Actuel sélectionneur du Soudan du Sud, engagé cet après-midi au tour préliminaire aller de la CAN 2023 contre Djibouti, le technicien italien Stefano Cusin a accepté de nous raconter son expérience dans différents pays arabes depuis une quinzaine d’années. Avec un point d’orgue : la Palestine. Une exclusivité 2022mag.
« Stefano bonjour. Dites-nous, dans quelles circonstances avez-vous rejoint Ittihad Tripoli en novembre 2008 ?
J’ai quitté la Bulgarie parce que mon club, Botev, avait de graves problèmes financiers et il a d’ailleurs déposé le bilan l’année suivante. La situation était devenue compliquée et j’ai donc démissionné. Un agent m’a alors proposé la Libye. J’ai vu que c’était un grand club alors je n’ai pas hésité un instant. En novembre 2008, l’Ittihad, champion sortant et vainqueur des cinq dernières éditions, avait une équipe vieillissante. Il commence la saison avec un coach portugais mais après quelques matches, il a été remercié. Le club cherche alors un entraîneur jeune qui vienne d’une grande école de football en Europe, un tacticien avec une expérience en Afrique. Moi je suis issu du foot italien et j’avais déjà travaillé au Congo et au Cameroun. J’étais le prototype qu’il cherchait. Mohamed Khadafi, le président du club, m’a alors contacté et fait rapidement signer le contrat. Ca a été compliqué au début parce que l’équipe était cinquième à neuf points du premier, le Ahly Tripoli, l’éternel rival.
Comment vous y êtes-vous pris ?
Petit à petit, avec un gros travail physique et une grande organisation tactique. Ce qui a fait basculer les choses, c’est que j’ai intégré beaucoup de U20 en équipe première. J’ai mis de côté pas mal de sénateurs de 33-34 ans. C’est vrai aussi que j’avais deux grands attaquants internationaux, Ahmed Zuway et Mohamed Zabiya devant. Un jour de derby contre le Ahly, je n’ai pas hésité à faire débuter un jeune de 18 ans, qui a marqué Ahmed Saad, et on a gagné 2-1. Ca a fait basculer le championnat puisqu’on est revenu à deux points. Le match d’après, ils font nul. On a fini par remporter le championnat. En janvier, le club a pris des étrangers avec un profil assez bas, comme le Ghanéen Kuffour, le buteur nigérien Daouda Kamilou qui avait fini meilleur buteur de la LDC précédente avec Cotonsport. Nos étrangers n’ont pas eu un poids particulier.
Un succès immédiat, donc ?
Et pourtant, le président, à l’époque, pensait que ce serait presque impossible d’aller chercher le titre. On n’était pas bien physiquement. Il y avait beaucoup à faire. Il m’a dit : il faut construire. Ce sera une saison de transition. A l’arrivée pourtant, on a réussi le doublé en rajeunissant l’effectif. On a été au-delà même des objectifs. A mon niveau, ce fut très enrichissant. J’ai entraîné un très grand club, qui évoluait devant 80 000 spectateurs. Il y avait une pression énorme. C’était incroyable. J’avais un très bon rapport avec le Président, qui me suivait dans tout ce que je faisais. A la suite de ça, j’ai reçu plein d’offres. Ca m’a ouvert les portes vers d’autres championnats.
Pourquoi être parti si vite ? Je pensais avoir atteint tous les objectifs fixés sur deux ans en quelques mois. A ce moment-là, j’ai recherché un nouveau challenge. C’est là que Walter Zenga, l’ancien gardien italien devenu entraîneur, m’a appelé. On s’était connus en Bulgarie lors de mon passage à Botev. Il était à Catane. Il m’a demandé si j’étais libre, car il avait en main une offre d’un prince saoudien pour Al-Nassr Ryad. Il avait besoin d’un gars comme moi qui sache comment travailler avec des joueurs arabes. Il cherchait plus un coach qu’un adjoint. L’offre était économiquement importante, le challenge était beau avec Walter.
Et vous avez donc rejoint Ryad pour une nouvelle expérience…
Ca s’est très bien passé. On a signé six mois avant de commencer. Ca avait permis de les analyser avant. Malheureusement, il y a eu des problèmes en décembre entre Walter et le prince, ce qui a conduit à la fin de notre mission. Mais on a laissé le club à la 2e place à un point du premier. Chose incroyable, quatre jours après le départ d’Al-Nassr. Al-Nasr Dubai nous a appelés avec Walter. Et on a commencé en janvier. Avec un gros travail, on a réussi à terminer troisièmes et à se qualifier pour la Ligue des champions d’Asie en six mois. Je sais que les dirigeants d’Al-Nasr Ryad auraient voulu me garder mais j’étais venu avec Zenga, alors il n’en était pas question. La deuxième saison à Dubai, on a fini deuxième avec comme renfort Luca Toni.
Mais vous aviez la bougeotte…
J’ai eu l’offre de Fujairah en D2. J’en ai parlé à Zenga, j’avais envie d’y aller. Le club avait de son côté du mal à remonter en D1. Mais on a réussi en gagnant le championnat. Juste après ça, Walter a signé à Al-Jazira, avec comme président Cheikh Mansour, celui de Manchester City, je l’ai retrouvé. Ils étaient en difficulté alors. On a joué la finale de la Coupe, on s’est qualifiés pour les huitièmes de la LDC asiatique en sortant Esteghlal d’Iran, Al-Rayan du Qatar. C’était aussi la première fois qu’un club émirati battait un club saoudien chez lui. On a terminé troisièmes. Ce fut une saison pleine. Mais ça s’est fini très vite.
Comment situez-vous les principaux championnats du Golfe ?
Le championnat d’Arabie saoudite est sans doute le meilleur. Bonnes infrastructures, bons joueurs locaux, des étrangers de qualité et des stades pleins. Le Qatar n’a pas de bons locaux. Ils ne prennent que des grands noms. Le championnat n’est pas compétitif. Les Emirats, c’est entre les deux. Il y a quelques bons locaux. On travaillait dans de bonnes conditions et la vie y est très agréable. Je dirais donc Arabie saoudite, Emirats et Qatar. Quant à la Libye, il y a quelques bons clubs, les deux de Tripoli, Ahly et Ittihad, et ceux de Benghazi aussi compétitifs. Mais il y a un manque d’infrastructures. Il est certain que la guerre a beaucoup endommagé le foot. C’était un championnat compétitif, avec des clubs bien organisés.
En 2015, vous prenez subitement la direction de la Palestine, et de la Cisjordanie. Expliquez-nous… Vers la fin 2014, Walter Zenga est proche à Cagliari, je lui avais d’ailleurs fait un rapport sur le club. Malheureusement, il n’a pas trouvé d’accord. Je lui ai dit : si la prochaine offre est sérieuse, j’y vais ! Lui ne prenait aucun club en cours de saison. Donc, début 2015, on m’appelle pour me proposer un club palestinien, Ahly Al-Khaleel. Sincèrement, ça ne me disait pas grand-chose. Le président, en une heure, m’a conquis ! Il m’a expliqué combien c’était important pour les joueurs et les gens sur place d’avoir un expatrié. J’ai débarqué en janvier 2015 à Hébron avec mon prépa italien. Le club était troisième à mon arrivée. On a gagné les trois coupes, la Supercoupe, la coupe de la ligue et la coupe nationale. On a joué ensuite la coupe contre le champion de Gaza à l’été 2015, disputée pour la première fois en 15 ans : 0-0 à l’aller, 2-1 au retour. Quand on est allé à Gaza, on a été reçu par le chef du Hamas. Au retour, Abbas, le chef de l’Autorité Palestinienne, nous a invités à diner. Ca a été des moments forts. On est passé en quelques mois de lutter pour le maintien à la champions league asiatique. Ca a créé des liens qui perdurent jusqu’à aujourd’hui. Ca reste l’expérience la plus belle de toute ma vie !
Vous faites ensuite un crochet en Angleterre…
Walter avait signé à la Sampdoria entre temps. Moi je préparais mon équipe en Italie. Il y a eu un petit froid entre lui et moi mais je ne pouvais pas laisser le club. J’ai commencé le cours UEFA Pro à l’université de Coverciano et en fin de saison, Zenga est parti à Wolverhampton. Enfin, on est partis ensemble, grâce à Jorge Mendes, l’agent de CR7 ! On était dans le bon championnat mais au mauvais moment. On avait recruté Romain Saïss, Prince Oniangué, Helder Costa de Monaco. Malheureusement, le club voulait des résultats immédiats. Il fallait une saison de transition.
Le grand voyageur que vous êtes a eu ensuite moins de succès dans ses missions…
Effectivement, après les Wolves, j’ai eu un passage à vide. J’étais dans les bons championnats mais avec les mauvaises équipes. Je suis parti à Chypre, et je suis tombé sur une équipe qui faisait l’ascenseur D1-D2. Le président ne m’écoutait pas. Je suis parti. Sur les quatorze derniers matches, ils en ont perdu 13 et sont descendus. Pareil en Afrique du sud, avec les Black Leopards. On ne pouvait rien construire, c’est un club totalement instable. Le président était à Jo’burg et le club à Polokwane. Son fils qui gérait n’était pas la meilleure personne. J’ai préféré démissionner malgré 3 ans de contrat. Et puis la Palestine m’a rappelé.
Retour donc à Hébron, où votre cote était intacte…
Le club était en difficulté, le président voulait que je fasse un audit de l’effectif. J’ai accepté de reprendre l’équipe. On a reconstruit complètement l’équipe en faisant de grosses économies. Dans la foulée, mon fils est né prématuré à six mois et j’ai mis ma carrière pro entre parenthèses. Je me devais d’être aux côtés de mon épouse pendant quelques mois.
Mais l’inactivité vous pesait peut-être un peu, non ?
En décembre 2019, un agent iranien m’appelle pour Shahr Kodro. En janvier 2020, j’arrive dans le nord du pays, Mash’had, une ville religieuse, avec la plus grande mosquée chiite. Ce fut une expérience marquante. On jouait les barrages de LDC asiatique ; On a sorti Al-Riffa de Bahrein, puis Al-Sailiya du Qatar. On jouait sur terrain neutre. En championnat, on s’est stabilisés autour de la 3e-4E places. Avec l’arrivée du Covid en mars 2020 et le championnat interrompu, j’ai pris le dernier vol pour l’Europe, direction Francfort puis l’Italie. Après, je suis rentré fin mai début juin. On a terminé le championnat. Et en septembre 2020, j’ai quitté suite aux gros problèmes financiers du club malheureusement. C’est un club où je me suis trouvé à l’aise. Les Iraniens sont très gentils, très hospitaliers. J’y retournerai un jour entraîner, c’est sûr.
Dans quelles circonstances vous trouvez-vous désormais à la tête de la sélection nationale du Soudan du Sud ?
Un jour par hasard, un agent français, Tarek, d’Overdose Sports, me contacte. Il me propose une équipe nationale en Afrique qui cherche un bâtisseur avec grosse expérience de l’étranger. Je cherchais aussi un projet à long terme, de préférence avec une sélection nationale. J’ai rencontré le bon agent, quelqu’un de très pragmatique. On a décidé en septembre 2021 de signer un contrat de deux ans. L’objectif, il n’y en a pas vraiment, si ce n’est de rendre l’équipe compétitive. J’habite à Juba. On a surtout fait des stages avec des matches amicaux. Les matches officiels nous situeront. On a des joueurs au Canada, aux Etats-Unis, aux Emirats, etc. Pas facile de tous les suivre ! Je me suis donc appuyé sur un bloc tout en faisant du scouting. J’essaie de valoriser les talents locaux.
Comment cela se passe-t-il ?
La fédération est très sérieuse, on a fait des stages à l’étranger. Le niveau du championnat n’est pas énorme, mais ça s’améliore. Mon staff était local à l’origine. Je ne voulais pas m’isoler, donc c’était mieux d’être en prise avec des nationaux. Dans une deuxième phase, j’ai fait appel à deux adjoints italiens, un préparateur et un physiothérapeute. La relation est bonne avec le Président. On me voit plus comme un manager ici. J’ai une vision à 360 degrés des choses. Pas de souci au niveau salarial. S’il y avait un jour à retard, je ne suis pas le genre de coach à se plaindre. Il y a de la bonne foi. De temps en temps, je rentre en Italie. Mais il y a beaucoup à faire localement ».
Propos recueillis par @Frank Simon