« Patrice, bonjour ! Depuis environ deux mois, vous êtes de retour sur la scène du football africain… en club, puisque vous avez rejoint le Mouloudia Alger (MCA). Juste avant, vous aviez dirigé l’été dernier le groupe de l’UNFP, c’est-à-dire des joueurs en quête de contrat pro. Le fait de retrouver une activité quotidienne a-t-il pesé dans votre choix ?
Oui et non. Avant toute chose, je voudrais faire un petit retour dans le passé. Lorsque je termine la CAN avec la CIV, mon contrat est fini. Après le décès de mon président, je suis resté deux ans sans président à la tête de la FIF puisqu’un CONOR a été installé par la FIFA. Au final, je suis fier du travail réalisé.
On a remis en place une équipe compétitive avec de jeunes joueurs. On a eu plutôt de bons résultats. Il me tenait à cœur de boucler ma mission, même si je n’étais plus sous contrat, par les deux matchs que j’avais organisés, contre la France et l’Angleterre.
Derrière, le CONOR me propose de prolonger mon contrat jusqu’aux élections de la FIF qui avaient lieu un mois après mes matchs au Vélodrome et à Wembley.
Mais j’ai préféré être libre. Je ne me voyais pas prolonger d’un mois et attendre de voir, une fois les élections passées. J’ai dit non. Je savais que Idriss Diallo ne compterait pas sur moi.
Et je savais aussi que Jean-Louis Gasset serait mon successeur puisque je l’avais vu avec Ghislain Printant au Vélodrome lors du match contre les Bleus dans la tribune officielle auprès des Ivoiriens…
Avez-vous eu peur d’être oublié, de ne pas être sollicité rapidement ?
De suite après, une semaine plus tard, j’ai été sollicité par la fédération égyptienne pour prendre les Pharaons. Ca se joue à rien que ça se fasse.
Dans mon esprit pourtant, je voulais rentrer en France et patienter. Eventuellement reprendre un club en Europe ou aux Etats-Unis parce que je ne voulais pas avoir que l’étiquette d’un coach français d’Afrique des sélections.
J’ai fait beaucoup d’entretiens, à Dijon et ailleurs. Même pour l’Angleterre et la MLS, de mars à juin 2022. Ensuite je suis invité aux trophées de l’UNFP, qui doit me remettre un trophée UNECATEF – Coup du coach.
Les dirigeants de l’UNFP me proposent alors le poste d’entraîneur sur la saison estivale pour préparer les joueurs sans club. J’accepte. Ca a été une super aventure avec Pascal Bollini et Philippe Rossi.
Déjà, j’ai en approche des propositions en Egypte (Ahly, Ismaïli, Ittihad Alexandrie), le Bénin, la RDC. Le Mouloudia d’Alger me contacte via le président mais je n’ai pas encore fini ma mission avec l’UNFP même si c’est du bénévolat.
En toute honnêteté, je voulais rester en Europe pour prendre un club. Le Mouloudia prend Hadzibegic, les autres clubs prennent aussi des coachs. Et en septembre-octobre, je me retrouve dans l’attente. Du coup, je vais voir beaucoup de matchs de L1-L2.
Je postule dans tous les clubs qui changent de coach : Montpellier, Brest, Troyes, Auxerre, dont j’ai rencontré l’actionnaire principal. Je reste dans l’attente, la CDM au Qatar arrive. Et le Mouloudia revient à la charge.

La deuxième approche a donc été la bonne !
J’avais eu de très bons rapports avec le président Hadj Redjem qui a su me séduire. Ca s’est fait naturellement, et me voici de retour en Algérie onze ans plus tard ! J’avais envie de prendre un club pour m’éclater au quotidien sur un projet. Et pour que les gens puissent aussi me reconnaître comme un entraîneur à part entière.
Quand on entend les noms des clubs cités par vous, tels que le Ahly, il n’y a pas eu de regrets ?
Le contexte en avril-mai 2022, souvenez-vous ! Le Zamalek était proche du titre et le Ahly peinait. Le club avait changé d’entraîneur… Je ne les ai pas refusés. J’ai fait mes entretiens avec le Board et présenté mon projet. Je n’ai pas été retenu. *
J’étais très motivé pourtant d’aller au Caire avec mon staff, c’est le club du Siècle en Afrique ! J’étais à 200% partant là-bas. Je sais que j’ai parlé avec les bonnes personnes. Mais c’était une période compliquée, chacun était attaqué à ce moment-là. Il fallait trouver une solution pour stopper l’hémorragie.
Il y a maintenant le retour en Algérie. A la différence que vous revenez en numéro 1 et dans le club rival de celui que vous aviez connu, l’USMA…
Exactement. Il y a onze ans, j’étais à l’USMA où l’on avait connu de beaux derbys algérois contre le Mouloudia. Le fait que le Doyen soit le plus populaire d’Algérie a pesé. Important de rejoindre un club avec une pression mais avec une volonté de faire quelque chose.
Ce n’est pas le club numéro un en ce moment. A mon arrivée, le MCA n’était plus en Coupe nationale, ne faisait pas de coupe d’Afrique et jouait simplement une place sur le podium. Il n’a plus gagné de titre depuis 2015 je crois.
Ce qui m’a plu, c’est l’idée de bâtir, de remettre des fondations solides pour mettre en place une politique, afin que le club puisse briller les dix prochaines années. Contribuer à ça. Ce club est immense. Je vois la ferveur autour du MCA.
Le président m’a donné les clés du bateau pour une grande et belle traversée. C’est la SONATRACH qui est derrière. Le Président et moi nous parlons tous les jours. En près de deux mois, je suis plutôt satisfait de tout ce que j’ai mis en place, qui est la partie cachée de l’iceberg.
Qu’avez-vous mis en place exactement ?
A mon arrivée, et après avoir fait un petit audit, on me disait que les joueurs étaient SDF et naviguaient entre plusieurs sites d’entraînement. Il faut savoir que le club a investi dans un nouveau centre d’entraînement qui sera prêt à la date anniversaire du 7 août, à Zeralda.

OK, c’est l’avenir proche mais aujourd’hui, de mars à la saison prochaine, c’est important de ne plus être SDF. J’ai fait le choix d’un site.
On est à l’ESHRA, l’Ecole Supérieure d’Hotellerie et de Restauration, qui a un terrain synthétique. Il y a salle de muscu, gymnase, piscine, salle de récupération bain chaud-bain froid. Et puis, un lieu de vie pour nos joueurs.
A mon arrivée, j’ai ressenti qu’il n’y avait pas d’âme au sein de cette équipe. J’ai identifié un endroit à l’ESHRA, une grande salle. J’ai demandé à ce que cela soit aménagé. C’est tout bête.
Ont été affichés les portraits des présidents emblématiques, les photos de chaque joueur, des rideaux aux couleurs du MCA, des salons où les joueurs peuvent prendre café ou thé, manger des fruits, lire la presse.
On a aussi une salle de réunion où je peux faire mes séances et analyses vidéo. On a investi dans une salle de soins, avec du matériel médical à hauteur de 100 000 euros. On a des buts mobiles, des planches de rebond, etc.
J’ai revu le staff médical complètement, avec un médecin que je connaissais, on l’a étoffé. Je voulais aussi ici un lieu où le staff technique puisse se retrouver à vingt mètres du lieu de vie des joueurs. On a notre salle de réunion, un coin cuisine, on a investi dans les logiciels de suivi des joueurs.
Ca ressemble à une sacrée remise à niveau…
Les tâches de l’encadrement ont toutes été réparties. On a mis en place une permanence médicale. On avait un blessé, le petit Hamza Mouali (ex-Laval) qui avait un problème au cœur. On l’a envoyé chez Aspetar pour une contre expertise et ça y est, il peut rejouer.
Ca paraît anodin : les équipements. Que tout le monde soit vêtu pareil. Etre strict sur les horaires, on a mis des amendes dès que les joueurs sont en retard. On a évidemment adapté les entraînements pendant le mois de Ramadan.
Après les séances, on partageait le ftour ensemble. Mises au vert ensemble. Ca a été un mois et demi de travail de dingue. Chacun adhère au projet. J’ai demandé au responsable équipement de me faire l’inventaire de tout ce qu’il y a. On essaie d’optimiser pour avoir les meilleurs résultats possibles. Et cela m’a paru indispensable.
En tout cas, vous avez mis un sacré coup de pied dans la fourmilière !
C’est là où le Président m’a donné carte blanche. Les gens qui ne suivaient pas et n’adhéraient pas, il a fallu apporter de l’énergie nenvironouvelle. C’est être très exigeant. Les blessés arrivent avant, ils disposent d’une permanence médicale. Avant, les blessés on ne savait pas ce qu’ils faisaient !
Tu es payé par le club, tu es au club les jours d’entraînement. Donc il a fallu remettre tout le monde au travail. Aujourd’hyik, j’ai les ressources humaines et matérielles pour pouvoir optimiser le travail. J’en remercie le Président qui me fait confiance. Je prends plaisir à travailler au quotidien pour le MCA.
Avec qui travaillez-vous dans l’encadrement technique ?
Le message était clair vis-à-vis du président : je ne suis pas là pour virer des gens. Je prends les forces vives du club. A mon arrivée, il ne restait que le coach des gardiens, Fouad Cheriet, très compétent et Bouziane Cheikh qui a de l’expérience et a travaillé en Egypte et ailleurs comme prépa physique, plus Salim, le vidéo- analyste.
Je suis arrivé avec un adjoint, Saad Ichalalène (ex-PSG) que j’ai eu comme joueur à l’USMA en 2011. Je le voulais comme adjoint depuis longtemps mais il travaillait en Malaisie. Je dispose aussi de Frank Plaine qui a travaillé aux Orlando Pirates, en Zambie, en Ouganda.
Il bossait pour le groupe City à Troyes mais il a démissionné pour nous rejoindre. J’ai Olivier Cavailles, mon analyste de jeu, qui m’a suivi depuis la Côte d’Ivoire. L’objectif était de fonctionner avec eux mais pour la suite, le Président sait que plusieurs autres personnes pourraient me rejoindre. Je suis fier de l’encadrement complet qui œuvre pour le club.
Après environ deux mois, quel est votre ressenti ?
L’état des lieux, après deux mois, est le suivant : défensivement, on a la meilleure équipe du championnat. Il y a le CRB aussi qui a quelques matches de retard. On est très solides. C’est offensivement où on a l’avant-dernière attaque je crois.
J’ai l’impression qu’il y a un gros manque de confiance. Les joueurs ne tentent pas. Ils ne vont pas au bout de leurs actions. Cette grosse crise de confiance, je l’ai ressentie à mon arrivée, j’ai trouvé des joueurs touchés à ce niveau-là, qui ne tentaient plus rien. De peur peut-être de rater, d’être pris en grippe.
Mon plus gros chantier, c’est évidemment de maintenir cette solidité défensive, si l’on veut finir sur le podium, tout en améliorant l’aspect offensif. Sur sept matchs depuis mon arrivée, on a encaissé un seul but en amical. Surtout, on a fait trois victoires et quatre nuls.
On est dans une bonne dynamique et le groupe prend confiance. Reste l’animation offensive. Retrouver le plaisir de marquer des buts, c’est ce qui rend heureux le peuple. Tout ça entaché d’un arbitre qui reste moyen en Algérie.
C’est à dire ?
A Chlef, un but valable nous ait refusé pour un hors-jeu imaginaire… L’arbitre depuis a été sanctionné et suspendu. Contre le CSC au 5-juillet, il y a deux penaltys oubliés. L’arbitre a également été sanctionné et suspendu. Il y a un arbitrage qui doit progresser et cela doit passer par la VAR.
Que pouvez-vous nous dire de Koloina, la recrue malgache signée lors du CHAN en janvier dernier ?
Je l’ai fait jouer quasiment tous les matchs. J’ai parlé avec lui, c’est la première fois qu’il quitte Mada, il découvre le monde professionnel, une autre culture. Il a besoin d’adaptation. Il a de la qualité. Le plus important c’est que sa femme l’a rejoint depuis.
Il est très apprécié de ses coéquipiers. Mais le public est impatient. A lui de se le mettre dans la poche, en tant que joueur étranger. Je sens qu’il a tout pou rapporter sa percussion et sa vivacité. Il fait partie des joueurs encore timides. Qu’il se lâche un peu plus serait bien.
Le CHAN, justement, a offert un superbe visage du pays, sur le plan de ses infrastructures autant que sur la passion du peuple algérien pour le ballon rond…
La compétition a été disputée dans de superbes stades sur de supers terrains. CE n’est malheureusement pas le cas en championnat. On les joue dans des endroits parfois hostiles et cela change parfois la donne.
Ce que je dis aux instances du foot algérien : servez-vous de ces outils-là pour que le championnat soit à la hauteur. D’autres stades ont été construits ou sont en passe d’être terminés.
L’Algérien est un football doué mais tu nivelles vers le bas en jouant sur des terrains qui sont hostiles au football ! Si vous voulez que le foot algérien soit au niveau qui correspond au sien, il faut jouer dans des stades de foot où l’on verra du spectacle. C’est le plus important.
Revenons maintenant à l’objectif qui vous a été assigné : vous qualifier pour une Coupe d’Afrique. Est-ce envisageable ou très compliqué ?
C’est en tout cas le rêve qu’on veut rendre réalisable ! Le problème, c’est qu’avec tous les clubs engagés en Coupes d’Afrique (CRB, USMA, JSK), il y a énormément de matchs en retard. Aujourd’hui, mathématiquement oui on est dans le coup en occupant la 3e place.
Mais le plus important à mes yeux, c’est que les compteurs soient remis à zéro rapidement pour voir où l’on se situe. Si on arrive en juin et que certaines équipes comptent encore beaucoup de matchs en retard, la fin de saison sera aléatoire. Tu peux jouer ton avenir sur des décisions autres que sportives.
Moi je souhaiterais que l’on puisse finir ce championnat dans les conditions de respect du fairplay sportif. Là je pourrais vous répondre. Nous ne rejouons le 5 mai. Après avoir enchaîné trois matchs, trois semaines de pause !
Je fais tout pour garder mes joueurs sous pression. J’ai organisé des matchs de préparation devant le public. Pour qu’on ne se relâche pas. Parce que l’USMA et le CRB, nos concurrents directs, jouent de leurs côtés des matchs de très haut niveau sur la scène africaine. La compétition, rien ne la remplace.
Parlons justement de vos concurrents en championnat, que ce soit USMA ou CRB, qui réalisent une belle saison sur la scène africaine… Ont-ils leur chance ?
C’est comme en Champions League européenne où il y a de gros morceaux. Ca promet. Je me réjouis que le CRB ait pu jouer les Sundowns dans un super stade, Nelson Mandela (Baraki). J’ai vu le public du CRB qui vient en masse.
C’est une fierté pour le championnat algérien. On voit le Wydad et le Raja qui font les beaux jours de la Botola marocaine. A mon sens, les prestations des CRB, JSK et USMA devraient faire progresser le championnat algérien.
Oui, le foot en Algérie est de qualité. Mais il faut arriver à jouer des matchs dans le même environnement que celui exigé par la CAF. On y gagnera tous.
Terminons par les sélections nationales algériennes. Avez-vous pu échanger, déjà, avec les différents sélectionneurs (A, CHAN, U23) depuis votre prise de fonction ?
Je suis allé voir Algérie-Niger (Elim CAN) à Baraki. J’en ai profité pour saluer Djamel Belmadi et Jean-Michel Cavalli. J’ai aussi pu échanger avec Madjid Bougherra, finaliste du CHAN.
On était ensemble et on a causé joueurs. Pour les U23, qui ont été repêchés, j’ai échangé des messages avec Nourdine Ouldali. Je suis toujours disponible pour parler avec eux. Je vis au pays.
Ils ne sont pas tout le temps sur Alger. Mais je suis à leur disposition, ayant été à leur place dans d’autres pays et dans d’autres circonstances. C’est important.
Le public européen ou français a-t-il une chance de voir le MCA à l’intersaison ? Et qu’en est-il de votre recrutement à venir ?
Forcément, le recrutement sera lié à la position de l’équipe en championnat. On a déjà ciblé les besoins. C’est dans un tiroir qu’on est prêt à ouvrir. On joue l’USMA le 5 mai puis quelques jours plus tard le CRB en retard. Deux matchs capitaux.
On sera alors à jour. On saura alors si on va pouvoir jouer la qualification continentale. Finir au mieux troisième et rester proche du CSC.
Après, j’aimerais beaucoup venir en France faire un stage de préparation. A l’époque, avec l’USMA, on était venus à l’Espace Léonard de Vinci en banlieue parisienne.
Parce que c’est un endroit adapté, au calme et pourquoi pas y jouer contre l’UNFP ou des clubs de Paris en préparation. Je sais que la diaspora algérienne dans la capitale aime beaucoup le MCA. Pourquoi pas ? »
Propos recueillis par @Frank Simon