Entraîneur adjoint de l’équipe nationale de Tunisie depuis quelques mois, le vainqueur de la CAN 2004 avec les Aigles de Carthage nous avait accordé un long entretien avant les J1 et J2 éliminatoires de CAN 2023, complété quelques semaines plus tard. En exclusivité pour 2022mag, Selim Benachour a accepté de nous parler de ce métier qui le passionne au quotidien, et de sa mission en sélection nationale.
« Selim, bonjour ! Dans quelles circonstances avez-vous débuté dans la carrière d’entraîneur ?
J’ai commencé à Martigues en 2016 alors que j’étais encore joueur. Après mon passage en Inde, j’ai intégré la CFA. Je voulais faire une dernière pige en CFA et aider le club de ma ville. J’ai eu un deal avec le président : passer mes diplômes d’entraîneur tout en évoluant une saison en CFA. J’ai donc dirigé les U17 en tant qu’adjoint.
Pourquoi avoir choisi cette voie ?
J’ai embrassé cette option parce que j’ai connu beaucoup de coaches différents dans ma carrière. C’est un métier qui m’a toujours fasciné. Et moi, j’ai toujours voulu mettre mes idées en place. J’ai fait un mixe de ce que j’ai vu. La saison suivante (2017-18), j’arrête de jouer. Je passe entraîneur principal des U19 DH. J’apprends beaucoup. Je décide ensuite de partir à Foresta Suceava en Roumanie. On me propose ce projet-là avec ce club de Ligue 3 qui veut absolument monter.
Vous choisissez ensuite de vous expatrier…
J’y vais et je signe un an. Ca se passe très bien. Ce fut une très bonne expérience. J’ai appris énormément. Pour ma première expérience en seniors, on finit cinquième sur seize. Puis je repars. Je file en Pologne à Olimpia Grudziadz. J’y ai fait un mois et demi, soit sept matches. Un agent m’avait appelé pour aider ce club de L2 à se maintenir. Là, ça se passe moyennement bien. C’est compliqué d’entrer en fin de saison. Je reste avec un adjoint venu de l’ancien staff. J’apprends sur le tard les joueurs, j’ai un peu de mal avec la langue. Ce fut une aventure compliquée. Je suis alors reparti vers de nouveaux horizons.
Cette fois, vous rejoignez le pays du football par excellence, l’Angleterre !
Direction Oldham Athletic, après discussion avec les propriétaires, Abdellah et Mohamed Lemsagem, deux frères, que je connais très bien. En particulier Abdellah, un ancien agent qui m’avait envoyé au Koweit et avec qui j’ai conservé d’excellentes relations, et qui avait racheté Oldham. Il m’a offert le poste chez les U18 que j’ai accepté. Je suis très content d’avoir travaillé dans le pays du foot, c’est une autre mentalité. J’ai réussi une bonne première année en termes de progression des joueurs. Cinq de mes joueurs ont signé pros. Ca, c’est ma fierté. C’est énorme ! La deuxième année, je débute en U18. On part sur les mêmes axes de travail et de progression. Puis Keith Curle, l’entraîneur de l’équipe première, se fait limoger. J’accepte l’intérim avec grand plaisir, à la demande des deux frères. C’est ensuite que s’est présentée la Tunisie. Je suis très content d’avoir fait progresser des jeunes, qui ont pu signer pros et jouer en équipe première. J’ai connu une autre mentalité de football, j’ai vécu le foot anglais de l’intérieur, moi qui n’y avait jamais évolué en tant que joueur. Ce fut une expérience positive.
La Tunisie s’est alors présentée à vous…
Après la CAN au Cameroun, on m’a contacté en plein championnat avec Oldham. Et quand ton pays de contacte, tu ne peux pas dire non ! Quand j’étais joueur, j’ai opté pour la Tunisie et je ne l’ai jamais regretté. Là, le président de la FTF m’a appelé, le directeur sportif Slim Ben Othman aussi. Ils m’ont exposé le projet, avec pour première cible la Coupe du Monde au Qatar. On avait les deux matches du Mali en barrages, plus les éliminatoires de la CAN 2023 en Côte d’Ivoire. Et après, une plus grande vision sur la Coupe du Monde 2026.
Avez-vous réfléchi longtemps ?
J’ai pris un jour de réflexion, mais dans ma tête c’était déjà acté. Le choix était fait, et c’est avec un grand oui que je suis revenu dans mon pays en tant qu’adjoint du sélectionneur. Les débuts ont été couronnés par une qualification à la CDM. Très heureux d’être là. J’espère faire progresser et atteindre nos objectifs, à savoir se qualifier pour le 2e tour de la compétition, enfin disputer la prochaine CAN. Nous sommes là sur du long terme.
Racontez-nous la préparation de cette double confrontation contre le Mali…
On a travaillé un mois et demi avant le stage et peaufiné les axes importants de ce duel. On a trois préparateurs dont deux sur place et un, Aymen, qui bosse à Lens. On a également des analystes vidéo. La préparation fut très bonne, bien maîtrisée. Par contre, les joueurs sont venus un par un. Avant le premier match au Mali, on n’a eu que deux séances avec le groupe au complet. Au total, on en a eu 5. On a fait le taf et on s’est qualifiés !
Accepter la Tunisie, c’était arrêter Oldham…
Effectivement, quand j’ai intégré la Tunisie, j’ai arrêté aussitôt avec Oldham. D’un commun accord avec le président du club, on a décidé de rompre l’engagement, ce qu’il a très bien compris. C’était le deal, je ne pouvais pas allier les deux. Il y a beaucoup de travail entre les stages, c’est un boulot à temps plein. Je fais parfois les allers-retours entre Tunis et Manchester, où ma famille est restée. Mais je suis le plus souvent en Tunisie pour le suivi des joueurs. On est à la fédé tous les jours. On n’a rien sans rien. En collaboration avec le président et son frère, on a rompu le contrat, ce qu’ils ont parfaitement compris. La sélection, ça ne se refuse pas.
Un mot sur le tirage au sort de la CDM au Qatar…
Le tirage de la CDM (France, Danemark, Australie) est compliqué. Il n’y a pas de match facile en CDM. C’est un plaisir de retrouver la France, un pays où j’ai évolué et où je suis né. De se frotter à l’une des meilleures nations au monde. On commencera par le Danemark, on terminera par la France. Les deux premiers matchs sont capitaux. Tout est possible dans le foot, on va étudier, travailler pour répondre présent. Pour faire plaisir au peuple tunisien.
Depuis le barrage, vous avez débuté les éliminatoires de la CAN 2023, un autre objectif de la Tunisie…
Pour ces éliminatoires, on a joué Guinée Equatoriale et le Botswana. En Afrique, il n’y a pas de match facile, on respecte tout le monde. C’était important de débuter par un succès à la maison face à une équipe qui a gêné le Sénégal et l’Algérie. On a ensuite fait 0-0 sur un terrain difficile contre le Botswana, on a pris quatre points sur six, ce qui est de bon augure pour la suite.
Revenons sur votre carrière de joueur. Vous avez évolué dans un pays du Golfe, le Koweit…
Effectivement, à Al-Qadsia, en 2008-09. Franchement, j’ai aimé être au Koweit. Au niveau de la famille, de ma religion, c’était exceptionnel. Ma femme et moi on a aimé y vivre. En termes de foot, c’était un peu plus compliqué, c’était semi pro. J’y ai consrvé de bons amis.
Joueur, vous aviez aussi fait un choix fort en optant pour la Tunisie…
C’est beaucoup d’émotions. J’ai pu gagner la CAN en 2004, jouer la CDM 2002, porter le maillot une cinquantaine de fois. J’ai construit une très bonne relation avec notre sélectionneur, Roger Lemerre. C’est Ammar Souayah qui m’a lancé en 2002 en CDM et Roger a pris le relais. En 2006, il y a eu un petit souci entre nous quand je n’ai pas été sélectionné par rapport à ma blessure. Je sortais pourtant d’une saison exceptionnelle à Guimaraes (12 buts, 10 passes décisives), probablement l’une des meilleures de ma carrière. A la fin, une petite blessure aux ischios m’a laissé de côté. Roger a fait le choix de ne pas m’appeler pour le Mondial en Allemagne. Je l’ai très mal vécu. Il y a eu de petites tensions, et puis après, c’est revenu. On grandit, on comprend les choses. On s’est revus depuis avec Roger il y a 2-3 ans, pour un match caritatif de Karim Hagui à Sousse. Aujourd’hui que je suis passé de l’autre côté de la barrière, je comprends même si ç’a été difficile à l’époque. Mais avec le recul et en parlant avec lui, j’accepte son choix. Ca reste quelqu’un qui a beaucoup apporté au football tunisien. Il reste pour moi un top coach. Il a gagné un Euro avec la France aussi, ce n’est pas rien.
Selim, que peut-on vous souhaiter pour les mois à venir ?
Ce qu’on attend le plus, c’est de disputer la phase de CDM au Qatar. On veut passer le 1er tour, chose très difficile. Mais on va mettre tous les moyens pour faire plaisir à notre peuple et marquer l’histoire du football tunisien en 2022. C’est un grand défi, cela n’est pas simple mais on va travailler durement. On fera de notre mieux pour atteindre cet objectif ».
Propos recueillis par @Frank Simon