EXCLUSIF.L’actuel entraîneur de la Renaissance de Berkane et ancien sélectionneur des Lions de l’Atlas a accepté de se dévoiler pour 2022mag, à l’occasion du Symposium du Football Africain organisé à Rabat. Une rencontre passionnante avec un passionné. A lire sans modération !
« Rachid Taoussi, commençons par évoquer votre club du moment, la RS Berkane, qui sort d’une belle saison…
C’était ma toute première saison avec ce club structuré, le club du président de la FRMF Mr Fouzi Lekjaa. On sait qu’il y a le FUS en tant que club modèle. Mais Berkane est bien articulé lui aussi.
Qu’est-ce qui vous a plu ? Berkane ne fait pas forcément partie des clubs réputés du pays…
Il fallait un coach expérimenté qui fasse décoller le projet. Au plan sportif, il n’y a pas encore de titre à Berkane. L’objectif, c’est bien sûr de concurrencer les grands clubs nationaux. On a terminé quatrième cette saison dans la Botola. En Coupe du Trône, on a été éliminé par le DH El Jadida.
Avez-vous des ambitions continentales ?
On espère que le WAC gagne la Ligue des champions, ou qu’un club mieux classé que nous remporte la Coupe du Trône pour jouer la Coupe de la Confédération.
Avez-vous une structure adaptée pour les jeunes ?
Absolument, une académie en pleine construction. Dans six mois, elle verra le jour. C’est très important. Notre stade est également réaménagé pour être dans les normes avec une belle pelouse, avec un petit symbole, l’orange, puisque notre région produit des oranges.
Quand on a été sélectionneur national comme vous, travailler sur un projet comme celui-là ne pose pas de problème ?
Si le projet ne m’intéressait pas, je n’aurais pas adhéré. Je fais toujours des projections d’avenir. Je suis un homme de défis. C’est un club méconnu mais qui va devenir un futur candidat au titre de la Botola. Un concurrent sérieux pour être champion. En plus, on travaille dans la continuité puisque j’ai également la main concernant l’Académie, pour créer une passerelle avec le groupe pro.
Lions de l’Atlas: Moi, il me faut du temps pour travailler
Que conservez-vous de votre passage sur le banc des Lions de l’Atlas ?
Premièrement, c’est une expérience importante. Ce n’est pas rien d’être sélectionneur ! D’un autre côté, j’ai eu la chance d’entraîner toutes les sélections de catégories d’âge avant les A. J’avais d’ailleurs préparé les U20 qui ont joué le Mondial 97. Si on avait eu la mentalité allemande, j’aurais certainement pu succéder au coach Henri Michel, qui était alors le sélectionneur des A. La génération que j’avais eue pendant quatre ans et qui a joué les JO 2000, c’était moi. J’ai eu ma chance mais bien plus tard ! J’ai remporté trois titres avec le MAS de Fès, et puis j’ai fait partie d’une short-list de quatre candidats. Mon projet a été retenu, alors que l’équipe n’était pas encore qualifiée pour la CAN. Elle revenait d’une défaite 2-0 au Mozambique. On s’est imposé 4-0 au retour et on s’est qualifiés. Moi, il me faut du temps pour travailler. Mais on ne nous laisse pas forcément.
En avez-vous bénéficié ?
J’ai besoin de dix-huit mois pour installer une philosophie. Houcine Kharja ne rentrait pas dans ma philosophie de jeu, même si j’estime le joueur. Je voulais tabler sur un jeu plus rapide, plus direct au milieu. Et puis je voulais ouvrir la porte à des jeunes. Dieu soit loué, en seize matches, je n’ai perdu qu’un seul match, contre la Tanzanie, qui fut fatal. Le groupe éliminatoire de Coupe du monde était difficile avec la Côte d’Ivoire qui avait fait un sans-faute. On avait obtenu le nul 1-1 à Abidjan. A mon arrivée, on était 3e du groupe et on a terminé juste derrière les Eléphants. Mais j’ai continué à travailler, avec les A et les locaux. On s’était qualifiés pour le CHAN 2014 après avoir éliminé la Tunisie de Nabil Maaloul. Malheureusement, je n’ai pas accompagné l’équipe au CHAN en Afrique du Sud puisque c’est tombé au moment du renouvellement à la fédération.
Vous avez également dirigé la sélection A à la CAN 2013 en Afrique du Sud, avec une élimination dès le premier tour…
On était tout proches de sortir le pays hôte après avoir mené deux fois au score (2-2 au final) et c’est l’outsider, le Cap Vert, qui a tout chamboulé pour se qualifier au dernier moment (victoire 2-1 sur l’Angola dans le temps additionnel, NDLR). Je pense que si on avait passé le cap du 1er tour, on aurait pu aller jusqu’en finale et même gagner.
Dans quelle optique vous situez-vous par rapport aux Lions actuels et Hervé Renard ?
Je suis honnête avec moi-même et avec les autres. Je ne demande rien à personne. J’ai entraîné la sélection, j’ai été DTN, j’ai coaché le WAC, les FAR et le Raja. Quand Hervé Renard est arrivé, on s’est vu puisque je suis aussi membre fédéral. On a dîné chez le Président Lekjaa. Je lui ai donné tous les conseils d’un ancien sélectionneur. Depuis, on se téléphone, il y a un partage, un vrai dialogue entre techniciens, il y a aussi le respect mutuel. On se connaissait d’avant la CAN 2013 où on avait joué un amical entre Maroc et Zambie.
Avec Renard, on se téléphone
Etes-vous critique ?
Non. J’espère juste que la sélection se qualifiera pour le Mondial en Russie. Cela aura des retombées positives pour tout notre football.
Vous n’essayez pas de lui « conseiller » des joueurs pour la sélection ?
On parle souvent. Hervé chapeaute les A mais aussi l’équipe pour le CHAN. Il a le gardien du club, le latéral droit Omar Nemsaoui convoqué pour le stage du 24 avant le match contre l’Egypte.
Berkane attire-t-il des bons jeunes ?
J’ai recruté le meilleur jeune attaquant de Botola 2, Ayoub El-Kaabi, 25 buts, qui vient du RAC. Malheureusement il s’est blessé mais il risque d’être une révélation la saison prochaine.
Berkane a les moyens de recruter, y compris des étrangers ?
On a dans notre effectif le stoppeur burkinabè Issoufou Dayo, le défenseur malien Konaté, et l’attaquant togolais Kodjo Fo Do Laba. A chaque fois, par le biais du président ou d’un autre, on regarde s’il y a un joueur intéressant.
Au cours du symposium de Rabat, vous avez évoqué la difficulté pour un entraîneur issu du continent africain d’exercer ailleurs. Expliquez-vous…
Il faut qu’on bouge et qu’on se valorise nous- mêmes. N’attendons pas cela des autres. Mais il faut se former et taper aux portes. Soyons à la page au plan de la formation des techniciens, aux plans technique, tactique, psychologique. Il faut se mettre au niveau des autres. De façon à pouvoir postuler à des carrières en Europe. Parce qu’aujourd’hui, comme l’a dit Antoine Bell, ça ne joue pas sur la compétence technique mais sur la frontière administrative. Il faut aussi qu’on bloque. Ici au Maroc, les entraîneurs marocains vont présenter un projet à l’AG de statut de l’entraîneur. Ce projet prévoit qu’un entraineur étranger qui veut venir exercer ici, il lui faudra une licence supérieure aux nationaux.
Le symposium du football africain vient de se terminer à Rabat. Comment avez-vous analysé ce qu’il s’y est dit ?
Ce qui me réconforte, c’est qu’il n’y a pas eu la langue de bois. Chacun a pu s’exprimer librement, d’étaler les idées. Je crois qu’à la tête de la CAF, j’ai vu un président qui est venu avec son équipe pas seulement pour recevoir des recommandations, mais pour les appliquer. Avant, il y avait des réunions mais l’application n’était pas forcément au rendez-vous. Tous les anciens, joueurs, entraîneurs, arbitres, dont certains qui s’étaient éloignés, ont été réunis dans la famille du football africain. On a besoin de leur expérience pour pouvoir aller de l’avant. Si Ahmad arrive à appliquer ces recommandations, ce sera une bonne chose pour le développement du football africain.
CAN à 24 : qui n’avance pas recule
La CAN à 24, l’été, c’est une bonne chose si c’est validé ?
Celui qui n’avance pas recule. Et il faut qu’on avance. En tant que technicien, augmenter à 24 pays donnera la chance à d’autres pays de participer, et donc de préparer de futures générations. D’autre part, en tant qu’ancien sélectionneur, jouer en janvier plaçait les joueurs dans une situation délicate, entre leur club et la patrie. En jouant l’été, ils seront soulagés et joueront à fond.
Il y a deux ans, la CAF retirait l’organisation de la CAN au Maroc, quelque chose de vécu comme une souffrance par les Marocains. Aujourd’hui, on parle du Maroc pour éventuellement prendre le relais du Cameroun pour 2019, en cas de défaillance…
Oui, ce fut une souffrance. Nous n’avons pas remporté la CAN depuis 1976. Si d’aventure le Maroc devait accueillir 2019, on le ferait avec beaucoup de joie ! Sur le plan organisationnel, nous sommes prêts. Il faudra qu’on réussisse sur le plan sportif. Avec Hervé, on a une équipe pour remporter un titre, surtout si c’était chez nous, devant notre public.
Le football marocain va bien, avec deux clubs en quarts de finale africains, le WAC en LDC et le FUS de Rabat en Coupe de la Confédération, entraîné par Hoalid Regragui…
Connaissez-vous l’histoire de Hoalid ? Quand j’étais DTN, il était encore joueur sous Coelho. Quand j’ai pris les rênes de la sélection, j’ai pensé à lui pour être mon adjoint. Je trouvais en lui un homme intelligent, respectueux, avec les qualités, dans la communication et puis un vécu de pro. Après, il a pris le FUS et a démontré depuis que je n’avais pas eu tort de le choisir !
Le Maroc est la croisée des chemins, semble-t-il…
On est très content d’accueillir prochainement le Trophée des champions français. On aimerait organiser la Coupe du monde, en 2026, pourquoi pas ? Plus proche de nous, on souhaite que le WAC et le FUS aillent le plus loin possible dans les coupes d’Afrique. Ca bouge chez nous, la Botola s’est améliorée, au niveau des terrains. Au niveau de la FRMF, les joueurs sont couverts, les coaches aussi. Le président veut maintenant que les clubs passent en société anonymes sportives. Ca se décidera lors du Bureau fédéral imminent. On est en train de former des cadres, des administrateurs, des financiers, via le CDES de Limoges.
Qu’est-ce qui vous manque en tant que technicien, avec un tel vécu ?
Vous savez, on peut avoir connu tous les postes. Seuls les résultats importent. Je joue toujours pour les titres. J’ai remporté la Coupe du Trône, la Coupe de la CAF. Mais il me reste la Botola, où j’ai terminé trois fois deuxième ! Alors je veux gagner ce titre. Je crois qu’il y a les ingrédients pour le faire avec Berkane. Je suis ambitieux, je ne lâche rien. Moi, même si j’approche les soixante ans, j’espère aussi entraîner en Europe ! J’ai travaillé un peu à l’étranger, c’était aux Emirats, avec le Chabab de Dubaï puis deux ans à Al Aïn avec Schäfer. Le Cheikh m’avait fait confiance sur le projet, en faisant monter des jeunes issus des 18 ans. C’est le cas d’Omar Abdul Rahman, qui est devenu le meilleur joueur asiatique par la suite… »
@Samir Farasha, à Skhirat