En hommage à Pape Diouf décédé mardi soir à Dakar du coronavirus, 2022mag a décidé de partager le long et passionnant entretien que l’ancien président de l’Olympique de Marseille avait accordé en octobre 2005 à notre directeur de la publication qui était à l’époque le rédacteur en chef du magazine Foot-Africa Deuxème partie . Pape Diouf, le président.
En quelques semaines vous êtes passé de l’ombre à la lumière. L’agent oeuvrait dans les coulisses, le manager d’un club comme l’Olympique de Marseille, lii est constamment sous les sunlights.Avez-Vous redouté ce changement ? Pape Diouf : Non. Comme agent aussi j’étais exposé. Je rencontrais tous les acteurs du football professionnel. Les joueurs bien sûr, mais également les dirigeants et journalistes. En devenant manager, je suis passé de l’autre côté du bureau. Ce qui change c’est la responsabilité. Une lourde responsabilité. Parce qu’il s’agit de football, l’attente du peuple de Marseille est très grande. Concernant mon comportement, j’ai le sens de la mesure et je ne me prendrais jamais pour quelqu’un d’autre.
N’empêche, votre arrivée à l’OM a suscité quelques remous et a été accompagnée de commentaires acerbes. Comment avez-vous vécu ces moments-là? (Tranchant).D’abord, il faut préciser que ces réserves ont émané principalement d’un seul dirigeant: Jean-Michel Aulas pour ne pas le nommer.La vérité est que le président de l’Olympique Lyonnais redoutait de me retrouver face à lui comme dirigeant. Il avait sans doute peur de voir certains joueurs brillants ne plus céder à ses avances. Ses piaillements offusqués ne m’ont guère ébranlé. Devrais-je renoncer à changer de fonction dans le monde du football sous prétexte que j »ai été agent dans une autre vie ? Belle conception de la liberté d’entreprendre ! Monsieur Aulas n’a jamais été à une contradiction près. Je sais qu’il a été le premier à dire à Christophe Bouchet qu’il avait bien joué en me nommant. Selon lui, le football français a un grand besoin de spécialistes pour se professionnalise davantage.
Ce qui est certain, c’est que votre changement de statut a pris de court le petit monde du football. Aviez-vous planifié votre reconversion ? Surtout pas. Rien n »a jamais été planifié dans ma vie. Mon arrivée à l’Olympique de Marseille est le résultat d’un concours de circonstances. Alors que le club cherchait un manager, mon nom a circulé. Christophe Bouchet m’a alors officiellement sollicité. Des amis ont fait le forcing pour m’inciter à sauter le pas.Didier Drogba lui-même m’a fait comprendre qu’il serait heureux de me voir rejoindre la famille olympienne. Mais si j’ai fini par passer de l’autre côté du miroir, c’est aussi parce que je sentais depuis quelque temps que j’avais fait le tour du métier d’agent. Et puis, l’OM se refuse difficilement. C’est un sacré challenge.
Auriez-vous pu répondre à une autre similaire provenant d’un autre club ? (Catégorique) Absolument pas! Seule Marseille m’intéresse. Je vis dans cette ville depuis plus de trente ans. J’y suis chez moi. J’ai la chance d’en connaître toutes les facettes. Ici, je suis en terre connue. J’y ai des amis et des souvenirs.
Maintenant que vous avez changé de costume, quelles relations avez-vous avec vos anciens protégés? Des relations transparentes. Basées sur l’affection et l’amitié qui me lient à nombre d’entre eux. Je prends de leurs nouvelles. Ils prennent des miennes. Tenez, lorsque vous êtes montés dans ma voiture j’avais Laurent Robert au bout du fil. Nous avons parlé de choses et d’autres comme peuvent le faire deux bons amis. Devrais-je éditer une barrière entre moi et tous ceux que j’ai connu avant juin 2004?
Lorsque vous regardez dans le rétro, qu’y voyez-vous: Desobjectifs atteints et une vie bien remplie ? (Il prend son temps). Je dois à la vérité de dire que je n’ai jamais rien calculé. Et puis, je pense avoir eu plusieurs vies. J’ai été courtier, postier, journaliste, agent de joueurs. J’ai trouvé du plaisir dans tous ces métiers. Je ne fais jamais les choses à moitié.
Cependant, votre grande passion demeure le football ? Sans aucun doute.Déjà à l’école, alors que mes meilleurs copains excellaient en histoire, en géographie ou en sciences, moi je dévorais en cachette les journaux spécialisés tesl France-Football ou Football-Magazine.
Cette pratique « clandestine » vous a cependant orienté vers le journalisme ? J’avais 21 ans et je travaillais à la Poste. L’écriture n’était qu’un hobbie.Puis le destin me fit rencontrer un journaliste marseillais. Cet homme qui appréciait mon style m’incita à tenter ma chance dans la profession. C’est ainsi que je fis mes débuts dans le service des sports du quotidien La Marseillaise avant dee devenir quelques années plus tard le correspondant de l’hebdomadaire Le Sport. Voilà comment une rencontre change e cours d’une vie.
Laissons de côté, si vous le voulez, le journaliste, l’agent de joueurs et le dirigeant et parlons un peu de l’homme. J’aime cultiver la cohérence et la persévérance. Chez moi, le rejet de la médiocrité a toujours prévalu. Ce rejet est l’aiguillon qui a guidé ma vie. Je crois que l’on doit toujours faire ce que l’on est capable de faire en allant au bout de son énergie. Souvent, se contenter d’utiliser un talent – quand talent il y a – ne suffit pas. Pour réussir, quel que soit le domaine, l’homme n’a pas trouvé mieux que le travail. Les qualités que vous aimez chez les autres ? La loyauté et la conviction. Je respecte ceux qui ont des principes. Mais je respecte encore plus ceux qui admettent que le principe possède une contrepartie et qu’il n’est pas gratuit. Une contrepartie qu’il faut assumer le moment venu.
Avez-vous une idée de ce que vous aimeriez faire lorsque vous aurez fini de faire le tour des choses du football ? Renouer avec la vie intellectuelle. Reprendre l’écriture et transmettre aux jeunes mon modeste savoir-faire en enseignant le journalisme ou le management sportif.
Vous vivez en France depuis plus de trente ans, comment se manifeste votre africanisé au quotidien ? L’africanité est en moi. Elle est dans ma sensibilité aux événements, dans mes goûts culinaires, dans la qualité de mes relations aux autres, dans ma façon de relativiser le bonheur ou le malheur… Elle se manifeste également par mon attachement viscéral à l’Afrique. Je retourne aussi souvent que mon emploi du temps le permet.
À quoi occupez-vous le peu de temps libre que le football vous laisse ? La lecture est ma passion. Je dévoile tous les quotidiens et la presse magazine. En outre, je lis indifféremment des essais, des biographies, des ouvrages historiques et parfois des romans. En fait, je suis plus attaché à des auteurs qu’à un genre littéraire.Mon livre de chevet et « L’aventure ambiguë » du Sénégalais Cheikh Hamidou Kane.
Et la part de la musique ? Elle occupe une bonne place. En musique, ma passion est presque exclusivement africaine. J’aime les musiques d’Afrique de l’Ouest comme celles d’Afrique centrale. Je suis un bon client.
Vous avez un musicien préféré ? J’adore Youssou N’dour. Ce garçon es un symbole et un exemple pour tous les créateurs du continent. Il n’est peut-être pas le plus talentueux des musiciens africains, mais c’est un énorme bosseur. C’est un perfectionniste qui réalise de la belle ouvrage depuis vantants. Il n’est pas l’homme d’un tube ou d’une mode.
L’homme à la double culture que vous êtes admire-t-il une personnalité historique ou contemporaine en particulier? Je suis un fan de Cheikh Anta Diop. Je respecte infiniment son incroyable densité intellectuelle, la continuité dont il a fait preuve tout au ont de sa vie dans la conduite des ses combats pour la dignité de l’homme. Il n’a jamais accepté de vendre la moindre parcelle de son âme au diable. Jamais