La rédaction de 2022mag a profité du dernier CHAN disputé au Maroc pour rencontrer l’international ivoirien, recruté l’été dernier par le Wydad Casablanca, et prêté depuis cet hiver au Racing Casa. Lors de cet entretien, Nicaise a accepté de livrer un témoignage inédit et exceptionnel sur son parcours en Ligue des champions d’Afrique. Voici son histoire.
« Nicaise Daho, bonjour ! Pouvez-vous vous présenter à nos amis internautes ?
Je suis Daho Guillaume Nicaise, international ivoirien, attaquant du WAC. J’ai 23 ans, et je dispute ma première saison sportive au Maroc. Avant d’arriver ici, j’étais en Côte d’Ivoire. J’ai débuté dans un centre, le Centre de Formation Football Club Philippe (CFFP) à Yopougon. Auparavant, j’ai été formé par « Cooper », l’homme qui a révélé Emmanuel Eboué. Le coach Philippe a aussi formé Max Gradel et Seri Michael. Mais j’ai privilégié mes études avant le football, je suis bachelier d’ailleurs. Une fois à l’école, j’ai mis de côté le ballon.
Comment a débuté votre carrière ?
Il y a eu le championnat national cadets en 2010, où j’ai fini meilleur buteur avec 22 réalisations. J’ai ensuite été convoqué en sélection mais je n’ai pas pu aller ni à la CAN ni au Mondial en raison de la guerre au pays. Je suis parti. Quand je suis rentré en Côte d’Ivoire, je suis reparti immédiatement, direction l’Espagne en D2. Là-bas, j’ai fait une saison, je m’entrainais avec le groupe pro mais le club ne pouvait pas conserver les étrangers. Le club a été relégué de Segunda B car il avait des difficultés à payer les salaires. Je suis de nouveau rentré au pays. Mais le club voulait me faire revenir, mais il ne mesurait pas les tracasseries administratives pour que je reparte. J’ai eu à jouer un match contre les jeunes du Valence CF. Le recruteur de l’Atletico Madrid m’a vu et a voulu me faire signer. J’ai aussi fait la connaissance de Francis Kacou, l’agent.
Une rencontre décisive ?
Oui, il m’a conseillé de rentrer au pays avant de me proposer quelque chose avec un club danois. J’ai réfléchi. D1 ivoirienne, D1 danoise, « cantera » (formation) en Espagne… Mais après ça ? Le choix a été de me faire connaître au pays. Il m’a envoyé au club de Bingerville mais le coach du club avait déjà son effectif. Ca a créé des différends entre le coach et lui. Mais il m’a aligné, des bouts de matches ici et là. Je devais partir au Danemark mais je n’étais pas vraiment en jambes et donc, j’ai poursuivi la saison à Bingerville. J’ai commencé à marquer des buts. A la fin de la saison, j’ai demandé au manager, on fait comment ?
Vous pensiez repartir en Europe ?
Il m’a envoyé à l’Africa Sport d’Abidjan, un club important, pour m’aguerrir. Le coach m’a demandé de patienter jusqu’à la 4e journée. Dès le début, j’ai commencé à jouer et à marquer. A l’issue de cette première saison, je voulais toujours partir à l’étranger. J’ai été convoqué chez les espoirs du pays. La saison d’après, le président Alexis Vagba m’a dit qu’il voulait bâtir l’équipe autour de moi.
Et l’équipe nationale ?
En sélection, j’ai joué les éliminatoires des Jeux Africains, j’ai disputé le tournoi de Toulon, les éliminatoires des JO zone Afrique. J’étais très courtisé mais sous contrat à l’Africa. L’année du tournoi de Toulon, j’ai aussi effectué un essai en Belgique, via l’agent Yves Sawadogo, à la Gantoise. Je ne sais même pas pourquoi ça ne s’est pas fait…
Une grosse déception, on imagine ?
Oui… Pour ma troisième année, j’ai commencé fort : trois buts en quatre matches ! J’ai alors reçu une offre du BATE Borisov, un club biélorusse qui a joué la Ligue des champions d’Europe. Malheureusement là encore, ça ne s’est pas fait. Ca a été très dur à vivre.
Comment avez-vous surmonté ça ?
J’ai dû me refaire un moral mais ce n’était pas simple. On peut être un bon joueur mais sans moral… Bon, à l’arrivée, on a fini par gagner la Coupe l’été passé…
Et l’offre du WAC est arrivée !
Exactement ! Je suis arrivé ici après un coup de fil du WAC. J’avoue que je ne connaissais par le Wydad ! Je connaissais plutôt le Raja. J’avais beaucoup d’offres mais je n’étais pas intéressé. Il était 13h, ce 7 août, jour férié (fête nationale, NDLR) juste après la finale de la Coupe. On m’a dit de me préparer pour partir au Maroc. J’ai appelé mon frère et rapidement, je me suis préparé pour voyager.
Vos premières impressions ?
En arrivant, j’étais novice. Le président Naciri m’a dit : « On m’a envoyé des joueurs ivoiriens qui ont déçu. Reposez-vous, vous avez match ce soir, à 18h ». J’étais avec le défenseur Komara. Les choses se sont bien passées, le coach Ammouta était là. J’ai joué une mi-temps, et Komara une demi-heure. J’ai pris un coup au pied et fait une passe décisive. J’étais inspiré, j’ai failli marquer un but incroyable de loin, ça a touché la barre !
Et le Wydad vous a signé…
Attendez… Vers 23h, le soir-même, c’est là que le président m’a fait venir. Il m’a dit qu’à partir d’aujourd’hui, Komara et moi devenions joueurs du WAC. Les contrats ont été bouclés vers 3h du matin ! Maintenant, il fallait encore négocier avec l’Africa, mais le président Vagba a reçu l’offre, l’a accepté, et j’ai été qualifié pour la Ligue des champions rapidement.
Comment se sont déroulés vos premiers pas ?
On a joué la Coupe du Trône, j’ai évolué un petit quart d’heure. J’ai découvert le public, la grosse ambiance au stade. J’aime jouer devant un grand public. Quand tu fais mal les choses, on te siffle, mais quand tu les fais bien, on t’applaudit. Après le match du Trône, on a enchaîné avec la première journée de la Botola contre le FUS Rabat. Ce jour-là, ils nous ont battus (3-1) mais le coach a voulu essayer une tactique qui n’a pas fonctionné. On a joué à trois, derrière. Ensuite, on est parti en Afsud pour la LDC à Pretoria pour affronter le champion d’Afrique sortant, les Mamelodi Sundowns !
Racontez-nous !
Quinze heures de vol ! Le coach m’a vite fait comprendre qu’on m’avait pris aussi pour ça, ces matches africains. Je m’entrainais avec les réservistes et le jour du match arrive. Avant chaque match, il y a une réunion technique, le coach Ammouta annonce le classement (la composition de départ, NDLR) et je vois : attaquant Daho ! Moi, contre les champions d’Afrique de mon compatriote Zakri et du meilleur gardien d’Afrique, Onyango ! Ahi, les noms des joueurs défilaient dans ma tête. Je pensais à tout sauf ça.
A Casa, contre Mamelodi, j’ai eu la chair de poule
Vous avez ressenti un peu de pression…
Quand le match a débuté, le coach nous a prévenus qu’on était venus pour limiter les dégâts. Il m’a demandé de bloquer le capitaine Hlompho Kekana, très bon sur coups de pied arrêtés. En première mi-temps, je l’ai maitrisé. Ils n’arrivaient pas à faire le jeu. Le coach m’a encouragé. Mais Mamelodi a fait rentrer un mec qui nous a fatigués. Et puis l’air, l’altitude nous ont épuisés ! J’étais fatigué, on a perdu 1-0. J’étais découragé. Mais le coach m’a dit qu’il était satisfait. On a préparé le retour, sous les injures et autres des supporters. Ca m’a galvanisé. Au retour, la ferveur du match était incroyable ! Les joueurs de Mamelodi ont tremblé. L’ambiance m’a donné la chair de poule. J’ai débuté attaquant, et je pressais les défenseurs axiaux. J’ai fait un une-deux avec Bencharki, et j’ai reçu un ballon devant Onyango après cinq minutes. Mais il est sorti très vite avec son corps massif. J’aurais pu marquer ! Mais ça m’a donné confiance. On a marqué peu de temps après ça. Même le 10 zimbabwéen, Khama Billiat, ne s’est pas retrouvé dans ce contexte. Le coach m’a sorti à un quart d’heure de la fin. On a enchaîné avec les tirs au but. Quand on tire, le stade est calme. Quand c’est Mamelodi, ça hurle ! On a raté, eux aussi. Zakri était le quatrième tireur. Il a manqué. Le dernier tireur était l’autre ivoirien, Bangaly. Il a envoyé dans les tribunes !
Place alors à votre double confrontation contre l’USMA d’Alger, un gros morceau là encore.
Oui, la semaine d’après, c’était déjà la demi-finale aller. Le championnat était reporté. On part en Algérie pour affronter l’USMA du super joueur Darfalou. On a été bien reçus. Le jour du match, les supporters nous montraient les doigts pour indiquer le nombre de buts qu’on encaisserait. On avait vu des vidéos de l’USMA. On savait que ça bougeait, qu’il y avait des joueurs devant de qualité et que ça marquait beaucoup. Jusqu’à la dixième minute, on a pu développer du jeu. Mais après, impossible ! Ca a été un match compliqué mais on n’a pas encaissé, Dieu merci. Le latéral gauche envoyait des centres, comme un lance-roquettes. Leur 10 m’a épaté. Mais la tactique du coach a fonctionné, on ne s’est pas découverts et on a géré. J’ai joué 75 minutes. Je savais qu’on les éliminerait.
La préparation du retour a été compliquée, non ?
A ce niveau-là, la tension était extrême entre les joueurs, les encadreurs, les dirigeants… Certains pensaient qu’on n’y arriverait pas. Il y a eu aussi le problème de la prime. En début de semaine, c’était chaud au vestiaire. Les joueurs voulaient la prime. C’était très tendu. Mercredi soir, le président vient nous trouver à l’hôtel. Réunion. Il a interrogé chacun : « qu’est-ce que je te dois ? » C’était houleux entre les joueurs et lui. Le président s’est levé et il est parti en colère. Le coach l’a supplié de revenir. Le lendemain, les joueurs ont reçu l’argent. A l’entraînement, si tu touchais un joueur, le coach t’engueulait. C’était chaud deh ! Le coach a aligné une équipe 100% marocaine pour le retour. J’étais sur le banc avec un autre Ivoirien, Ouattara. On a vite marqué. En seconde période, on a doublé la mise. On a eu un joueur expulsé après l’heure de jeu, à 2-0. L’USMA a commencé à nous dominer. On encaisse un but (2-1). On a été libérés grâce à un but en contre à la dernière minute. Ouf !
Et vous voilà aux portes de votre deuxième finale de l’année, après celle en Coupe nationale !
Nous voici effectivement en finale, contre le Ahly du Caire. On entend que le Ahly a gagné 6-2 contre l’Etoile du Sahel en demie. Ouh la la ! On s’est déplacés en Egypte avec notre nourriture et notre eau. On n’a rien touché de ce qu’on nous apportait ! L’atmosphère était malgré détendue, même à l’entraînement. Quand le match a commencé, on a encaissé dès la 2e minute, sur une combinaison. J’étais sur le banc. Mais j’étais confiant, on avait du répondant. Sur un centre d’Ounajem, égalisation de Bencharki sur une tête. C’était fini, le Ahly a commencé à douter. Le public a perdu la voix, ça les a assommés. Bencharki marchait sur leur défense. Je suis rentré dans le dernier quart d’heure en pointe pour soulager Bencharki. Ca s’est terminé sur un nul 1-1.
En finale, j’ai coulé des larmes de joie
Le retour à Casa a été un grand moment pour le WAC et vous…
La finale retour s’est jouée chez nous. Depuis le début de la campagne, le WAC gagnait chez lui. Mais là, c’était le Ahly, il fallait se méfier. On a entamé dans un bon climat, sans tension, avec confiance. On réussissait nos gestes à l’entraînement. Le jour du match est arrivé. Le coach nous a dit : « Vous êtes à un pas d’entrer dans l’histoire du club et de votre pays. A partir de là, vous ne serez plus vus comme les petits joueurs du WAC. Pensez à ça et donnez tout ! » Même 0-0, on savait qu’on serait champions. On dominait un peu et puis en deuxième mi-temps, centre de Bencharki pour la tête de Karti (1-0). Fin du suspense, un but comme une délivrance, à un quart d’heure de la fin. Quand on a marqué, le coach a effectué un changement défensif. J’ai coulé des larmes de joie. Ce n’était pas prévu que je devienne champion d’Afrique si vite. Je remercie le Bon Dieu pour ça.
Et la Coupe du monde des Clubs ?
Il y avait la fatigue mais on ne s’est pas préparés comme les autres équipes. Il fallait gérer les blessures, la fatigue en championnat. On est partis trois jours avant la compétition aux Emirats. Ca a été une très belle expérience quand même. Jouer Pachuca… C’est un club qui aspire à être parmi les meilleurs du monde. Urawa Red Diamonds du Japon, c’est encore un autre niveau. Les pelouses là-bas… Tout était fantastique, de l’hôtel au terrain. Je me suis dit, « Ah c’est comme ça les évènements FIFA ? » Ce sont des choses comme ça qui ont poussé les choses à partir à l’étranger pour vivre des moments comme ça.
Sur la scène nationale, vous avez un peu marqué et surtout, vous avez rejoint le Racing Casa en prêt récemment…
J’ai joué et marqué trois buts en Botola, et depuis, je suis prêté au Racing Casablanca qui m’a bien accueilli. C’est un défi, un challenge. Le président m’a dit : « Daho tu vas m’aider à maintenir mon club ! » C’est un challenge que je veux relever. Si on réussit ça, je serais très heureux. J’ai vécu tellement de choses en moins d’une année.
On ne parle pas beaucoup de vous dans votre pays…
Je suis quelqu’un de discret, même si j’ai des photos, des vidéos. Mais c’est vrai, je ne fais pas parler de moi au pays. Je ne cherche pas à être exposé. En Côte d’Ivoire, je suis suivi malgré tout par certains médias comme Abidjan Sports. J’ai même arrêté mon Instagram. Mon objectif personnel ? J’espère marquer une douzaine de buts. Je veux que mon nom soit scandé. Après, il y a l’Europe que j’ai encore dans le cœur et dans la tête. Si Dieu m’a envoyé ici, c’est que je suis comme en formation avant de pouvoir partir là-bas.
A Casa, vous avez développé une belle amitié avec un local, qui vous accompagne partout. C’est rare !
C’est plus qu’une amitié, c’est la famille. Il est mon parent, mon papa, mon frère, mon ami et confident. On fait un. Je l’ai connu pendant l’été. On cherchait un taxi pour aller manger africain. J’étais énervé et on ne trouvait pas de taxi. Il a klaxonné et m’a dit : « Daho, viens voir. » Il a garé sa voiture et il m’a accompagné avec un ami. Il nous a déposé et m’a donné sa carte de visite. « J’ai un pressing, envoies moi tes habits. Je vais t’aider. Appelle-moi ». C’était la première fois que quelqu’un était si généreux. SI mes parents viennent ici, je le présenterai lui et sa femme comme mes parents. »
Propos recueillis par @Fayçal Chehat et @Samir Farasha, à Casablanca