le Ghana, où l’on entendait des coups de feu dans le lointain.
Quand vous voyez des anciens internationaux français honorés par la Fédération comme Zidane, Desailly, Vieira, que ressentez-vous ?
Nous n’avons pas cette culture, je crois. Il faut attendre qu’on décède, et encore, pour que l’on parle de toi. Pourtant, l’histoire on ne l’efface pas. 1990 c’était hier.
» Je respecte le choix de Fekir «
Que deviennent vos coéquipiers d’hier ?
Madjer est consultant, Amani président d’un club (Al Arbaa), Serrar a été président de Sétif puis de Bel Abbès. Meftah est recruteur de l’USMA, Chérif El Ouazzani a été coach du MC Oran puis de Paradou. Djanhit s’est exilé au Canada, Menad a été entraîneur du Mouloudia, Megharia vit à Chlef, Osmani a passé ses stages, Adghigh est à Tizi Ouzou. Rahim a fait un peu le consultant mais je sais qu’il est dans la difficulté. C’est dommage.
Evoquons à présent l’Entente de Sétif, championne d’Afrique, qui plane au sommet du football continental…
C’est une réponse à ceux qui insultent le football algérien. Ce sont des joueurs locaux, et certains mériteraient d’évoluer en équipe nationale. Je pense que Khedairia le gardien aurait pu être parmi les trois en sélection. Ils ont été champions d’Afrique, disputé la coupe du monde des clubs et ont gagné la Supercoupe contre le Ahly d’Egypte, c’est quelque chose d’encourageant pour la suite. Après, Sétif me surprend parfois. Une semaine ils gagnent la Supercoupe, la semaine d’après ils sont giflés par Béjaia en championnat 3-0. Ils sont imprévisibles.
Quel est votre sentiment sur la polémique liée aux binationaux, avec notamment Nabil Fekir qui a opté pour la France plutôt que l’Algérie ?
Dans le cas de Fekir, je ne lui reproche rien. Il a joué avec les espoirs français, évolue dans un club français. Le souci, ça a été son hésitation et ça a créé la polémique. Il n’était pas sûr. Avait-il envie de jouer pour l’Algérie ? Je crois qu’il avait la pression, ça peut venir de l’entourage, du club. Je ne lui en veux pas et je respecte sa décision, son choix. Maintenant, j’espère que la France va en profiter. Il ne faut pas couper les jambes du gamin, il n’a qu’une saison de L1. Sa valeur va augmenter.
Revenons à l’Algérie. La CAF doit attribuer la CAN 2017 et l’Algérie est grandissime favorite pour l’organiser. Est-ce un challenge important pour le pays ?
Est-ce qu’on est prêt ? On construit des stades. Les infrastructures existent, on dispose de plus de moyens qu’en 1990 pour l’organiser. Après, c’est un tournoi à seize équipes, plus à huit comme à l’époque.
Seriez-vous prêt à vous impliquer dans ce dossier-là, en tant qu’ambassadeur ou représentant du COCAN ?
Bien entendu ! Si on nous sollicite pour l’Algérie, ce sera avec plaisir. Après, ce n’est pas parce qu’on organise une CAN qu’on va nécessairement la gagner.
Pour conclure, quelle est votre vision du football arabe, avec la perspective d’une phase finale de Coupe du monde 2022 au Qatar…
… en hiver ! Sincèrement, côté infrastructures, je ne me fais aucun souci. En été, ç’aurait été insupportable. En hiver, ce sera une réussite. Après, localement, ça ne décolle pas pour le championnat malgré les grands noms sur les bancs et dans les effectifs. Le Qatar, en tant que sélection, a plus de mal. »
@Samir Farasha