En lice pour un triplé (voire un quadruplé) historique avec le Wydad Casablanca, Walid Regragui a accepté de se poser pour échanger avec 2022mag sur cette fantastique saison mais aussi sur son avenir, qui l’emmènera loin du WAC. Un entretien exclusif au cours duquel l’entraîneur wydadi n’a éludé aucune question. Fidèle aux valeurs qu’il cultive depuis le temps où il était ce joueur humble, travailleur et discipliné, au début des années 2000…
« Walid, comment fait-on pour gérer une saison aussi longue, dont le premier match officiel a eu lieu à la mi-septembre 2021 ? On s’adapte ! En fait, nous avons débuté la préparation le 15 août. Les joueurs n’avaient eu que quinze jours de coupure avec la saison précédente. Ils ont enchaîné sur quasiment onze mois de compétition. Je ne sais pas comment ils ont pu tenir. On a dû faire avec les aléas des calendriers. Comme nous sommes allés loin en Ligue des champions d’Afrique, on a accumulé les matchs de retard, sans parler des périodes sans Botola où se déroulaient la Coupe arabe des nations au Qatar puis la phase finale de la CAN. Voilà pourquoi nous sommes encore en train de jouer à la fin juillet ! J’en profite pour tirer un coup de chapeau à mes joueurs.
Malgré ce lourd calendrier, vous êtes en lice pour un triplé ou un quadruplé avec le WAC, après avoir remporté le championnat et la Ligue des champions d’Afrique… Absolument. On peut entrer dans l’histoire du football marocain. Ca les motive ! On affronte jeudi la Renaissance de Berkane qui est un peu dans la même situation que nous, sur le plan du calendrier. Elle avait sans doute un peu moins de pression que le WAC en Botola. On sait que ce match ne sera pas facile, la RSB est expérimentée et puis elle veut « sauver » sa saison, même si elle a remporté la Coupe de la Confédération.
Vous devez en principe vous affronter deux fois en une semaine… Effectivement, la finale de la Coupe du Trône est programmée ce jeudi 28 juillet. Et il était question que nous disputions la Supercoupe d’Afrique à la date du 6 août. Mais elle n’a pas été confirmée. Si c’est décalé, ce n’est pas plus mal.
La saison s’est éternisée… Après la conquête de la Botola, on pensait que la saison était terminée. Et puis la Coupe s’est jouée. On pensait que les demies seraient reportées. Mais elles ont été jouées. Puis on a eu confirmation pour la finale. A chaque fois, il a fallu remettre un coup de pédales ! Ca nous a appris à rester vigilants. Mais c’est usant nerveusement. Un club comme le Wydad est énergivore au plan de la pression. Vu d’Europe, les gens ne se rendent pas compte mais on vit des choses comme dans un grand club d’Argentine !
Que voulez-vous dire ? Pour le Casablancais, rien n’est plus important que son club. C’est une passion quotidienne. C’est dur pour les joueurs comme pour le staff !
Mais vous saviez ce que vous faisiez en rejoignant le Wydad…- Je suis venu pour grandir ici comme entraîneur. Montrer que j’étais capable de gérer tout cela, tenir le coup. A l’arrivée, je suis content d’avoir accompli le doublé. Mais ici, personne n’est jamais rassasié par les titres !
Revenons un instant à votre arrivée sur le banc. Que vous êtes-vous dit en prenant connaissance de l’effectif ? Je suis arrivé avec une idée très concrète par rapport à l’effectif, justement ! Je pensais tout simplement que les joueurs vedettes resteraient. Mais Ayoub El-Kaabi est parti en Turquie, à Hataypor. Je pensais que le Zamalek nous laisserait encore Ounnajem, mais ils l’ont récupéré. Pareil pour El-Karti, mais il a signé à Pyramids. Avec ces éléments-là, j’avais la conviction que l’on serait des favoris dans toutes les compétitions qu’on jouerait. Mais le vrai coup dur s’est produit plus tard. On était confiant de pouvoir remplacer les joueurs partis mais la décision de la FIFA nous interdisant de recruter est arrivée. Notre secteur offensif était réduit, on a perdu le Tanzanien Msuva et encore Kerkach. A l’arrivée, ce sont sept joueurs qui ont quitté le WAC.
Quel levier avez-vous activé, en l’absence de recrutement ? On a joué sur le mental ! On a resserré le groupe et puis, on a pu compter tout le long sur un public exceptionnel, je ne le répéterai jamais assez. On a créé un état d’esprit qui a permis d’avancer. Le groupe a super bien vécu, il a adhéré au projet que je lui ai proposé. Certains joueurs ont su profiter de la situation pour saisir leur chance, gagner en temps de jeu, prendre plus de responsabilités. On s’est appuyé sur nos cadres, Dari, Jabrane le capitaine, Mbenza devant. Les blessures nous ont épargnés. J’ai essayé de protéger le groupe tout cette saison, pour qu’il reste confiant. En dépit des problèmes traversés par le club, je suis toujours resté positif.
Parlez-nous de vos satisfactions en tant que technicien, outre les titres… Il y a celle d’avoir contribué à faire grandir les joueurs. Voyez les derniers matches du Maroc en juin : nous avions plusieurs éléments retenus par le sélectionneur qui ont joué. Dari vient de signer avec le Stade Brestois, c’est super ! Je lui souhaite un destin identique à celui de Nayef Aguerd, que j’avais eu au FUS ! On a notre latéral droit Attiyat Allah, très talentueux aussi, le jeune Haimoud « Zebra », formé à l’Académie Mohamed VI, un énorme talent, Hassouni aussi au milieu, qui a un style à la Zidane, très élégant.
En Ligue des champions, vous avez mis fin au règne du Ahly du Caire (2-0), qui avait remporté les deux éditions précédentes… Dans cette compétition, on a eu l’équipe la plus régulière, la plus solide aussi. On a su s’adapter tout au long de notre parcours. On a montré concrètement qu’on était capables d’aller chercher cette couronne africaine.
Il y a quelques jours, on vous a vu en photo sur les réseaux sociaux, posant fièrement avec votre diplôme Pro CAF… Je crois que c’était l’autre vendredi, en matinée. On nous a enfin délivré nos diplômes. Cela faisait trois an et demi, parfois quatre, qu’on avait débuté ! C’est la première promo de la PRO CAF et j’étais en compagnie de mes frères Aliou Cissé, Pitso Mosimane, Flo Ibenge, Hammouta, Sellami, Sektioui… Vous savez, j’ai eu le temps de valider ma licence AFC PRO (diplôme asiatique) lorsque j’étais sur le banc à Duhail, avant de venir au Maroc, alors que j’avais commencé le Pro CAF avant, quand je dirigeais le FUS !
Où en êtes-vous sur le plan mental ? On vous imagine épuisé après tant d’épreuves à gérer… J’avais signé un an au club. Je ne ferai donc qu’une année. Mieux vaut s’arrêter là. J’ai pris du plaisir à coacher ici. Je crois que les bonnes choses doivent s’arrêter au bon moment. On va encore faire un effort et tout faire pour remporter la Coupe du Trône ce jeudi.
Qu’allez-vous faire après ? J’ai déjà été beaucoup sollicité depuis le début de l’été. Mais j’avais promis au président du WAC que je terminerai ma mission. Maintenant, on va regarder les offres, afin de faire le bon choix, entre aspect financier et aspect sportif. J’aurais souhaité venir entraîner en Europe. Mais c’est toujours très compliqué d’intégrer ce marché… On attend qu’un club ait ce courage. Il y a encore bien des barrières à casser ! Mais on ne s’est jamais plaint. En tout cas, on ne va pas se précipiter. J’avais mis huit mois après Duhail avant d’accepter le projet du Wydad. Vous comprendrez que je ne veux pas me tromper. Parce que construire une carrière prend du temps mais qu’elle peut se détruire, se désagréger en peu de temps.
Tout récemment, la CAF a attribué le titre d’entraîneur africain de l’année à Aliou Cissé, le sélectionneur sénégalais. Des regrets ? Pas le moindre ! Je l’ai d’ailleurs dit à Aliou. C’est un bon mec et il mérite amplement cette consécration. Il a quand même qualifié son pays à deux reprises pour la CDM, il a également disputé deux finales de CAN et remporté la dernière édition. Au passage, c’est important de nuancer les choses : entraîneur de club et sélectionneur, ce sont deux métiers différents.
Que comptez-vous faire à partir du mois prochain ? Prendre des vacances ! Ensuite, on verra si l’on repart s’installer dans le Golfe, la famille avait apprécié ce cadre.
Que restera-t-il de votre passage au Wydad, au-delà des titres ? La communion avec notre fabuleux public. Cela restera gravé à jamais en moi. Il y a vraiment quelque chose qui s’est passé entre le peuple wydadi et moi. J’en profite, je savoure. Soyez assuré que je vais continuer à accomplir mon petit bonhomme de chemin ! »
Propos recueillis par @Frank Simon