2022mag.com a rencontré à Sydney Serge Romano, l’entraîneur adjoint français du Qatar, à quelques heures de son retour à Doha après l’élimination d’Al Anabi dès le premier tour. Pour 2022mag.com, le jeune technicien a accepté de revenir sur ses 18 mois passés au Qatar, et auprès de Djamel Belmadi. Témoignage.
« Serge Romano, depuis quand travaillez-vous au Qatar ?
Ca va faire un an et demi. Je suis arrivé en septembre 2013, c’est Djamel Belmadi qui m’a fait venir pour préparer l’Académie de Lekhwiya à Doha. J’ai fait ça pendant un an. Durant la saison, le grand émir lui a proposé de prendre l’équipe B et de la former afin de participer à la WAFF Cup, à Doha. Djamel m’a alors demandé d’être son adjoint dans cette configuration. On a eu de bons résultats et à la suite de cette compétition, on lui a proposé de prendre les A. On a alors continué comme ça. J’ai prolongé mon contrat d’un an avec la QFA, soit jusqu’en mai 2015. Je ne suis plus avec l’académie.
Que pouvez-vous nous dire de cette expérience, bien différente de tout ce que vous avez pu connaître sur un banc auparavant ?
C’est un bon challenge, une autre dimension. Il y a eu une victoire en Coupe du Golfe à Ryad en novembre, on a bien marqué les choses. On n’était pas forcément favoris de notre poule. On ne faisait que des matches nuls, vu qu’on a une jeune équipe qui n’a pas trop l’habitude de la compétition. On a joué avec le frein à main les premiers matches, mais on ne perdait pas. Derrière ça, ça s’est libéré et on a fait de bonnes choses. Sur la demi et la finale, on a mérité cette victoire. Ca s’est construit et tout de suite derrière, nous avions cette Asian Cup en Australie où l’on a mal débuté.
C’est à dire ?
Nous n’avons pas pris notre premier match par le bon bout contre les Emirats. Une équipe plus forte que nous en terme d’individualités. Nous n’avons pas été présents, pas assez solides (défaite 1-4, NB). Le premier match détermine tout et même un nul change la donne pour la suite. Contre l’Iran (0-1), on a fait jeu égal dans l’ensemble. Ca se joue à rien et on les a mis en grosse difficulté. Contre Bahrain (défaite 1-2), on s’est créé beaucoup d’occasions et on ne marque pas. Si on marque les deux trois buts qu’il faut, c’est fini. Il y avait aussi du déchet sur des passes simples à dix mètres, un simple placement…
A quoi est-ce dû ?
Le problème au Qatar, c’est le niveau du championnat qui n’a rien à voir en terme de rythme avec ce qu’on a vu ici en Asian Cup. C’est un championnat moyen, « tranquillou ». Les équipes attendent, il y a peu de pressing. Déjà en Coupe du Golfe, c’est plus intense, ça change les choses. Ce qu’on essaie de mettre en place, améliorer les joueurs sur cet aspect par rapport à la compétition de haut niveau. Parce qu’il y a de bons joueurs.
Et notamment une génération qui arrive en U19…
Et qui s’est qualifiée pour le championnat du monde U19. Les jeunes ne jouent cependant pas tous en Ligue 1 et après ils ne passent pas, parce qu’il y a des étrangers ou que l’on ne leur fait pas confiance en tant que jeunes. Dans les mentalités, c’est le résultat avant tout avant la progression. Il y a des étapes qui ne se font pas.
A titre personnel, se retrouver numéro 2 en staff après avoir été coach principal, ce n’est pas trop compliqué ?
Numéro 1 et 2, je l’avais déjà été avant. J’étais 2 avec Alain Perrin qui dirige la Chine. C’est un autre rôle que je connais. Donc je sais faire. On apporte son expérience à la personne en place et quand ça partage bien, ça va. J’aspire évidemment à reprendre un jour une équipe. J’ai pas mal d’expérience maintenant. Il faut ensuite avoir des dirigeants qui laissent construire les choses. Voilà. Après c’est aussi fonction des opportunités. Je suis libre à partir de mai, donc on verra. Pour l’instant, ça s’est bien passé à part cette Asian Cup.
Pourriez-vous être amené à rester dans la région et diriger un club, par exemple ou une sélection ?
Ca peut se faire, tout dépend des opportunités, des relations.
La QSL est un championnat où les clubs ont une exigence de résultats immédiats, non ?
Parfois, tout dépend des clubs. L’avantage, quand on a fait un an et plus, on connaît. Quand un coach étranger débarque, il peut être dérangé dans sa méthodologie. Quand on connaît un peu les mentalités, ça vous avantage aussi dans la culture, pour vous adapter à cet environnement.
Quel est votre ressenti par rapport au Qatar, si décrié en Europe, notamment après l’attribution de la CM 2022 ?
Ils mettent les moyens dont ils disposent pour faire les choses. Déjà, c’est top dans les structures. Ils essaient de prendre ce qu’il se fait de mieux partout pour l’inculquer au sein du pays. Après, dans leur mentalité sportive, ils l’inculquent aussi. Quand ils obtiennent quelque chose, ils le font bien, il n’y a pas de souci là dessus. Regardez avec le Mondial de hand ball par exemple. Par rapport à ce que disent les Européens, c’est comme si vous aviez une voiture et que du jour au lendemain on voulait vous la reprendre. Ca se discute, non ? Pour l’instant, le pays a la Coupe du monde 2022 et fait tout pour que les choses soient bien réalisées.
Tout récemment, des joueurs d’origine africaine sont arrivés en sélection, comme Muntari (Ghana) et Trésor (RDC). Cela veut-il dire qu’il y a des manques chez les jeunes Qatariens ?
Dans la réglementation, il faut que ces joueurs aient passé au moins cinq ans dans le championnat. Ils arrivaient à cette échéance et ont pu être validés en passeport qatarien. Sinon, ce n’est pas possible. Cela amène une valeur ajoutée parce que dans les clubs il n’y a pas cette valeur là.
Qu’en pensent les Qatariens ?
Je n’ai pas eu de retours de personnes, mais au niveau des joueurs, ils sentent que c’est un apport réel pour l’équipe. L’osmose se fait bien, il y a vraiment une bonne ambiance. Cela manque certainement de leadership mais au niveau de l’entente, tout se passe bien.
Restez-vous quand même en contact avec le football français ?
Oui. On suit ça, je trouve que le niveau a un peu baissé, c’est logique avec la fuite des joueurs à l’étranger. On sort quand même toujours de bons joueurs.
Etre devenu un expatrié a-t-il changé votre vision du football français, européen ?
Non, cela n’a pas changé. On voit la grosse différence entre l’école européenne et le reste quand on arrive dans certains pays du Middle East. Il y a de bons joueurs au plan technique, mais au niveau tactique, dans la vision du jeu et analytique, ils sont un peu en retard et ils ne peuvent pas mettre en avant leurs qualités propres dans le jeu.
Il y a récemment un compatriote qui est arrivé, non ?
Oui tout à fait, Sabri Lamouchi a été nommé à Al-Jeish, c’est un bon club, j’aurais bien été à sa place ! Je veux dire par là qu’il y a de bons joueurs et une grosse capacité financière pour acquérir des joueurs.
Ce sont des positions pas faciles à tenir !
Un club comme Al Kharaityat, ce n’est pas facile pour un coach car il n’a pas beaucoup de qualité en terme d’effectif, si l’on compare avec Lewkhwiya, Al Jeish, Al Sadd, Al Gharafa. Il y a de grosses différences et les dirigeants demandent de pouvoir lutter avec ces clubs alors que c’est impossible. Il suffit qu’ils touchent un peu le fond, et paff, ça part ! Dans le haut du tableau, il y a quatre-cinq clubs qui se tirent la bourre.
Djamel Belmadi a annoncé avant le match contre Bahrain que vous préparez bientôt un stage en Europe et des matches amicaux, notamment contre l’Algérie…
Je n’ai pas encore le programme défini. L’avantage au Qatar, c’est que tous les internationaux sont à Doha. La fédération est très flexible et aménage les dates, ce qui permet de retrouver les joueurs tous les mois. C’est un avantage. Là, on va mettre l’accent pour avoir des matches à l’étranger. On recevait des équipes chez nous plus fortes que nous, qu’on battait. Mais elles venaient en touristes et étaient surpris du niveau auquel on évoluait. Pour moi, ça donne de la confiance mais ici, ces mêmes adversaires ne sont pas dans la même mentalité. Ce qui est bien, c’est de les jouer chez eux. Le niveau sera plus réel. On a été au Maroc récemment, c’était intense, on a fait match nul. C’est des paliers intéressants pour les joueurs, ils apprennent.
A-t-on des chances d’en retrouver certaines, justement, en Europe ?
Je pense qu’il y en a quelques uns qui peuvent y jouer, un ou deux. Il y a du talent. Ils n’osent pas. Le côté physique est important en Europe. Les Qatariens ont la finesse de jeu mais ne sont pas forcément costauds. Ca s’acquiert. Après, est-ce que les joueurs ont envie de partir ? je pense que c’est ça. Je l’ai vécu avec la Chine, ils gagnent bien leur vie alors pourquoi partir ailleurs ? C’est plus une histoire de mental. De se dire, je vais me frotter au niveau mondial, comment cela peut se faire ? je suis persuadé que si on leur demandait, certains iraient. »
@Samir Farasha, à Sydney
Serge Romano, 50 ans
Clubs entraînés : Troyes (1998-2003), Sedan (2003-06), Dijon (2007), Amiens (2009), Gueugnon (2010-11), Dalian Aerbin (CHI, jeunes, 2012-13), Lekhwiya (QAT, jeunes, 2013), Qatar (adjoint, 2013)
Palmarès : WAFF Cup 2014, Coupe du Golfe 2014. Participation à l’Asian Cup 2015.