Avec Charles Mbuya, il est l’une des voix les plus populaires de Canal + Afrique. Grand spécialiste de football africain depuis plusieurs décennies, le commentateur français a accepté spontanément l’invitation de la rédaction de 2022mag pour évoquer le CHAN au Cameroun qu’il commente quotidiennement. Paroles de connaisseur.
2022mag.com: « Romain Grimaud bonjour ! Votre actualité du moment, c’est ce CHAN retransmis en intégralité par la chaîne Canal + Sports Afrique. Une compétition que vous affectionnez…. J’ai couvert toutes les phases finales en suivant cela avec beaucoup d’attention parce que cette création de la CAF a été lancée pour présenter le football africain sous un autre jour, et donner leur chance à plus de joueurs. Donner l’occasion à des pays d’organiser une compétition, pour ceux qui n’avaient pas forcément l’opportunité d’être choisis pour abriter la CAN.
Du coup, vous avez assisté à la victoire de la Tunisie au Soudan, en 2011… La Tunisie était une équipe impressionnante à ce moment-là. Je me souviens en particulier d’Adel Chedli, un joueur forcément attendu puisqu’il avait déjà remporté la CAN (en 2004) avant de décrocher ce CHAN. Il est d’ailleurs le premier à réussir ce doublé et toujours le seul. Cette équipe avait vraiment la volonté de l’emporter. En plus, cela a donné un impact très particulier à la révolution tunisienne. On voyait sur le terrain une attitude particulière des Aigles de Carthage. Cela aurait pu les tétaniser mais au contraire, ça les a aidés, boostés. Ils ont offert ce sacre au peuple tunisien.
Trois ans plus tard, vous avez suivi un autre sacre arabe, celui de la Libye en Afrique du Sud… Un succès construit à partir des quarts sur des matches nuls suivis de séances de tirs au but victorieuses ! Ce que j’ai trouvé dingue, c’est qu’il était impossible de dire que cette équipe était venue avec l’intention de l’emporter. Ils avançaient masqués. Ce sont des joueurs qui n’avaient pas forcément un championnat régulier et ne jouaient même pas chez eux. Solides, organisés, défensivement au point, ils débarquent là et déjouent les pronostics. Du mental pour avancer jusqu’aux tirs au but, et croire en eux. C’est une performance exceptionnelle que je n’avais pas vu venir. Ce qui est encore plus exceptionnel, c’est cette capacité à se qualifier encore derrière compte tenu des problèmes du pays.
En 2018, quatre participants arabes disputent le CHAN marocain (Maroc, Libye, Soudan, Mauritanie) et trois participent aux demies, avec un succès final des Lions de l’Atlas. Que retenez-vous de cette édition marocaine ? Plusieurs choses : d’abord, la victoire archi méritée du Maroc de par son jeu et son envie, l’éclosion de certains joueurs en particulier le Marocain Ayoub El-Kaabi, meilleur joueur et meilleur buteur. C’était la grande histoire qui l’amène jusqu’en Coupe du monde en Russie. Ce que j’ai aimé aussi, c’est l’ambiance autour de ces Lions de l’Atlas. C’était fou, le stade Mohamed V de Casa, en fusion, et qui a porté ses joueurs. Je n’ai pas retenu que ça. Revenons sur la Mauritanie, qui n’a pas fait un grand tournoi pourtant en 2018. Quelle progression pour ce football-là, le fait d’y aller, de participer, pour ces joueurs issus du championnat national. C’était peu de choses et c’est devenu bien meilleur : aujourd’hui, le club de Nouadhibou se montre, et les Mourabitounes ont même disputé la dernière CAN. C’est le travail qui paie. On aurait dit ça il y a dix ans, certains auraient rit. Aujourd’hui, on ne rit plus, on respecte ça. La leçon à retenir, c’est que de plus en plus d’équipes prennent le CHAN au sérieux, et que c’est pareil pour les joueurs. La preuve, certains rentrent au pays exprès, peu de temps avant le CHAN, pour être sélectionnables.
Revenons à cette édition datée 2020, même si elle se déroule en 2021. Quel regard portez-vous sur le Maroc champion sortant et la Libye ? Que pensez-vous des absents aussi ? L’Algérie s’est fait éliminer sur le terrain par le Maroc, dont on peut admettre son absence. La Libye est présente parce que la Tunisie, qui l’avait éliminée, a renoncé à participer à ce tournoi. C’est dommage. Elle aurait pu prétendre au sacre final. Ça a laissé leur chance aux Libyens. Le vrai scandale, c’est l’Egypte qui se désintéresse totalement du CHAN. Depuis le début, ils ne prennent même pas part aux éliminatoires ! S’ils s’y inscrivaient, ils pourraient certainement viser le titre. C’est assez scandaleux de mon point de vue. Si les meilleurs joueurs ne veulent pas y aller, qu’on donne leur chance à des plus jeunes ou à des joueurs motivés par cette compétition. On devrait obliger la Fédération à présenter une équipe dans les éliminatoires. C’est le pays le plus titré à la CAN et chez les clubs, c’est quand même terrible. C’est vraiment un regret pour moi.
Le CHAN peut-il devenir le grand marché des transferts interclubs de l’Afrique, à défaut d’intéresser les clubs européens ? Oui, parce que la CAN est plutôt un tremplin pour l’Europe, pour certains. Peut-être que le CHAN peut être le tremplin pour quitter son pays pour un autre en Afrique. Ca y ressemble.
N’avez-vous pas le regret de voir le règlement échangé, puisqu’il ne permet pas aux joueurs africains basés ailleurs que dans leur pays en Afrique de prendre part au CHAN ? C’est effectivement le nœud du problème. On l’appelle de nos vœux depuis la première édition en 2009. Il faudrait que la CAF change le règlement pour permettre aux joueurs africains ailleurs que dans leur pays puisse jouer ce tournoi. On a le cas des deux défenseurs centraux togolais titulaires en éliminatoires du CHAN qui ont signé l’un en Tunisie, l’autre en Mauritanie. Avec ce changement de règlement, ils auraient pu être appelés par Jean-Paul Abalo… C’est dommage. On comprend que les joueurs cherchent un contrat, c’est naturel. C’est à la CAF de modifier ce règlement, et on espère qu’elle y procédera en vue de la prochaine édition.
Quel est votre ressenti par rapport à ce CHAN ? L’organisation me parait très bonne, en perspective de la prochaine CAN au Cameroun dans un an, c’est bien. Les stades sont prêts et seront plus nombreux d’ici là. Les pelouses sont bonnes, le public est là, c’est agréable de l’entendre dans la période qu’on vit, malgré les jauges. On a un pays organisateur soutenu. Le niveau de jeu est moyen avec beaucoup de pertes de balle, c’est difficile. Je trouve qu’il y a de l’enthousiasme, ça va de l’avant, on ne s’observe pas. Et ça ne peut que s’améliorer jusqu’au terme du tournoi. A partir des quarts, le niveau monte. C’est très uniforme, il n’y a pas un favori qui se détache. On n’est pas à l’abri d’une surprise.
Pour terminer cet entretien, revenons un instant sur le triomphe du football égyptien que vous avez vécu à l’antenne avec la finale Ahly-Zamalek en LDC 2020 et la présence en finale de CDC de Pyramids… J’espère pour la diversité que des clubs subsahéliens vont s’immiscer et contester cette domination maroco-égyptienne en finales. Il est normal que ces clubs soient là, ils sont mieux préparés. J’aimerais plus de diversité et des clubs déjà se sont rapprochés. Le problème pour des clubs comme Mazembe, c’est qu’il en faudrait dix comme lui pour contester Ahly, Wydad, etc. Le football nord-africain fait ce qu’il faut pour gagner ces compétitions.
Un club comme le Ahly n’hésite même plus à recruter un technicien sud-africain comme Pitso Mosimane… Prendre un coach du continent est un bon signal. C’est rare. C’est presque le meilleur et quelqu’un qui les avait battus. En plus, il a réussi à gagner. Ils accueillent déjà des joueurs de cette région, alors pourquoi pas un technicien ? Plus de diversité, plus de mélange, c’est ce que l’on vit avec le CHAN.
Le Ahly est justement engagé en Coupe du monde des clubs contre Al-Duhail. Peut-il envisager d’aller loin ? Pfff… ils ont souvent eu des problèmes en CDM des clubs. Je rêve de les voir passer parce que la demie les opposerait ensuite au Bayern Munich, le champion d’Europe. Ce serait une superbe affiche. Il faut passer Al-Duhail, c’est du 50-50. On était à fond quand Mazembe a atteint la finale de la CDC. Ca arrive peu souvent. Ahly a déjà été sorti en quart par des clubs moins cotés. Ce serait formidable d’offrir cette demie au football égyptien et africain ! Le Ahly donne du frisson sur le continent, alors pourquoi pas en demi-finale mondiale ! »
Propos recueillis par @Samir Farasha