Deuxième partie de l’entretien que nous a accordé le sélectionneur de la Palestine, actuellement confiné en France. Après avoir évoqué les avancées mais aussi les blocages de la sélection, le coach Ouldali parle de son groupe actuel, mais aussi de son métier, ses influences, sans oublier son admiration pour son confrère et compatriote Djamel Belmadi. Une exclusivité 2022mag.
« Coach, on continue de s’intéresser à votre équipe nationale, et au nul contre les Saoudiens ainsi que la victoire sur l’Ouzbékistan…
On était à domicile donc on a peu les préparer dans de bonnes conditions. Dans un contexte « familial » si je puis dire. L’équipe était très concentrée. On a eu le temps sur ces deux matches et le mental pour les préparer. Voilà pourquoi on a réussi à maîtriser ces deux grandes sélections. Cela reste à ce jour des résultats historiques pour l’équipe nationale palestinienne. C’est ce que j’ai dit aux joueurs : on a fait quelque chose de grand… chez nous mais pour faire quelque chose d’encore plus grand, il faut savoir voyager et rapporter des points en déplacement. C’est à ce prix qu’on sera connus et reconnus dans le football.
Quels sont vos cadres actuellement en sélection ?
J’ai deux bons gardiens de but, Rami Hamadeh et Toufic Ali, c’est la génération de 1990-94. Je peux aussi m’appuyer sur Musab Al-Battat et Abdallah Jaber en défense. J’ai actuellement un cadre blessé, Ahmad Salah (Al Masry Port-Saïd, EGY). Quant à Abdelatif Bahdari (36 ans), il termine sa carrière internationale. Mohamad Darwish, Ahmed Bassim, Odai Kharoub, Nazmi Badawi (North Carolina, USA) et Tamer Seyam (HUSA Agadir, MAR) font également partie de ce groupe. On a aussi beaucoup de petits jeunes que j’essaie de lancer dans la compétition. Ils représentent l’avenir de l’équipe nationale.
Est-il toujours aussi compliqué de les faire venir ou de voyager avec la sélection ?
Effectivement, je n’ai pas vraiment évoqué les difficultés liées à l’occupation. Mais il est difficile de faire entrer des joueurs, surtout ceux basés à Gaza. C’est un grand problème pour moi. Si je les convoque, ils ne peuvent pas venir. Ou alors, très difficilement, parfois à la dernière minute. Bref, le problème existe toujours malheureusement, essentiellement pour les garçons de Gaza.
En tant qu’entraîneur et sélectionneur, quelles sont les particularités/difficultés d’entraîner une sélection comme la Palestine ?
Déjà, c’est un plaisir d’entraîner cette sélection malgré les difficultés. Je pense qu’aucun sélectionneur au monde actuellement ne les rencontre ! On peut inventer avec cette équipe le management de l’exception, le management de l’inconnu, le management des choses invisibles qui peuvent nous arriver. Quand on prépare nos échéances, on est en prise avec beaucoup de questions. On prend des marges immenses. On ne sait jamais où on va arriver en vols. Est-ce que le pont Allenby (King Hussein Bridge, qui matérialise la frontière entre la Jordanie et la Cisjordanie, NDLR) sera fermé ? Beaucoup de questions à chaque fois. Aura-t-on les quatorze meilleurs cadres de la sélection ? Est-ce que, sur une liste de 35 présélectionnés, aurais-je 18 ou19 joueurs ? Du coup, je pars toujours avec 30% d’inconnu du fait que le pays soit sous occupation. Voilà pourquoi je fais un management de l’exception.
Quel regard portez-vous sur le métier d’entraîneur actuel ?
Contrairement aux années précédentes, l’entraîneur est trop visible maintenant. Il y a beaucoup de pression sur ses épaules. Le coach actuel est devenu plus un manager qui doit maîtriser toutes sortes de paramètres. Le métier de technicien, c’est du coaching d’êtres humains, d’une structure. Maintenant, il faut aussi gérer ses adjoints. Tout gérer. Pour réussir, il faut être un « patron » au sens strict du mot !
2022mag vient de consacrer une série autour des grands techniciens du football arabe. Quels sont vos références occidentales ou arabes justement à ce poste ?
Déjà, cela fait plaisir de lire sur votre site l’historique des grands techniciens arabes. Me concernant, quand j’ai commencé enfant, je m’intéressais d’abord à l’Algérie. L’époque de l’Algérie 1982, celle de Khalef et Mekhloufi, Saadane aussi. L’Algérie, plus près de nous, a fait appel à quelqu’un comme Belmadi, immédiatement sacré champion africain. Je le considère comme une sommité dans le monde arabe. Au niveau arabe, il y a une nouvelle génération, Belmadi en tête. Adel Amrouche, etc. J’aime leur façon de travailler, leur approche.
Et en Europe, quelles sont vos influences ? Qu’est-ce qui vous intéresse ?
Le football italien m’a toujours inspiré, depuis 1982. Les techniciens transalpins ont balisé mon travail. J’ai également un petit clin d’œil à adresser à Aimé Jacquet en 1998, qui a inspiré Didier Deschamps lors de la dernière CDM en Russie. Actuellement, je m’intéresse à Zidane avec le Real Madrid et son football classique. Je suis aussi Guardiola et son tiki taka. La nouvelle tendance créée par Jürgen Klopp et le Gegen-Press, le pressing très haut. Le foot pratiqué par Diego Simeone, où il faut un grand mental pour être costaud défensivement. Ce sont des entraîneurs qui savent appliquer leur philosophie.
Comment expliquez-vous l’impatience des dirigeants dans les pays du Golfe et en Afrique du Nord + Egypte, qui n’hésitent pas à virer au bout de quelques matches ?
Malheureusement, c’est devenu une tradition. Cela peut être lié à un manque de vision de la part des dirigeants, qui ne voient ni le moyen ni le long terme. Ils suivent la vox populi. Les gens sont trop pressés, ils ne savent pas être patients. Or, le football requiert de la patience, quand on veut réussir un projet sportif. On ne peut de toute façon tracer des objectifs qu’en formant, ce qui demande du temps. Mais il n’y a pas cette patience et l’on suit le discours des supporters, surtout quand les résultats tardent après quelques matches. C’est monnaie courante hélas dans nos pays…
Quels sont vos objectifs dans la carrière ?
Mon objectif, c’est de réussir tout ce que j’entreprends. Donner aussi du plaisir aux supporters en fait partie. Aujourd’hui que je possède le diplôme UEFA Pro, si je peux entrer et m’imposer dans le gotha européen, ce sera en accord avec ce que je me suis fixé.
L’Europe et le football pro français en font-ils partie ?
Exactement. Mes futures recherches seront dans le football français, francophone et européen. J’espère avoir cette chance-là d’entrer dans ce football. Ma formation s’est faite en France pour les premiers diplômes. Il n’y aura pas de problèmes d’adaptation !`
Vous avez récemment décroché l’UEFA Pro en Belgique. Pourquoi là-bas ?
En 2017, j’ai demandé à la fédération de solliciter des fédérations européennes afin de passer l’UEFA pro. La Belgique a répondu favorablement. J’ai donc préparé ce diplôme en Belgique. J’en profite pour remercier chaleureusement mes encadreurs, dont Chris Vanderhagen et Adel Amrouche qui m’ont vraiment aidé à valider cette formation.
Un dernier mot sur l’Algérie et son sélectionneur, Belmadi, que vous avez déjà évoqué. Peut-elle être la belle et grande surprise de la prochaine Coupe du monde ?
Il faut effacer ces barrières mentales qu’on a, nous, les Maghrébins. Les joueurs ont les qualités, ils évoluent dans de grands championnats. Belmadi, c’est quelqu’un qui a fait une grande recherche, il a beaucoup travaillé sur l’historique de la fédération. On s’est croisés quand il a pris en charge la sélection. Il a réussi à créer un équilibre technique. Cette réussite s’est faite grâce à une grande discipline, tactique notamment. La façon de défendre, d’attaquer. Il a redoré le blason du football algérien. On a trouvé notre propre football, plus dans la réaction ».
Propos recueillis par @Samir Farasha