Vous étiez présent à la dernière CAN 2023 en Cote d’Ivoire pour observer la compétition, mais pas seulement. Quelles sont vos observations sur vos futurs adversaires (Cap Vert, Cameroun, Angola) ?
Déjà, il faut savoir que bien avant la CAN 2023, je suivais la CAN. Je me souviens de Rashidi Yekini à la CDM 1994. C’est à cette époque que, jeune coach, j’ai commencé à entraîner en Serbie dans un petit club du nord, Sobotica.
La CAN a toujours nourri ma réflexion. Et le meilleur repas fut cette CAN 2023 en Côte d’Ivoire, une compétition superbe en termes de drames, de hauts et de bas. C’est le top du foot africain pour un passionné comme moi !
Ca prouve qu’il ne faut jamais renoncer, et les Eléphants nous l’ont enseigné durant cette CAN. Certaines équipes qui menaient se sont fait remonter et doubler.
On a tout vu dans cette compétition. Regardez le Ghana qui a tout perdu dans le temps additionnel de son dernier match.
C’est pour moi l’université de la vie et du foot. En tant que personne, quand je regarde un match africain, je regarde les joueurs, leur passé. Tout m’intéresse.
Je connais chacun des joueurs des effectifs et leur histoire personnelle. On a vu nos adversaires de la CDM, Cameroun, Angola et Cap Vert, tous franchir le 1er tour, ce qui donne une idée du haut niveau de compétitivité de notre groupe éliminatoire.
On a trois équipes dans le top 16 africain. Chaque détail comptera face à ces formations. La frontière entre gagner et perdre est très mince. A nous d’être attentifs.
On a donc supervisé chacun. Il y a un match invisible, c’est celui qu’on mène dans le secret de notre « laboratoire » d’entraîneur, toutes ces nuits sans sommeil à préparer.
Vous avez disputé neuf matchs internationaux depuis votre arrivée, contre le Liberia, le Niger, la Somalie, le Soudan, Eswatini, le Cameroun, l’Indonésie deux fois et le Koweit…
Exact. On est passé d’une période compliquée à maintenant depuis octobre 2023. Il fallait tout changer. Dans les mentalités. Dans l’approche. Dans la préparation physique pour être prêts.
Quand le championnat a débuté, les matchs ont aidé sur ce plan là. Ensuite, on a dû travailler sur un autre plan : la tactique. Je suis très heureux de dire que nous y sommes parvenus. 6 victoires sur 9 matchs, et trois nuls.
On est entré dans une culture de la victoire. A nous de continuer car partout ici les gens sont heureux de ce « revival » de la sélection. Mais il y a encore de la place pour s’améliorer.
Qu’est-ce qui a changé depuis votre venue ?
Chaque coach sur cette planète vient avec sa vision. Avec une stratégie, ses plans et son programme. Il met en place son système opératoire basé sur les infrastructures.
Je suis donc arrivé avec beaucoup d’expérience mais aussi un encadrement qui est venu servir la Libye.
A partir de nos analyses, on a mis en place la stratégie et fait en sorte de motiver les joueurs.
On est devant un puzzle ou une mosaïque si vous voulez, pour faire revivre et rredynamiser cette sélection nationale.
De quoi la Libye a-t-elle besoin pour se hisser au2e tour d’une CAN et se qualifier pour la Coupe du Monde 2026 ou 2030 ?
Je crois fermement en la Libye, en ses joueurs et au football libyen. Il possède tout ce qui est nécessaire, croyez-moi, pour atteindre un 2e tour de CAN et aller en CDM.
Tenez, on a actuellement trois jeunes joueurs, un au Bayern (U20, un U20 au Dortmund et un U20 au RB Leipzig. Si on parvient à mettre tout en place, la Libye a ce qu’il faut de talent en termes de joueurs. Le pouvoir n’est rien sans contrôle. C’est justement ma tâche.
5% des gens sont là pour critiquer et ne sont pas contents de ce qu’on fait. Mais 95% nous poussent. On veut aller à la CAN et en CDM pour eux. Je pense qu’on peut le faire. Je veux que le gouvernement libyen nous soutienne pleinement.
Parce qu’il n’y a pas plus unificateur qu’un passeport, la sélection nationale, l’hymne national et le drapeau. Je veux réveiller en eux ce désir patriotique pour prouver ensemble que l’on peut devenir un géant du football africain.
Quel est votre plan d’ici juin 2024, où vous jouerez Maurice et Cap Vert en éliminatoires de la CDM 2026 ? Avez-vous des amicaux ou stages prévus ?
Comme je l’ai dit, tout est planifié. En octobre 2023 on a joué 3 matchs amicaux au Maroc avec une sélection de 22 ans de moyenne d’âge. Afin de se connaître.
Ensuite, on a vu qu’on avait besoin d’intégrer des joueurs plus expérimentés en novembre contre Eswatini, Cameroun et Soudan. Puis on avait le choix entre attendre mars 2024 ou jouer.
On a joué l’Indonésie qui se préparait pour la CAN asiatique avec deux victoires. On a aussi joué Koweit. C’était le premier pont jusqu’à juin. Le 2e pont, c’est les matchs amicaux au Maroc ce mois-ci. On va checker 30 joueurs en vue de juin.
On va expérimenter en Mars (contre le Burkina Faso le 22 puis le Togo le 26) avant de jouer Maurice et Cap Vert. En mai, il y aura aussi les play-offs du championnat national et ensuite deux matchs de prépa avant juin. Encore une fois, on ne veut rien laisser au hasard.
1Vous avez construit une équipe avec une moyenne d’âge très basse. Est-ce que vous avez tiré un trait sur les anciens ?
On est à un carrefour de l’histoire avec la possibilité de s’appuyer sur de jeunes joueurs et construire pour l’avenir.
J’ai décidé de le faire pour laisser un héritage derrière moi. Avec des jeunes c’est plus facile car ils sont avides d’apprendre, ils sont motivés.
On a dit de moi que j’étais un idiot pour ça et que je détruisais la sélection. Mais après 9 matchs, je les convaincus que j’étais sur la bonne voie.
On a ajouté 3 joueurs d’expérience et de maturité. Ils ne sont pas de simples joueurs : ils sont comme des adjoints. Ils aident pour instiller chez les joueurs l’engagement, la mentalité de vainqueur, cet état d’esprit dont on a besoin.
Je n’ai pas fermé la porte aux plus de 30 ans. Mais à qualités égales, je prendrais toujours le plus jeune. Parce qu’il représente l’avenir.
Justement, le « doyen » Ali Al-Musrati, qui a rejoint Besiktas en Turquie, n’a plus joué depuis mars 2023. Fait-il encore partie de vos plans ?
Musrati est un grand ambassadeur du football libyen. Merci à lui pour tout ce qu’il a apporté dans le passé. Il vient de quitter Braga pour Besiktas qui reconnait son potentiel.
Il doit s’adapter au football turc et on suit ses progrès. On est en contacts avec lui. Quand il viendra, il faut qu’il soit un leader et un exemple, y compris dans ses performances.
On regarde comment l’incorporer dans nos plans. Encore une fois, merci à lui pour promouvoir le football libyen.
Est-ce que le fait que les Libyens n’aiment pas s’expatrier est un obstacle pour le développement de la sélection ?
Quand on regarde les équipes qui ont réussi à la CAN, on voit que certaines s’appuient massivement sur des locaux, comme l’Egypte en 2006.
Le championnat libyen est très important pour la qualité de l’équipe nationale, c’est la base.
Les Libyens partent peu à l’extérieur, notamment en Europe. Mais en raison des turbulences du pays, la Libye compte une grande diaspora désormais.
On a identifié pas mal de talent hors du pays. On les suit, en France, en Allemagne, etc. On devrait enrichir la sélection avec eux et on fera tout pour ça.
Un dernier mot pour conclure cette passionnante discussion, Micho ?
Merci de nous avoir donné la parole en tout cas. Le processus de « revival » est lancé. On veut retrouver cette fierté de la sélection, unifier le pays, restaurer la gloire passée. Et faire en sorte que le football soit le langage de la paix ici. »
Propos recueillis par @Frank Simon