C’est à Poissy, où il a été scolarisé enfant et où il a grandi avant de débuter sa carrière pro à Valenciennes, que Nordine Kourichi, l’ancien adjoint de Vahid Halilhodzic, a posé son baluchon cet été. Après une année sabbatique faite de voyages et de repos, l’ancien roc de la défense des Fennecs pendant sept ans a accepté, pour 2022mag, d’ouvrir la boîte aux souvenirs. Une rencontre exceptionnelle, tout en sincérité et en pudeur, au cours de laquelle ce passionné d’Afrique n’a éludé aucune question.
« Nordine, quand vous pensez aux moments forts de votre carrière, à quoi pensez-vous, spontanément ?
A la Coupe du monde 1982 forcément, la première que l’Algérie ait disputée. On était une jeune équipe construite quelques années auparavant. C’est l’Espagne, la CM, et les trois matches contre l’Allemagne, l’Autriche et le Chili. Espagne 82, c’est la première image et la première satisfaction que j’ai, la récompense de toute le travail effectué ici, à Poissy quand j’étais plus jeune. En 1982, l’Algérie a été confrontée à l’ogre du football européen et mondial, une équipe invaincue.
Dans quelles circonstances avez-vous rejoint les Fennecs ?`
J’ai été stagiaire pro puis pro à Valenciennes avant de signer à Bordeaux. Et en 1981, l’Algérie m’a appelé pour disputer les éliminatoires de la CM 1982. Je n’ai pas hésité. Je savais que cela ferait aussi très plaisir à mon père qui était très sportif et surtout très attaché au pays même s’il était arrivé en France pour travailler en 1949.
Qu’est-ce que vous a dit votre père ?
C’est quelqu’un qui parlait peu. Je le compare un peu au père de Zinédine Zidane. C’était quelqu’un d’une grande humilité et d’une grande gentillesse. Il était mineur dans le Nord, c’est pourquoi je suis né à Ostricourt avant que nous nous installions ici, à Poissy, quand j’ai eu trois ans.
Rejoindre la sélection, en discutiez-vous avec les Algériens de France, à cette époque ?
J’avais de très bonnes relations avec Mustapha Dahleb que j’ai toujours apprécié et admiré. Mais ce que j’avais envie de vivre, c’était un Mondial. Je me souviens dans la cité Beauregard, à Poissy, en 1970, je me souviens de la CM au Mexique. La télé était en noir et blanc mais les matches étaient diffusés tard, et je n’avais pas le droit de les regarder car j’avais école le lendemain matin. Je me cachais sous la table pour les suivre.
A Bordeaux, vous n’étiez pas le seul, en plus…
J’ai effectivement conservé une photo où nous sommes tous réunis : il y a les Français Bracci, Giresse, Girard, Trésor, Tigana, Soler, Lacombe plus le gardien yougoslave Pantelic et moi. J’ai accompli une belle saison là-bas où j’ai connu un prédident, Claude Bez, exceptionnel. Un homme simple d’une grande sincérité. Il n’y avait que la parole qui comptait. Mais le président qui m’a le plus marqué, cela reste Arthur Pouille, à Valenciennes.
Pour quelle raison ?
Après chaque victoire, il rapportait dans un panier d’osier du Picon bière, de l’apéritif, pour offrir en guise de victoire. Cela n’avait rien à voir avec le haut niveau.«
En 1982, nous avions réussi à donner 20 millions de sourires
Pour revenir à l’épopée d’Algérie 1982, avez-vous le sentiment d’avoir participé à quelque chose d’extraordinaire en révélant le talent d’une équipe et d’un pays à la face du monde ?
Oui, parce que l’Algérie était un pays jeune, une jeune équipe, à l’image des Assad, Belloumi et Madjer. Je ne les ai découverts qu’en rejoignant l’équipe, contre le Soudan, le Nigeria. Tout ça, ce sont des moments qui m’ont marqué et ont balisé ma carrière. C’est le moment où est née cette grande aventure. Battre l’Allemagne de l’Ouest, ça a été la plus grande émotion de mon début de carrière. Il y avait 20 millions d’Algériens à l’époque, et je crois qu’on a réussi à donner 20 millions de sourires.
Quand on vit quelque chose d’aussi fort, cela crée –t-il un lien particulier avec les coéquipiers de l’époque. Que reste-t-il d’ailleurs de tout ça ? Non. Il ne reste rien, je le dis franchement et je le regrette… J’aurais pensé, j’aurais aimé, qu’on puisse faire comme en France, en créant ce club des anciens internationaux. Cela a existé, à un certain moment, sous l’égide d’Ali Fergani, pendant quelques années. C’était un moyen de se retrouver. Je fais partie d’une association humanitaire et j’ai demandé à Lakhdar Belloumi de venir jouer un match ici à Paris, il l’a fait spontanément. Je suis aussi toujours en rapport avec Mouss Dahleb et Ali Fergani, sans oublier Faouzi Mansouri, qui vit à Montpellier.
Pour nombre d’entre vous, héros de 1982, l’apothéose a été manquée de très peu à l’occasion de la CAN 1984 en Côte d’Ivoire. La seule que vous ayiez disputée en tant que joueur, et qui vit certainement la plus belle équipe d’Algérie contemporaine s’exprimer…
1984, je ne suis pas prêt de l’oublier. Et je vois que vous avez le même ressenti que moi. Ah, cet Algérie-Cameroun en demie.. On avait une technique tout en vitesse. Il y avait aussi des joueurs qui sont arrivés et ont apporté un plus. 1984, c’était encore avec Mahieddine Khalef. J’ai eu la chance de jouer dans cette équipe qui malheureusement, n’a pas été titrée. On a eu la reconnaissance en tant qu’équipe formidable à regarder.
Il y a quand même eu une breloque en bronze, récoltée grâce à votre troisième place. Où est-elle ?
A la maison ! Il y a gravé derrière CAN 1984, Bouaké, Côte d’Ivoire. Ce ne sont que des bons souvenirs. On avait découvert Alpha Blondy aussi.
Après 1982 et 1984, vous avez enchaîné avec le Mondial 1986 au Mexique, seize ans après vos rêves d’adolescent…
Moi, quand on s’est qualifié pour cette deuxième Coupe du monde, je pensais qu’on allait réussir quelque chose. Parce qu’en 1982 et 1984 on avait la qualité et le talent, mais pas d’expérience. On avait pris une claque en demie de la CAN 1984 en étant sortis aux tirs au but mais on s’était dit : terminé ! En 1982 on sort par la grande porte mais on est déçus. En 1984, pareil. Alors, en 1986, on se dit qu’il faut faire quelque chose. On avait eu deux ans d’expérience et de maturité supplémentaires. Malheureusement, j’ai été très déçu de la façon dont on s’est préparé. Et comment on a été préparés.
Expliquez-nous ça…
La responsabilité est celle des joueurs. On n’a pas travaillé lors du stage de Crans-Montana. Rien du tout. On est arrivés au Mexique avec une préparation physique qui n’était pas bonne. Ca s ‘est vérifié un peu contre l’Irlande du Nord où, sous une grande chaleur, on avait fait 1-1. Mais l’Algérien est toujours imprévisible. Et on fait un grand match contre le Brésil.
Un autre souvenir impérissable !
On perd 1-0, mais on ne mérite jamais de perdre. On a eu plein d’occasions dans ce match et ça aurait pu faire 3-1, 4-1 à la mi-temps ! Finalement, on s’incline d’un but. Et on a craqué contre l’Espagne, à cause de la préparation physique qui fut catastrophique, et je maintiens mes mots. On sort par la petite porte. Je m’attendais à mieux dans la mesure où cette génération avait quatre ans de maturité en plus. Ma carrière internationale s’est terminée là. Après la défaite 3-0 contre l’Espagne, j’ai annoncé que j’arrêtais, je ressentais beaucoup d’amertume. J’étais à Lille et il me restait un an de contrat. Je laissais ma place à Fodil Megharia qui arrivait.
La deuxième partie de votre carrière s’est accomplie, elle aussi, dans le football. Mais sur un banc. Comment ça vous est venu ?
J’étais trop passionné par le football. Quand je me réveillais le matin, je me disais que je faisais le métier le plus merveilleux au monde. J’ai beaucoup observé Aimé Jacquet et ce qui me plaisait c’était sa pédagogie, sa gestion humaine. Je me suis inspiré de ça. En 1989-90, j’ai décidé de passer mes diplômes à Clairefontaine et c’est Aimé qui a signé mon DEF quand il était directeur technique national ! Il m’a permis de côtoyer de grands joueurs à Bordeaux. Et comme entraîneur, je me suis imprégné de sa façon de faire auprès des joueurs.
En 2011, vous revenez dans le giron de l’équipe nationale, en tant qu’adjoint de Vahid Halilhodzic. Ca ne se refuse pas, cet appel…
Déjà, j’ai toujours eu envie de revenir auprès de la sélection. Malheureusement nul n’est prophète en son pays. Si j’ai vécu cette aventure (2011-2014), c’est grâce à Vahid, qui m’a imposé comme adjoint. Et pourtant, j’avais été son ennemi pendant des années en D1 lorsque nous étions joueurs ! Pendant dix ans, on s’était fracassés. C’est pourtant lui qui m’a contacté un jour et demandé de venir auprès de lui.
Un « ennemi » amical, alors !
On s’est vus à Paris au Concorde Lafayette en juin 2011 pendant trois heures. Voilà, je vais signer trois ans, veux-tu venir avec moi ? On n’était pas en contact pourtant. Peut-être qu’il savait que j’allais l’aider dans cette aventure. Et puis, ce que j’avais fait en tant que joueur de la sélection, je voulais le refaire en tant qu’entraîneur. Ca a été une ambition forte.
Parlez-nous de votre binôme avec Vahid…
Vahid était le feu, moi j’étais l’eau. Ca s’est fait naturellement, tout ça. Vahid, c’est une grande personnalité. Beaucoup de caractère et de rigueur. Moi, je devais faire passer le message. Par moment, il fallait être rigoureux. Avec les joueurs, « la carotte et le bâton », ce n’est pas qu’un slogan ! Que ce soit en équipe d’Algérie ou avec mon club de Poissy.
Mondial 2014: se retrouver là 32 ans plus tard,avec cette génération, contre l’Allemagne…
La Coupe du monde 2014 a transformé l’Algérie en puissance numéro un en Afrique et dans le monde arabe. Avec le recul, avez-vous le sentiment d’avoir vécu un truc exceptionnel ?
Il y a quelques jours, quelqu’un a mis sur les réseaux sociaux que j’étais le seul joueur arabe à avoir fait trois Coupes du monde. Et la personne a écrit : « fier de ta carrière ». Je me dis est-ce que je vis dans la réalité ou dans un rêve ? Jamais je n’aurais cru détenir ce record, si symbolique. J’ai accompagné une génération sur une finalité, le dernier match de la CM au Brésil, contre l’Allemagne. Un pays que j’avais affronté comme joueur. Se retrouver là 32 ans plus tard… Aujourd’hui, j’analyse mieux les choses que sur l’instant.
Vous avez côtoyé un grand serviteur de la sélection, Madjid Bougherra. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur lui ?
Humainement, c’est un leader. Un leader dans la semaine. Quand on était rassemblé pour les matches internationaux, il était notre relais. Quand il fallait faire passer un message délivré par Vahid, je partais le voir dans sa chambre, qu’il partageait avec Mehdi Lahcen. Je restais toujours à échanger pendant un quart d’heure.
Retournons maintenant aux sources, avec Poissy, que vous avez rejoint cet été. Pourquoi cette nouvelle aventure après avoir vécu tout ça avec El-Khedra ?
C’est ma première saison. L’équipe est montée en CFA au printemps dernier avec Thierry Boquet. Moi, après la Coupe du monde, j’ai pris une année sabbatique. J’ai réfléchi à ce que je voulais faire, j’ai voyagé. Je suis parti au Qatar, j’ai fait le consultant sur Al Jazira, je me suis occupé de mon association humanitaire, Union Sport Sans Frontière et Humanitaire (USSFH), basé à Tremblay en France, qui a pour but de rapporter des médicaments pour les enfants atteints du cancer. Après, il a fallu que je me décide.
Des offres pour retrouver un banc ?
Oui, j’avais quelques propositions pour entraîner deux équipes nationales africaines. J’ai préféré un autre projet. L’agent qui m’a mis sur cette route-là m’a mal aiguillé. Donc, sans regret. Gérard Soler, qui est toujours conseiller du président de Poissy – tout en étant directeur sportif du WAC de Casablanca – m’a appelé, sans oublier le maire Karl Olive. Comme Gérard, j’ai grand ici. Alors, je suis venu boucler la boucle. Peut-être.
C’est à dire ? J’ai repris la compétition depuis deux mois et demi et franchement, je suis mieux dans ma tête. Plus heureux. Je pars le matin avec beaucoup d’enthousiasme et d’envie. Le travail que je fais ici et ce que je faisais en sélection, c’est exactement le même. Préparer des joueurs avec des exercices techniques, gérer des hommes, c’est la même chose. Mes joueurs s’entraînent quatre ou cinq fois par semaine, tous les matins. Je dispose d’un adjoint, d’un préparateur physique, d’un ostéopathe, de deux dirigeants. L’objectif, c’est de viser le haut de tableau. Je savais qu’il fallait rester dans l’exigence. La programmation est différent d’une sélection mais l’investissement est le même.
On est presque étonné de vous retrouver en club, ici, plutôt que d’aller au Qatar ou en Algérie…
J’ai des clubs, via les agents, qui m’appellent pour retourner en Algérie mais je ne suis pas intéressé. Je préfère 100 fois être ici à Poissy, où on me donne les moyens de travailler professionnellement pour faire progresser les jeunes.
Même à distance, vous restez un amoureux de la sélection. Que prédisez-vous comme destin à cette génération que vous connaissez très bien ?
Après le Brésil, on a laissé un héritage avec des joueurs jeunes comme les Bentaleb, Brahimi, Mahrez, etc. Elle a été sur le toit du monde en 2014. J’espère que le sélectionneur va se reposer sur cette génération-là. L’Algérie a un joli héritage, et ce groupe de joueurs a cinq six ans à vivre ensemble encore, je pense. Et être en mesure d’aller chercher une CAN. Ce groupe a la possibilité de se qualifier pour un Mondial. Concernant la CAN, et j’en ai vécu une autre sur le banc, je pense qu’il est plus difficile d’y jouer un rôle avec nos joueurs.
L’Algérie peut le refaire avec du vécu
Pourquoi ?
C’est un problème de style de jeu. A la CAN 2015, on n’a pas été bons, on n’a pas fait du jeu même si on a été en quart. En 2013, nous n’avions pas passé le premier tour avec Vahid ! Une CAN avec l’Algérie, c’est souvent difficile car on tombe sur une adversité trop combattive et moins joueuse. A mon sens, c’est plus fermé et il y a plus d’agressivité qu’en Coupe du monde. Il y a plus de duels et moins de jeu. L’Algérie, si on veut la mettre en difficulté, « debza ». La guerre, la bataille ! L’Algérie, je la vois se qualifier avec son vécu. Elle a fait quelque chose de bien sans expérience, elle peut le refaire avec du vécu.
Il y a peu, Christian Gourcuff, le sélectionneur algérien, s’est fâché publiquement, après un match de la sélection. Comment avez-vous perçu cela ?
Christian Gourcuff est un homme intelligent, courageux, venu apporter ses idées. J’estime que les médias ont un travail à faire, OK. Mais pour moi, les limites ont été dépassées. Si j’avais modestement un petit conseil à lui donner, ce serait de vivre avec ses idées et de les mettre en place. Tout en laissant une certaine presse parler. Mais un entraîneur a aussi besoin d’être soutenu.
Au fait, quant était-ce, la dernière fois que vous avez échangé avec Vahid ?
Ca fait très longtemps… On s’est parlé au téléphone. Après le retour du Brésil, il avait pris Trabzonspor en Turquie. J’ai des contacts surtout avec Cyril Moine, le préparateur physique.
Fâché ?
Non. Professionnellement éloigné. IL est au Japon, dans une équipe où il se retrouve. C’est un challenge qui lui correspond.
Parlez-nous de votre Algérie. Une ville, un village, un quartier ?
Non. Mon Algérie à moi, c’est le 5-Juillet. J’y ai joué le Real Madrid, la Juventus, les clubs brésiliens, etc. On a fait des matches devant 100 000 spectateurs. Quand je vois que cette génération ne veut plus jouer au 5-Juillet… Peut-être que le public algérois est plus difficile que celui de Blida ? Je trouve ça regrettable et je ne comprends pas. On a un stade rénové. C’est là qu’on vivait, il y avait des chambres où on logeait, salle de restaurant. Nos matches, on les préparait là.
L’Algérie de vos parents alors ? C’est l’ouest, Tlemcen, Nedroma, Razaouate, la frontière maroco-algérienne. C’est la montagne. DE l’autre côté, il y a le Maroc, un pays que j’aime aussi. J’y ai un grand ami, Krimau.
La Ligue des champions d’Afrique oppose, comme l’an passé, un club congolais (TP Mazembe) à un Algérien (USM Alger). Votre pronostic pour cette double confrontation : qui succédera à l’ES Sétif ?
Je pense que l’USMA a tout pour réaliser une belle performance à domicile. On sait que parfois les matches retour sont compliqués. Si l’USMA fait le boulot, 2-0 par exemple, elle est capable de se transcender au retour en RDC.
Votre dernier mot ?
Je suis très fier d’avoir accompli tout ce que j’ai vécu, comme joueur de club, à Valenciennes, Bordeaux, Lille. J’ai aussi vécu trois Coupes du monde. C’est pas mal, non ? Au plan humain, j’ai connu un continent, l’Afrique, que j’adore. Des pays merveilleux que j’ai eu ensuite la chance de connaître avec les Black Stars ou lors de jubilés. Je me sens bien en Afrique et j’ai envie plus tard, d’y aller pour de l’humanitaire. On ne s’attend jamais à ce que va être mon destin. Et le mien m’a donné ce que j’aime le plus : me réveiller en me disant, je vais être sur un terrain de football. Je sais que mon père, qui est décédé en 2012, peut être fier de tout ça. »
@Samir Farasha